ARTSAKH HAUT-KARABAKH : UN CHAUDRON CAUCASIEN À LA SAUCE TURQUE
Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE
“Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples” (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre)
L’Arménie est un petit pays montagneux de 29.743 km², à peine plus grand que la Bretagne, qui dispose de peu de ressources naturelles. Ses 3 millions d’habitants sont de religion chrétienne. Capitale Erevan. L’Azerbaïdjan, qui dispose de 86.600 km² est riche en pétrole. Ses dix millions d’habitants, les Azéris sont musulmans chiites. Capitale Bakou.
Les deux nations
du Caucase sont enferrées dans un combat acharné autour de l’enclave du
Haut-Karabakh (ou Nagorno-Karabakh ou Artsakh). Cette petite province peuplée d’Arméniens chrétiens avait été ait rattachée à l’Azerbaïdjan
par Staline. L’Artsakh est aujourd’hui une république autoproclamée de 4.400
km2 et de 150.000 habitants, située à 50 km de la frontière arménienne
avec pour capitale Stepanakert.
Depuis 1994, à
la suite d’une guerre qui fit 30.000 victimes, l’Arménie occupe environ 14% du
territoire azerbaïdjanais. Ces territoires limitrophes de l’Arménie lui
permettent d’obtenir une continuité territoriale avec l’Artsakh. Le «Groupe de Minsk», coprésidé par les
États-Unis, la France et la Russie, avait tenté de trouver une solution, mais
en vain.
Nikol Pachinian |
Depuis le dimanche
27 septembre 2020, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, a lancé une
offensive militaire contre les Arméniens de la République d’Artsakh. C’est donc la guerre, avec des attaques
réciproques contre Stepanakert et Ganja, la deuxième ville d’Azerbaïdjan. Le premier
ministre arménien Nikol Pachinian a prononcé un discours de guerre, aux accents
de «mourir pour la Patrie» et a mobilisé ses réservistes jusqu’à l’âge de
55 ans. Les civils sont pris pour cible
au Haut-Karabakh, des centaines de maisons sont détruites et l’on compte plusieurs
centaines de morts civils et militaires. La moitié de la population de
l’Artsakh, dont 90 % des femmes et enfants, a été déplacée par les
combats,
Cette situation compliquée devient inextricable
si l’on cherche à comprendre les motivations des divers pays partenaires ou rivaux
qui interviennent dans ce conflit.
La Russie, allié traditionnel et soutien de l’Arménie, maintient une grande base
militaire dans ce pays et lui fournit des armes et les missiles Iskander. Mais la Russie vend aussi des armes à l’Azerbaïdjan
et ne veut pas se mettre à dos ce pays pour ne pas déplaire aux républiques
turkmènes d’Asie centrale. Elle accepterait peut-être que l’Azerbaïdjan
récupère certains territoires mais s’opposerait à une mise en cause de
l’intégrité de l’Arménie.
L’Iran chiite soutient systématiquement l’Azerbaïdjan, quatrième nation
chiite dans le monde. Son chef suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, est lui-même d’origine
azérie. Quatre provinces du nord-ouest iranien sont de langue azérie et certains
séparatistes iraniens les appellent «l’Azerbaïdjan du Sud». L’Iran se
méfie d’un nationalisme azéri trop assumé qui donnerait des idées d’émancipation
à ses 15 millions d’Azéris. De plus, les liens de l’Iran avec l’Arménie sont aussi
très étroits. C’est une étonnante
proximité, pas seulement géographique, entre l’Arménie chrétienne et la
République islamique d’Iran qui lui fournit clandestinement des armes.
Israël a des
relations stratégiques de longue date avec l’Azerbaïdjan. Israël importe une
partie importante de son pétrole d’Azerbaïdjan et exporte des armes vers ce
pays dont des drones armés ultra-modernes. Ces cinq dernières années, l'État
juif a été le premier fournisseur d'armes à l'Azerbaïdjan et a participé à
l’entrainement de ses troupes. S’il se doit «d’honorer» ses contrats,
Israël a déclaré qu’il n’est toutefois «pas directement impliqué» dans
le conflit au Karabakh. Ceux qui critiquent Israël devraient se souvenir que la
realpolitik,
«la politique étrangère d’un pays est
fondée sur le calcul des forces et l'intérêt national». D’ailleurs l’Arménie l’a très bien compris puisque le 17 septembre 2020,
les relations naissantes avec Israël ont été marquées par l’inauguration d’une
ambassade d’Arménie à Tel-Aviv.
