ISLAMISME ET DÉMOCRATIE
Par Jacques BENILLOUCHE
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La Mosquée de Paris |
Les islamistes sont de vrais démocrates lorsqu’ils sont dans l’opposition.
Ils se plient alors aux règles et respectent les institutions dans le seul but
de parvenir au pouvoir. Mais dès qu’ils l’ont obtenu et qu’ils sont élevés au
sommet, ils se comportent en fossoyeurs de la démocratie, parfois brutalement comme
en Iran, mais souvent sournoisement comme en Turquie, pour ne pas brusquer les
corps constitués.
Gouvernement du peuple
Le Coup d’État qui vient d’avoir lieu en Égypte est symbolique de la
technique islamiste pour accaparer tous les leviers politiques d’un pays. Après avoir
écarté l’armée, Mohamed Morsi a décidé de limoger le procureur général, Abdel
Meguid Mahmoud. Il vient de publier un décret qui empêche la dissolution par la
justice de l'assemblée constituante et du conseil de la Choura, la chambre
haute du Parlement égyptien. Présenté par la présidence égyptienne comme un
moyen de «protéger la révolution», le décret neutralise de fait les
recours contre la composition de l'assemblée constituante, sur lesquels la
Haute Cour constitutionnelle doit trancher. Il s’agit certainement d’une première
étape vers le pouvoir absolu.
L’expression "démocrate" ne fait plus partie du vocabulaire des islamistes.
Alors qu’il existe dans les pays occidentaux des partis sociaux-démocrates
ou chrétiens-démocrates, aucune révolution arabe n’a donné naissance à un parti
démocrate islamique. Il semble que ces deux termes soient antinomiques pour les
peuples musulmans comme si l’islam créait de fait une incompatibilité de
concept.
Selon Abraham Lincoln, «la démocratie est le gouvernement du peuple, par
le peuple et pour le peuple». Or la liberté individuelle ne se conçoit pas
dans les régimes islamiques car, la religion, qui est pourtant un choix
personnel, joue un rôle considérable dans la vie des hommes et se pose en
concurrente de la démocratie. La religion et la démocratie ont pour objectif d’établir
des lois et des principes de vie commune, de structurer la société, et de
proposer un modèle fondé sur les valeurs universelles. Or l’islam est opposé à
la démocratie car il repose sur la prépondérance du sacré sur
les hommes et fonde son principe absolu qu'en dehors des vertus
religieuses, il ne peut y avoir de morale ni de salut.
Charia,
source de la loi
L’islamisme considère
que le coran, la charia et la sunna sont
les seules sources de la loi. Or si la croyance religieuse est ancrée dans le
passé, la croyance démocratique se veut tournée vers le futur. C’est pourquoi l’horloge
islamique s’est arrêtée au VIIème siècle. Il y a eu certes quelques tentatives
d’interprétation des textes sacrés, l’Ijtihad, en utilisant la réflexion
humaine et la créativité intellectuelle mais le rigorisme sunnite des
fondamentalistes d’Arabie, d’Iran, d’Irak, de Syrie et d’Égypte a mis un terme à ce
qui était considéré comme des dérives innaceptables.
Mais du même coup, il a conduit l’islam
à un suicide culturel car l’esprit critique était banni et l’interprétation des
textes sacrés interdite. La crainte des cultures modernes, venues de différents
horizons, a conduit à développer une interprétation plus rigoriste de la
religion qui a mis au ban de la nation des illustres écrivains et penseurs
musulmans taxés de déviationnistes, suffisamment pour être parfois condamnés à mort. L'intolérence devenait un sentiment constant chez les tenants de l'orthodoxie.
Porté par le train de
la démocratie, l’islamisme recherche toujours et encore la restauration
mondiale du califat qui avait été entrepris par Mustapha Kemal Atatürk avec la
révolution turque. Le califat défini par le savant Ibn Khaldoun explique l’impasse
dans laquelle s’est engouffré l’islam moderne : «L’exercice du pouvoir politique
consiste à faire agir les masses selon ses projets et ses desseins. Le califat
consiste à diriger les gens selon la loi divine, afin d’assurer leur bonheur en
ce monde et dans l’autre. Les intérêts temporels se rattachent aux autres car
toutes les circonstances de ce monde doivent être considérées dans leurs
rapports avec leur valeur dans l’autre monde. De sorte que le calife est, en
réalité, le vicaire de Mahomet, dans la mesure où il sert, comme lui, à
protéger la foi et à gouverner le monde. Celui qui remplit cette fonction est
le calife ou l’imâm. Cependant, les lois religieuses ne s’appliquent pas aux
femmes, car les femmes n’ont aucun pouvoir par elles-mêmes. Les hommes ont
autorité, sauf en ce qui concerne leurs devoirs religieux». Le but final du califat souhaité par les
islamistes reste bien sûr l’application stricte de la charia avec,
entres autres, les règles liées à l'habillement, aux
relations entre les sexes, à l'interdiction de l'alcool et des jeux d'argent et
aux châtiments corporels.
