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dimanche 11 octobre 2020

Artsakh haut-Karabakh : un chaudron caucasien à la sauce turque par Albert Naccache

 

 ARTSAKH HAUT-KARABAKH : UN CHAUDRON CAUCASIEN À LA SAUCE TURQUE

Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE


Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples(Charles de Gaulle, Mémoires de guerre)

L’Arménie est un petit pays montagneux de 29.743 km², à peine plus grand que la Bretagne, qui dispose de peu de ressources naturelles. Ses 3 millions d’habitants sont de religion chrétienne. Capitale Erevan. L’Azerbaïdjan, qui dispose de 86.600 km² est riche en pétrole. Ses dix millions d’habitants, les Azéris sont musulmans chiites. Capitale Bakou.


Les deux nations du Caucase sont enferrées dans un combat acharné autour de l’enclave du Haut-Karabakh (ou Nagorno-Karabakh ou Artsakh). Cette petite province peuplée d’Arméniens chrétiens avait été ait rattachée à l’Azerbaïdjan par Staline. L’Artsakh est aujourd’hui une république autoproclamée de 4.400 km2 et de 150.000 habitants, située à 50 km de la frontière arménienne avec pour capitale Stepanakert.

Depuis 1994, à la suite d’une guerre qui fit 30.000 victimes, l’Arménie occupe environ 14% du territoire azerbaïdjanais. Ces territoires limitrophes de l’Arménie lui permettent d’obtenir une continuité territoriale avec l’Artsakh. Le «Groupe de Minsk», coprésidé par les États-Unis, la France et la Russie, avait tenté de trouver une solution, mais en vain.

Nikol Pachinian

Depuis le dimanche 27 septembre 2020, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, a lancé une offensive militaire contre les Arméniens de la République d’Artsakh.  C’est donc la guerre, avec des attaques réciproques contre Stepanakert et Ganja, la deuxième ville d’Azerbaïdjan. Le premier ministre arménien Nikol Pachinian a prononcé un discours de guerre, aux accents de «mourir pour la Patrie» et a mobilisé ses réservistes jusqu’à l’âge de 55 ans.  Les civils sont pris pour cible au Haut-Karabakh, des centaines de maisons sont détruites et l’on compte plusieurs centaines de morts civils et militaires. La moitié de la population de l’Artsakh, dont 90 % des femmes et enfants, a été déplacée par les combats,

Cette situation compliquée devient inextricable si l’on cherche à comprendre les motivations des divers pays partenaires ou rivaux qui interviennent dans ce conflit.

La Russie, allié traditionnel et soutien de l’Arménie, maintient une grande base militaire dans ce pays et lui fournit des armes et les missiles Iskander. Mais la Russie vend aussi des armes à l’Azerbaïdjan et ne veut pas se mettre à dos ce pays pour ne pas déplaire aux républiques turkmènes d’Asie centrale. Elle accepterait peut-être que l’Azerbaïdjan récupère certains territoires mais s’opposerait à une mise en cause de l’intégrité de l’Arménie.

L’Iran chiite soutient systématiquement l’Azerbaïdjan, quatrième nation chiite dans le monde. Son chef suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, est lui-même d’origine azérie. Quatre provinces du nord-ouest iranien sont de langue azérie et certains séparatistes iraniens les appellent «l’Azerbaïdjan du Sud». L’Iran se méfie d’un nationalisme azéri trop assumé qui donnerait des idées d’émancipation à ses 15 millions d’Azéris. De plus, les liens de l’Iran avec l’Arménie sont aussi très étroits.  C’est une étonnante proximité, pas seulement géographique, entre l’Arménie chrétienne et la République islamique d’Iran qui lui fournit clandestinement des armes.

Israël a des relations stratégiques de longue date avec l’Azerbaïdjan. Israël importe une partie importante de son pétrole d’Azerbaïdjan et exporte des armes vers ce pays dont des drones armés ultra-modernes. Ces cinq dernières années, l'État juif a été le premier fournisseur d'armes à l'Azerbaïdjan et a participé à l’entrainement de ses troupes. S’il se doit «d’honorer» ses contrats, Israël a déclaré qu’il n’est toutefois «pas directement impliqué» dans le conflit au Karabakh. Ceux qui critiquent Israël devraient se souvenir que la realpolitik, «la politique étrangère d’un pays est fondée sur le calcul des forces et l'intérêt national». D’ailleurs l’Arménie l’a très bien compris puisque le 17 septembre 2020, les relations naissantes avec Israël ont été marquées par l’inauguration d’une ambassade d’Arménie à Tel-Aviv.

