LA FRANCE CHERCHE TOUJOURS
L’HÉRITIER DE MENDES-FRANCE ET DE SEGUIN
Par
Jacques BENILLOUCHE
copyright
© Temps et Contretemps
Mendes-France, Fillon Seguin |
Les Français ont
tendance à ne pas aimer les personnalités brillantes et iconoclastes. Deux
grands hommes, Mendes-France et Seguin, se ressemblent parce qu'ils ont été
parmi les meilleurs dirigeants politiques, certes intransigeants sur le service
de l’État. Deux destins comparables à trois périodes où la France avait le plus
besoin de repères parce que la politique politicienne avait pris le pas sur la
réflexion.
Philippe Seguin président de la Cour des Comptes |
Philippe Seguin et Pierre Mendes France ont peu
gouverné mais leurs idées les ont transcendés parce qu’elles ont survécu à la
mort de l’un et sont devenues une référence après le décès de l’autre. Tous
deux ont fait de la politique pour servir leur pays et non pour se servir. Ils
n’ont pas couru après la carrière, ni après les honneurs des postes
ministériels. Ils ont tout laissé tomber, en pleine gloire, lorsqu’ils ont
constaté que la politique qui leur était proposée n’était plus en adéquation
avec leurs convictions. Les hommes politiques sont avides de pouvoir mais eux,
ont accepté de le quitter, volontairement, en démontrant ainsi la grandeur de
leur personnage. François Fillon, l’élève de Philippe Seguin lequel avait eu
pour mentor Mendès-France, aurait pu être le successeur mais il a été renvoyé
par ceux qui pendant cinq années l’avaient encensé.
Ces deux hommes
d’État ont eu en commun la passion du terroir, parfois lointain. Philippe
Seguin était né en Tunisie tandis que Mendès-France avait offert à ce pays la
liberté sous forme d’indépendance. C’était le moment où les colonialistes
s’acharnaient à se couvrir le visage pour ne pas voir la réalité nouvelle
concrétisée sur le terrain, qui se propageait dans les esprits. Mendes-France avait été un élu de Louviers
dans l’Eure, la France profonde, qui l’avait adopté dès l'âge de 25 ans pour
lui enlever ses scories de parisien. Il n’a réellement gouverné le pays que
pendant sept mois et il s’en est allé, sur la pointe des pieds, quand il a
découvert que la politique devenait synonyme de haine, d’intérêt, de bassesse
et de mauvaise foi. Et pourtant il a laissé des traces indélébiles alors que
d’autres, qui ont occupé des ministères pendant des années, n’ont jamais marqué
la République et sont tombés dans l’oubli. Mais malgré cette durée limitée, il
a semé ses idées que d’autres ont porté ensuite comme un étendard, avec fierté,
sans jamais oublier d’en rappeler l’origine : Michel Rocard, premier ministre,
Jacques Delors un grand de l’Europe, Manuel Valls, premier ministre, et
d’autres noms aussi prestigieux qu’il serait vain et long de citer.
Philippe Seguin
était, lui aussi, entier. Élu à la tête du RPR en 1997, il voulait déjà rénover
le parti et proposer de nouveaux statuts. Mais il a été très vite confronté à
de nombreux obstacles car, sur l’Europe, le parti commençait à se diviser. Il a
préféré claquer la porte quand il a senti que les options choisies n’étaient
plus en conformité avec ses idées. Comme son prédécesseur, il avait constitué
un vivier de futurs hommes d’État qui se reconnaissent aujourd’hui dans sa
lignée. Son poulain François Fillon était devenu premier ministre tandis que
son élève Henri Guaino, conseiller spécial, avait inspiré la plume de Nicolas
Sarkozy.
D’autres encore
n’hésiteront pas à se recommander de Seguin quand l’Histoire aura rendu ses
lettres de noblesse à leur maître. Sa culture n’avait d’égal que son humour
encore plus percutant lorsque Jacques Delors s’avisa de se présenter à
l’élection présidentielle : «En 1974, les Français voulaient un jeune : ils
ont eu Giscard. En 1995, ils voudront un vieux : ils auront Giscard. Mais avec
Delors, les socialistes passent de Léon Blum à Léon XIII».
Ces hommes d’État voulaient être des rassembleurs parce que le peuple devait être uni dans les moments difficiles. Ils véhiculaient certes des idées de gauche au sens noble du terme et chacun d’eux, dans son registre, avait été catalogué de «gaulliste social», un positionnement qui ne voulait s’apparenter ni à la gauche et ni à la droite.
Les trois
personnages ont été des hommes du «non». Mendes France a dit «non»
au projet de constitution élaboré par Charles de Gaulle en 1958 car il était
opposé aux conditions dans lesquelles le Général avait décidé de prendre le
pouvoir. Philippe Seguin n’avait pas hésité à braver son propre parti pour dire
«non» à Maastricht afin de dénoncer «l'engrenage économique et
politique» dans lequel, selon lui, le traité qui devait faire naître l'euro
risquait d'entraîner l'Europe. François Fillon avait dit «non» à
l’extrême-droite et voulait écarter son parti de ses dérives inavouées. Lorsqu’ils ont été battus dans un combat
déséquilibré, ils ont alors préféré quitter le pouvoir pour s’adonner à la
réflexion politique, celle qui manque le plus aux hommes de gouvernement.