Légalistes
et révolutionnaires
Les islamistes ont montré
qu’ils avaient deux stratégies pour arriver au pouvoir selon les pays où ils
résident et selon la faiblesse de leurs institutions. Plus le pouvoir est faible
ou craintif et plus ils arrivent à leurs fins.
Les légalistes
respectent les lois en vigueur et se fondent dans la société où ils vivent en manifestant
une patience à toute épreuve. C’est le cas en Tunisie et en Égypte. Ils n’ont
pas besoin d’user de violence puisqu’ils s’appuient sur la pauvreté et le
chômage des jeunes et, d’une manière générale, sur le mécontentement des populations
qu’ils abreuvent de promesses qui ne seront jamais tenues.
Les révolutionnaires
ont en revanche recours à la violence pour renverser les régimes en place. C’est le cas des
talibans en Afghanistan et au Pakistan et des membres d’Al-Qaeda agissant au Maghreb
qui estiment que, pour accéder au pouvoir, ils doivent user de l’arme du
terrorisme pour donner une vision concrète à leur internationale islamiste. Mais
la frontière entre légalistes et révolutionnaires est poreuse et conduit
certains «modérés» à faire preuve d’encore plus d’activisme.
Lapidation
La primauté du pouvoir
religieux sur le pouvoir politique mène à tous les excès et surtout à la
violation de la démocratie. L’islamisation instaurée en Iran, en Arabie Saoudite, au
Soudan et en Afghanistan s’est traduite par la mise en place de dictatures
implacables. L’évolution des faits donne à penser que l’Égypte est sur le point
de tomber dans le même travers après la confiscation de tous les pouvoirs par
le président égyptien Mohamed Morsi.
Mais tous ces adeptes
de l’intensification de l’introduction de la religion dans les rouages de l’État
ne se rendent pas compte qu’ils mènent leur pays vers son propre déclin. Parce
qu’ils doivent répondre aux exigences quotidiennes de leurs populations, les
dirigeants islamiques sont conduits à profaner leurs propres concepts
religieux. Ils utilisent la religion, tombée de son piédestal, pour satisfaire
des objectifs profanes tels que le pouvoir, la richesse et le népotisme. Ils ne
comprennent pas que seul un État démocratique laïc peut permettre à la religion
de prospérer tout en garantissant les libertés fondamentales des individus et
des minorités.
Les «printemps
arabes» ont été des tentatives de remettre dans l’actualité l’ijtihad afin
d’écarter les fondamentalistes anachroniques qui retardent l’évolution
économique et technologique des pays révoltés. Bourguiba avait essayé en
Tunisie de séparer la religion de l’État pour faire entrer son pays dans le 20ème
siècle, mais la révolution risque à nouveau de le plonger dans le moyen-âge
économique.
Le premier ministre turc Erdogan avec sa femme
Les islamistes sont
patients et ils prennent le temps pour accaparer le pouvoir mais, une fois acquis,
il n’est plus jamais restitué pour assurer une alternance démocratique. Les pays
occidentaux ne semblent pas vouloir s’en rendre compte et ils continuent de
leur faire les yeux doux, en gardant leurs yeux rivés sur la ligne d’horizon de
la balance commerciale. Des régimes islamistes, dits improprement «modérés»,
comme la Turquie et à présent l’Égypte ont trompé leurs populations et les
occidentaux grâce à une stratégie sournoise. Ils s’attaquent d’abord à l’armée,
détentrice de la force, puis se retournent vers les institutions pour réduire en esclavage,
sous l’alibi de la religion, des malheureux qui ont cru en eux. Islamisme et démocratie ne sont pass compatibles. On n’a rien vu,
on n’a rien entendu, on n’a rien dit.
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