Des Azeris vivant en Turquie chantent l'hymne azerbaïdjanais |
Mais c’est la Turquie qui mène la danse. «La République turque est l’héritière de l’Empire ottoman et doit bâtir une union avec l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Turkménistan, même au prix d’une confrontation radicale avec la Russie», aimait à dire l’historien turc Abdulhaluk Çay. Le conflit du Haut-Karabagh a été relancé par le président de l‘Azerbaïdjan Ilham Aliyev et par le président turc Recep Tayyip Erdoğan. Le peuple turc se définit comme issu des «enfants du loup des steppes», c’est-à-dire comme descendant des hordes de Gengis Khan et la Turquie et l’Azerbaïdjan se veulent «un peuple et deux États» qui partagent la même langue et les mêmes aspirations.
La Turquie sunnite
est l’alliée de l’Azerbaïdjan chiite et fournit des armes et des drones à Bakou
et cherche à utiliser ce conflit «comme levier pour que l’Azerbaïdjan revoie
sa relation avec Israël». La Turquie est ainsi présente sur tous les
fronts, de la Syrie à la Libye et poursuit les chimères de l’Empire ottoman. Cette
politique agressive très voyante, s’accompagne d’une activité religieuse plus
discrète mais plus dangereuse encore. Au-delà de la conversion de Sainte-Sophie
en mosquée, Erdoğan finance une activité religieuse très intense dans plusieurs
pays d’Europe, en particulier en Allemagne et en France. Il a déclaré : «Les
amis, sachez que, pendant six siècles, nous avons dominé trois continents et
sept mers. Nous les dominerons de nouveau… Les minarets sont nos baïonnettes,
les coupoles sont nos casques. Les mosquées sont nos casernes, les croyants nos
soldats».
Il a aussi affirmé
le 2 octobre 2020, que Jérusalem appartenait à la Turquie, puisque la ville avait
été pendant des siècles sous le contrôle de l’Empire ottoman. Le soutien actif
à l’attaque azerbaïdjanaise est la dernière péripétie de la politique d’expansion
turque qui se manifeste par l’envoi d’armes et de mercenaires. La présence
d’islamistes syriens pro-turcs aux côtés de l’armée de Bakou ne fait aucun
doute. La plupart sont issus de la minorité turcophone des Turkmènes syriens.
Karabakh |
L’Observatoire syrien des droits de
l’homme (OSDH), une ONG basée en Grande-Bretagne qui dispose d’un vaste réseau
de sources en Syrie, a affirmé que plus de 1.200 combattants de factions
syriennes pro-turques étaient déjà arrivés au Haut-Karabagh. La chaîne
d'information américaine CNN indique que ces mercenaires, transportés dans des
avions turcs, touchent des salaires de 1.500 à 2.000 dollars par mois. En poussant l’Azerbaïdjan à
l’affrontement, Erdoğan lance un défi majeur aux pays de l’Union européenne, qui se soumet en
dépit de protestations de forme.
En France l’opinion publique et les médias sont proches de l’Arménie du fait de
l’importante diaspora arménienne de près de 600.000 personnes, très appréciée
par la population française. Les Français sont solidaires des Arméniens et de
leur combat pour la reconnaissance du génocide qu’ils ont subi en 1915.
Génocide perpétré par l’Empire ottoman durant la première guerre mondiale où
1,5 million d’Arméniens ont été massacrés.
Malgré la quasi
indifférence du pape François, les combats actuels sont vécus par les Arméniens
comme un combat chrétien contre l’Azerbaïdjan musulman. Car les arméniens se souviennent que
l’autre enclave qui fut rattachée à l’Azerbaïdjan,
le Nakhitchevan, a perdu sa majorité arménienne au
cours des décennies. Entre
les Arméniens d’Arménie et ceux du Haut-Karabakh, l’heure est à l’union sacrée.
Des militaires suivent un office religieux à l'église |
Depuis la reprise du conflit, l’Église
apostolique arménienne encourage les combattants au nom de « l’âme de l’Arménie».
«L’Église arménienne est dans une logique de guerre : elle bénit les troupes
et console les populations bombardées». Bakou a pris le
soin de préparer soigneusement son offensive et comptait sur une victoire
rapide. Cependant malgré leur supériorité militaire et la prise de dizaines de
villages et plusieurs centaines de kilomètres carrés de terrain, les Azéris
n’ont pas réussi à défoncer la ligne dite de contact. Car les Artsakhiotes se
battent avec détermination et défendent avec acharnement leur territoire
ancestral. Ils sont viscéralement attachés à leur terre et se battent
pour leur survie. «C’est un sacrifice
indispensable pour l’avenir de notre peuple». Si l’offensive militaire
azérie réussit, les Arméniens du Haut-Karabakh seront contraints à l’exode. La
troisième semaine de combats sera décisive.
