LE LIBAN EN ROUTE VERS LA CRISE POLITIQUE ET LE CHAOS
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le
Hezbollah n’est pas, pour l'instant, l'instigateur du chaos au Liban et il préfère garder
un profil bas dans les troubles que traverse le pays, estimant qu’il n’a aucun
intérêt à envenimer la situation. Certes les causes des manifestations sont
uniquement d’ordre économique pour lesquelles il a peu de marge de manœuvre. C'est ainsi que le même jour, aux antipodes l’un de
l’autre, Hassan Nasrallah et Samir Geagea ont pris la parole pour prendre date.
Samir Geagea |
Dans
son discours, Hassan Nasrallah a confirmé qu’il ne souhaitait pas la démission
du gouvernement libanais. Il n’occupe en fait aucun poste ministériel mais Saad
Hariri est actuellement à la tête d'un gouvernement multipartite incluant son
mouvement, le Courant du Futur, qui rivalise avec le Hezbollah et le Mouvement
Patriotique Libre du président Aoun. Hassan Nasrallah soutient le gouvernement
actuel sous réserve «d’un nouvel ordre du jour et d’un nouvel esprit».
Il a déclaré dans son discours que «quiconque se dégageait de ses
responsabilités devait être tenu pour responsable par le peuple libanais, en
particulier par ceux qui avaient joué des rôles dans les gouvernements
précédents».
Samir
Geagea, maronite chef du Parti des forces libanaises, a annoncé que quatre
ministres de son parti avaient décidé de quitter le gouvernement car «nous
n'avons pas vu d'intention sérieuse de la part des responsables libanais de
faire face aux crises». Il estime que le problème ne concernait pas le «système
politique libanais mais la majorité au pouvoir». Il a accusé le Hezbollah
d’être responsable de la situation actuelle au Liban alors que celui-ci
souligne d’une part une énorme crise de confiance entre le peuple et l’État et appelle au maintien du gouvernement actuel d’autre part. En revanche,
le leader des Druzes, Walid Joumblatt n’envisage pas de demander à ses
ministres de quitter le gouvernement.
Saad
Hariri a soulevé que «le pays traverse une période difficile et sans
précédent mais les réformes ne signifient pas forcément une augmentation des
impôts». D'ailleurs, il a été menacé par Nasrallah : «Si de nouvelles
taxes sont imposées aux pauvres, alors nous allons descendre dans la rue».
Geagea
n’a pas mâché ses mots vis-à-vis de Nasrallah. Il a déclaré que le «Liban ne
pouvait être aussi efficace et fort qu’un État tant que le Hezbollah
continuerait d’être armé». Cela est devenu cependant une rengaine stérile. Il semble approuver les sanctions américaines contre la
milice : «Plus les sanctions seront sévères, plus cela se
reflétera dans le financement du Hezbollah tel qu'il apparaît sur la scène
libanaise. Le groupe souffrira de son influence globale. Même si une grande
partie du Hezbollah est animée par une idéologie, une doctrine et un sentiment
religieux, nous parlons de dizaines de milliers de personnes qui touchent des
salaires, des institutions sociales et beaucoup d'aide. Par conséquent,
cela produira ses effets».
Mais
cette crise démontre que Hassan Nasrallah n’est plus le leader charismatique
capable de calmer la colère sociale face à Saad Hariri et le chef du plus
grand parti chrétien et Gebran Bassil, gendre du président. Aucun de ces
dirigeants n’est prêt à accepter les doléances des milliers de manifestants qui
exigent la démission du gouvernement car ils veulent éviter toute tentative
d’exploitation politique du mouvement de contestation. La question reste de
savoir combien de temps ils vont pouvoir résister face à ces vagues de
manifestants.
A noter que c’est la première fois qu’un discours de Nasrallah est si mal
accueilli. Dans la ville de Tyr, au sud du Liban, des hommes armés ont pris à
parti des dizaines de personnes qui scandaient des slogans hostiles au président
du Parlement, Nabih Berri, chef du parti chiite Amal.
La
population ne voit pas d’amélioration dans les infrastructures délabrées qui
datent du programme de reconstruction de la ville, après la guerre civile des années 1975-1990. Elle
trouve anormale la pénurie d’eau potable et d’électricité dans le pays. Il est
vrai que le Liban subit les conséquences de la guerre de Syrie avec un afflux
massif de réfugiés représentant à présent 25% de la population. Le pays ne
connait plus de croissance face à la mauvaise gestion et à la corruption
généralisée. La dette publique s’élève à 86 milliards de dollars, soit 150% de
son PIB. Il s’agit du troisième taux d’endettement le plus élevé au monde après
celui du Japon et de la Grèce. Alors qu’il avait reçu l’an dernier 11 milliards
de dollars de dons, il n’a pas respecté ses engagements de mettre en place des
réformes.
Saad
Hariri se sent acculé et son seul objectif est de tenter de sauver la face.
Il s’est donné un délai
de 72 heures jusqu’à lundi soir pour proposer un plan de sauvetage économique
et financier que les partis politiques devraient accepter. Il lui est difficile
à la fois de réaliser des réformes structurelles pour empêcher la faillite de
l’État et de mettre fin à l’explosion sociale, à fortiori lorsqu’il est
abandonné par son allié Samir Geagea. Il a proposé un projet de budget sans
nouvelles taxes ou impôts avec un déficit de zéro. Son gouvernement, constitué
de bric et de broc avec des partis qui s’opposent sur une vision économique
différente, n’est plus crédible ce qui explique que les manifestants prônent le
dégagisme.
La
crainte est grande que ces manifestations, couplées avec l’implication du
Hezbollah et la situation régionale tendue, entraînent un conflit avec Israël
comme en 2006, pour détourner la population des réalités politiques du Liban. Le Hezbollah est membre à part entière de la vie politique intérieure du pays,
sachant qu’il prospère dans le terreau de l’instabilité politique. La communauté
internationale, l’ONU et en particulier la France, qui a une véritable
responsabilité ainsi que les atouts pour résoudre la crise, ne semblent pas vouloir
intervenir avant que la crise ne se cristallise. La libanisation du Liban est à nouveau en bonne voie.
1 commentaire:
Le Hezbollah a pris en otage l'Etat libanais qui n'a plus de souveraineté. Son implication dans la guerre en Syrie a entraîné le pays du Cèdre dans une spirale de décomposition régionale.
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