Des Azeris vivant en Turquie chantent l'hymne azerbaïdjanais

          Mais c’est la Turquie qui mène la danse. «La République turque est l’héritière de l’Empire ottoman et doit bâtir une union avec l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Turkménistan, même au prix d’une confrontation radicale avec la Russie», aimait à dire l’historien turc Abdulhaluk Çay. Le conflit du Haut-Karabagh a été relancé par le président de l‘Azerbaïdjan Ilham Aliyev et par le président turc Recep Tayyip Erdoğan.  Le peuple turc se définit comme issu des «enfants du loup des steppes», c’est-à-dire comme descendant des hordes de Gengis Khan et la Turquie et l’Azerbaïdjan se veulent «un peuple et deux États» qui partagent la même langue et les mêmes aspirations.

La Turquie sunnite est l’alliée de l’Azerbaïdjan chiite et fournit des armes et des drones à Bakou et cherche à utiliser ce conflit «comme levier pour que l’Azerbaïdjan revoie sa relation avec Israël». La Turquie est ainsi présente sur tous les fronts, de la Syrie à la Libye et poursuit les chimères de l’Empire ottoman. Cette politique agressive très voyante, s’accompagne d’une activité religieuse plus discrète mais plus dangereuse encore. Au-delà de la conversion de Sainte-Sophie en mosquée, Erdoğan finance une activité religieuse très intense dans plusieurs pays d’Europe, en particulier en Allemagne et en France. Il a déclaré : «Les amis, sachez que, pendant six siècles, nous avons dominé trois continents et sept mers. Nous les dominerons de nouveau… Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles sont nos casques. Les mosquées sont nos casernes, les croyants nos soldats».

Il a aussi affirmé le 2 octobre 2020, que Jérusalem appartenait à la Turquie, puisque la ville avait été pendant des siècles sous le contrôle de l’Empire ottoman. Le soutien actif à l’attaque azerbaïdjanaise est la dernière péripétie de la politique d’expansion turque qui se manifeste par l’envoi d’armes et de mercenaires. La présence d’islamistes syriens pro-turcs aux côtés de l’armée de Bakou ne fait aucun doute. La plupart sont issus de la minorité turcophone des Turkmènes syriens.

Karabakh

L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), une ONG basée en Grande-Bretagne qui dispose d’un vaste réseau de sources en Syrie, a affirmé que plus de 1.200 combattants de factions syriennes pro-turques étaient déjà arrivés au Haut-Karabagh. La chaîne d'information américaine CNN indique que ces mercenaires, transportés dans des avions turcs, touchent des salaires de 1.500 à 2.000 dollars par mois. En poussant l’Azerbaïdjan à l’affrontement, Erdoğan lance un défi majeur aux pays de l’Union européenne, qui se soumet en dépit de protestations de forme.

En France l’opinion publique et les médias sont proches de l’Arménie du fait de l’importante diaspora arménienne de près de 600.000 personnes, très appréciée par la population française. Les Français sont solidaires des Arméniens et de leur combat pour la reconnaissance du génocide qu’ils ont subi en 1915. Génocide perpétré par l’Empire ottoman durant la première guerre mondiale où 1,5 million d’Arméniens ont été massacrés.

Malgré la quasi indifférence du pape François, les combats actuels sont vécus par les Arméniens comme un combat chrétien contre l’Azerbaïdjan musulman. Car les arméniens se souviennent que l’autre enclave qui fut rattachée à l’Azerbaïdjan, le Nakhitchevan, a perdu sa majorité arménienne au cours des décennies. Entre les Arméniens d’Arménie et ceux du Haut-Karabakh, l’heure est à l’union sacrée.

Des militaires suivent un office religieux à l'église


Depuis la reprise du conflit, l’Église apostolique arménienne encourage les combattants au nom de « l’âme de l’Arménie». «L’Église arménienne est dans une logique de guerre : elle bénit les troupes et console les populations bombardées». Bakou a pris le soin de préparer soigneusement son offensive et comptait sur une victoire rapide. Cependant malgré leur supériorité militaire et la prise de dizaines de villages et plusieurs centaines de kilomètres carrés de terrain, les Azéris n’ont pas réussi à défoncer la ligne dite de contact. Car les Artsakhiotes se battent avec détermination et défendent avec acharnement leur territoire ancestral. Ils sont viscéralement attachés à leur terre et se battent pour leur survie.  «C’est un sacrifice indispensable pour l’avenir de notre peuple». Si l’offensive militaire azérie réussit, les Arméniens du Haut-Karabakh seront contraints à l’exode. La troisième semaine de combats sera décisive.