La nature humaine et
politique veut que les Grands hommes ne soient reconnus comme tels qu’après
leur disparition. Mendes France n’a été consacré que longtemps après sa mort,
discrète et presque gênante, alors que Mitterrand prenait le pouvoir sans aucun
geste de reconnaissance envers celui qui l’avait fait. Seguin avait eu droit
lui aussi à sa gloire posthume lorsque son absence a pesé dans les consciences.
Tous deux demeureront une référence dans la classe politique française, et même
internationale, comme symbole d’une conception exigeante de la politique. Une
conception qui se fait rare de notre temps où la médiatisation à outrance
transforme les hommes politiques en marionnettes et où l’avidité les pousse à
tous les excès.
Les hommes politiques craignent les qualités et les
vérités de ceux qui les transcendent, une sorte de haine compulsive. Ils
n’aiment pas les gens brillants qui leur font de l’ombre. Alors ils préfèrent
appuyer des médiocres. Les événements auraient été différents si Fillon n’avait
pas été écarté de la direction de l’UMP et ensuite des Républicains. Il aurait
pu orienter son parti vers un véritable rassemblement de type gaullien où la
droite et la gauche s’unissaient sous le drapeau tricolore pour faire avancer
une France repliée sur ses échecs et sur ses exclusives. Alors il fit de son
éviction à la tête de l’Ump une force. Il avait compris qu’il pouvait surfer
sur les échecs de François Hollande, le miraculé, qui a eu sa chance mais qui
l’a gâchée. Le Président n’était pas préparé ; son parti avait montré dès la
primaire de gauche ses divisions et ses différentes sensibilités l’ont miné
pendant tout le quinquennat.
Aujourd’hui la Gauche est laminée par ses guerres
intestines et s’est rendue pieds et poings liés aux gauchistes rêveurs et
anachroniques. La Droite souffre d’avoir fait le choix d’une erreur de casting
et de s’être engouffrée aux côtés de ses extrêmes. Et pourtant il y avait un
boulevard pour un social-démocrate, positionné au centre de l'échiquier
politique, qui pouvait amener à lui les centristes orphelins d’un leader
charismatique, les inconditionnels de la gauche déçus par Emmanuel Macron, les
socialistes perdus et même les extrémistes égarés dans un chemin de traverse. Mais
les premiers de la classe sont toujours soumis à la vindicte des médiocres.
Il n’y a peu d’exemples où des hommes ayant quitté
le pouvoir en pleine gloire ont continué à inspirer les pas de ceux qui les ont
suivis. Mendes-France et Seguin ont fait l’Histoire parce qu’ils étaient
brillants, intègres, entiers et intransigeants dans leur démarche politique.
Ils n'acceptaient aucun compromis qui pouvait aller à l'encontre de leur
programme et de leurs convictions. Ils constituent une importante figure morale
pour une partie de la classe politique et incarnent le symbole d’une conception
exigeante de la politique. Ils personnifient en fait ce qu’on appelle
communément : le service de l’État. Pour l’instant et c’est triste, personne n’est
de la trempe de ces leaders pour se montrer à la hauteur de ces génies
politiques. Personne aujourd’hui n’est capable de «casser la baraque».
1 commentaire:
Cher monsieur Benillouche,
Lisant et relisant cet article depuis hier, je me suis demandé – pour ne me cantonner qu’à Pierre Mendès France et Philippe Séguin – ce qui avait bien pu vous faire imaginer que la France, donc les Français, puissent chercher « l’héritier de Mendès France et de Séguin » ?
En désespoir de cause j’ai ressorti les « Mémoires » de Raymond Aron, espérant y trouver une réponse pour Mendès France. Je me suis donc mise à compulser le livre sans résultat, jusqu’à ce qu’enfin je tombe sur la phrase suivante, page 363, dans un chapitre intitulé « La tragédie algérienne » :
« En 1954, P. Mendès France, en une démarche spectaculaire, accorda à la Tunisie l’autonomie interne qui, de toute évidence conduirait à l’indépendance. »
Quant à Philippe Séguin – né à Tunis – s’il y a encore beaucoup de Français pour se souvenir de son discours devant l'Assemblée Nationale du 5 mai 1992, sur l’irrecevabilité du projet de loi constitutionnelle, concernant le traité de Maastricht. Ainsi que du rôle qui a été le sien, avec Philippe de Villiers et Charles Pasqua, dans ce qu’on a appelé les « Conscrits de Maastricht », nous sommes néanmoins encore très nombreux à nous souvenir que lorsque cela a été le moment pour lui, de reprendre le combat politique, en acceptant le poste de ministre que lui proposait Nicolas Sarkozy, il a préféré conserver son poste de Premier Président à la Cour des Comptes !
N’est-ce donc pas un peu court – quelles que soient leurs qualités indéniables par ailleurs – pour faire de l’un et de l’autre, des leaders ?
Très cordialement.
Enregistrer un commentaire