"Papy flingueur" ? Enfin pas trop tout de même concernant Israël, qui doit honorer ses contrats, n'est "pas directement impliqué", sans doute, mais dont les armes à sous-munitions ont tout de même été utilisées sur des zones résidentielles.
RépondreSupprimerIl est vrai que les Arméniens ont très bien compris que la politique étrangère d'Israël est fondée "sur le calcul de forces et l'intérêt national", et ils l'ont même si bien compris qu'ils ont inauguré une ambassade à Tel-Aviv !
à Marianne ARNAUD
RépondreSupprimerLe terme "honorer" est mis entre guillemets et correspond au point de vue israélien.
Dans son communiqué,Amnesty International qui est traditionnellement anti-israélien "corrobore" l'utilisation d'armes à sous-munitions.
Cette accusation n'a pas été reprise par la partie arménienne.
Je pense que cette fois, c'est la Turquie qui mérite d’être dénoncée par le "Papy flingueur".
Trois pays sont les principaux fournisseurs d'armes de l’Azerbaïdjan: La Turquie, Israël et la Russie ce qui n’empêche pas ce dernier pays de s’afficher en maître du jeu diplomatique dans l’établissement de la trêve de ce samedi. Un bon exemple de realpolitik.
Article très clair. Pour ma part, j'en retiens deux passages, qu'on aurait du mal à retrouver dans les médias hexagonaux : 1) Le peuple turc se définit comme issu des «enfants du loup des steppes», c’est-à-dire comme descendant des hordes de Gengis Khan. Sympathique : on sait désormais à quoi s'attendre. 2) Erdoğan finance une activité religieuse très intense dans plusieurs pays d’Europe, en particulier en Allemagne et en France. Il a déclaré : «Les amis, sachez que, pendant six siècles, nous avons dominé trois continents et sept mers. Nous les dominerons de nouveau… Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles sont nos casques. Les mosquées sont nos casernes, les croyants nos soldats.» Exhaustive définition de la stratégie de ce pays que certains voudraient associer à l'Union européenne...
RépondreSupprimerA Yaakov Neeman :
RépondreSupprimerMême si, comme vous dites, certains voudraient associer ce pays à l’Union Européenne mais que, pour l’instant, ils ne sont pas encore majoritaires, il faut cependant bien se rendre à l’évidence que, compte tenu de l’activité RELIGIEUSE très intense financée par Erdogan dans pratiquement toute l’Europe avec, j’ajoute, et c’est IMPORTANT, la bénédiction de quasiment tous les gouvernements européens (frontières ouvertes à l’immigration DE MASSE, donc incontrôlée, et signatures de traités ici ou là etc.), nul besoin pour la Turquie d’entrer dans l’Union Européenne par la grande porte puisqu’elle y est déjà entrée par toutes les autres ouvertures.
En effet, ça devient plus qu’évident que le cheval de Troie turc a déjà déversé une grosse cargaison de louveteaux du loup des steppes qui ont largement proliféré depuis. Pour preuves, les SIGNES bien visibles religieux de l’avancée turque, notamment dans le vestimentaire et l’alimentaire, qui s’imposent de plus en plus en France, les attaques incessantes contre les lois républicaines par exemple dans le domaine de la mixité (piscines – bains publics – plages, etc.), la volonté d’imposer le port du voile dans tous les espaces, également la volonté de casser les codes comportementaux «européens» entre hommes-femmes (par ex. poignées de mains entre officiels), le mépris, pour beaucoup, des circuits légaux d’abattage des animaux, particulièrement pendant les fêtes, ETC.
Cette avancée turque a fait aussi que l’on ne peut pas débattre en France de l’islam comme on le fait si facilement au sujet de TOUTES LES AUTRES religions sous peine de menaces, d’intimidation, et d’actes terroristes...
Tous ces SIGNES aujourd’hui parfaitement VISIBLES, qui ne sont en fait que la REALITE de ce que dit OUVERTEMENT Erdogan au monde, prouvent que la Turquie est bel et bien implantée en France, donc en Europe. C’est juste que l’Union Européenne ne veut pas l’admettre, et refuse, comme toujours, l’EVIDENCE ! A force de se leurrer, cette dernière finira par se réveiller un jour non plus en Europe mais bien, comme dit sur les réseaux sociaux, en Eurabia...
A Yaakov Neeman : Le commentaire paru sous "anonymous" est en fait mon commentaire. J'ai du coché la mauvaise case lors de l'envoi ("anonyme" au lieu de "Nom/URL"), désolée. Ingrid Israël-A.
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