5 commentaires:

Marianne ARNAUD a dit…

"Papy flingueur" ? Enfin pas trop tout de même concernant Israël, qui doit honorer ses contrats, n'est "pas directement impliqué", sans doute, mais dont les armes à sous-munitions ont tout de même été utilisées sur des zones résidentielles.
Il est vrai que les Arméniens ont très bien compris que la politique étrangère d'Israël est fondée "sur le calcul de forces et l'intérêt national", et ils l'ont même si bien compris qu'ils ont inauguré une ambassade à Tel-Aviv !

Naccache Albert a dit…

à Marianne ARNAUD

Le terme "honorer" est mis entre guillemets et correspond au point de vue israélien.
Dans son communiqué,Amnesty International qui est traditionnellement anti-israélien "corrobore" l'utilisation d'armes à sous-munitions.
Cette accusation n'a pas été reprise par la partie arménienne.
Je pense que cette fois, c'est la Turquie qui mérite d’être dénoncée par le "Papy flingueur".
Trois pays sont les principaux fournisseurs d'armes de l’Azerbaïdjan: La Turquie, Israël et la Russie ce qui n’empêche pas ce dernier pays de s’afficher en maître du jeu diplomatique dans l’établissement de la trêve de ce samedi. Un bon exemple de realpolitik.

Yaakov NEEMAN a dit…

Article très clair. Pour ma part, j'en retiens deux passages, qu'on aurait du mal à retrouver dans les médias hexagonaux : 1) Le peuple turc se définit comme issu des «enfants du loup des steppes», c’est-à-dire comme descendant des hordes de Gengis Khan. Sympathique : on sait désormais à quoi s'attendre. 2) Erdoğan finance une activité religieuse très intense dans plusieurs pays d’Europe, en particulier en Allemagne et en France. Il a déclaré : «Les amis, sachez que, pendant six siècles, nous avons dominé trois continents et sept mers. Nous les dominerons de nouveau… Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles sont nos casques. Les mosquées sont nos casernes, les croyants nos soldats.» Exhaustive définition de la stratégie de ce pays que certains voudraient associer à l'Union européenne...

Anonyme a dit…

A Yaakov Neeman :
Même si, comme vous dites, certains voudraient associer ce pays à l’Union Européenne mais que, pour l’instant, ils ne sont pas encore majoritaires, il faut cependant bien se rendre à l’évidence que, compte tenu de l’activité RELIGIEUSE très intense financée par Erdogan dans pratiquement toute l’Europe avec, j’ajoute, et c’est IMPORTANT, la bénédiction de quasiment tous les gouvernements européens (frontières ouvertes à l’immigration DE MASSE, donc incontrôlée, et signatures de traités ici ou là etc.), nul besoin pour la Turquie d’entrer dans l’Union Européenne par la grande porte puisqu’elle y est déjà entrée par toutes les autres ouvertures.
En effet, ça devient plus qu’évident que le cheval de Troie turc a déjà déversé une grosse cargaison de louveteaux du loup des steppes qui ont largement proliféré depuis. Pour preuves, les SIGNES bien visibles religieux de l’avancée turque, notamment dans le vestimentaire et l’alimentaire, qui s’imposent de plus en plus en France, les attaques incessantes contre les lois républicaines par exemple dans le domaine de la mixité (piscines – bains publics – plages, etc.), la volonté d’imposer le port du voile dans tous les espaces, également la volonté de casser les codes comportementaux «européens» entre hommes-femmes (par ex. poignées de mains entre officiels), le mépris, pour beaucoup, des circuits légaux d’abattage des animaux, particulièrement pendant les fêtes, ETC.
Cette avancée turque a fait aussi que l’on ne peut pas débattre en France de l’islam comme on le fait si facilement au sujet de TOUTES LES AUTRES religions sous peine de menaces, d’intimidation, et d’actes terroristes...
Tous ces SIGNES aujourd’hui parfaitement VISIBLES, qui ne sont en fait que la REALITE de ce que dit OUVERTEMENT Erdogan au monde, prouvent que la Turquie est bel et bien implantée en France, donc en Europe. C’est juste que l’Union Européenne ne veut pas l’admettre, et refuse, comme toujours, l’EVIDENCE ! A force de se leurrer, cette dernière finira par se réveiller un jour non plus en Europe mais bien, comme dit sur les réseaux sociaux, en Eurabia...

ingrid Israël-Anderhuber a dit…

A Yaakov Neeman : Le commentaire paru sous "anonymous" est en fait mon commentaire. J'ai du coché la mauvaise case lors de l'envoi ("anonyme" au lieu de "Nom/URL"), désolée. Ingrid Israël-A.