ERDOGAN LE DICTATEUR DÉMOCRATE
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright
© Temps et Contretemps
D’ordinaire les dictateurs se comportent autrement quand il s’agit des
élections. Généralement, ils enferment les opposants, au moins
administrativement le temps du scrutin, menacent leurs soutiens et bourrent
sans scrupules les urnes pour obtenir le résultat escompté. Pour les élections
locales d’Istanbul, Erdogan a laissé parler la démocratie qui a désigné Ekrem Imamoglu
du parti CHP comme maire d’Istanbul, l’ex-Constantinople, le principal centre
économique (pôle financier, commercial et industriel) de la Turquie mais aussi
la capitale culturelle du pays. En laissant le candidat gouvernemental de l’AKP,
Binali Yildirim, se faire battre, il subit la plus grande défaite politique de
sa carrière.
L’annulation des précédentes élections sous prétexte d’irrégularités n’a pas changé le résultat car selon le nouveau maire : «Vous ne pouvez pas
cacher la réalité en l'enterrant». Imamoglu avait gagné en mars avec seulement un écart
de 13.000 voix dans une ville de plus de 10 millions d'électeurs. Lors de ce
nouveau scrutin, la population a confirmé son vote avec 54,03% contre 45,09%
pour Yildirim, soit 700.000 voix d’écart. Le résultat ne peut plus être
contesté mais Imamoglu a la victoire modeste et tient à rassembler : «le
résultat ouvre une nouvelle page mutuelle à Istanbul et je m’engage à gouverner
la ville avec justice et amour au lieu d'arrogance et d'aliénation. Les
électeurs ont confirmé la tradition de démocratie de la Turquie. Vous avez
donné une leçon à ceux qui assimileraient la Turquie à des pays proches de nous»
faisant ainsi allusion aux pays arabes.
Bulent Turan |
Si Yildirim a félicité son adversaire, le président du
groupe parlementaire de l’AKP, Bulent Turan, a la défaite amère et veut exiger des mesures contre certains
membres du parti : «Le moment est venu pour les personnes qui ont
attristé notre dirigeant et ses partisans à Istanbul de rendre des comptes et
d'être jugés». Erdogan a préféré rester digne devant sa défaite : «Je
félicite Ekrem Imamoglu, qui a remporté les élections selon des résultats non
officiels. La volonté nationale s'est à nouveau exprimée. J'espère que les résultats
des élections seront positifs pour Istanbul».
Cette échec politique représente
la plus grande défaite de la carrière politique d'Erdogan. Elle s’explique
par le vote contestataire d’une certaine élite turque et des Kurdes. Il paie sa
volonté de renforcer son pouvoir par une présidence exécutive mais surtout son
alliance avec le parti d’action nationaliste d’extrême-droite MHP, un certain
temps interdit. Il devra revoir sa politique vis-à-vis des citoyens de la
classe moyenne qui ont marqué leur désapprobation. Ce nouveau résultat aggrave psychologiquement la situation dans le pays car le
parti AKP aurait dû accepter le faible résultat du 31 mars, moins pénalisant.
Ce résultat donne un réel espoir à la démocratie ainsi qu'à l’opposition qui pense à présent avoir des chances de l’emporter dans un scrutin
régulier. Il faut noter qu’Istanbul est un bastion de l’AKP depuis qu’Erdogan
avait conquis la ville dans les années 1990. Cette défaite, ajoutée à celle de
la perte de contrôle de la capitale Ankara, sonne comme un début de reflux du
pouvoir. Le dictateur semble avoir un genou à terre. L’opposition dispose de
quelques années pour se réorganiser sachant que les élections législatives n’auront
pas lieu avant 2023.
Ce revers, aggravé par les faiblesses structurelles de
l'économie et par la politique extérieure douteuse de Recep Tayyip Erdogan, sonne
comme un avertissement sérieux. Le bras de fer avec Trump, les provocations
permanentes vis-à-vis de ses alliés occidentaux, sa rhétorique guerrière,
voire mystique, le déficit des paiements de 5,5% du PIB toujours préoccupant
malgré une bonne croissance, et la chute dramatique de la livre turque, vont
mener le président à revoir sa copie et à descendre de son piédestal.
Israël ne pourra être
que bénéficiaire d’une refondation de la politique turque. Les relations entre
la Turquie et Israël se sont envenimées. Erdogan et Netanyahou avaient échangé des
accusations de «terrorisme» lors d'une brusque escalade verbale entre
leurs pays, sur fond de tensions autour du statut de Jérusalem. Tout
affaiblissement du dictateur sera bien reçu par Israël qui attend de retrouver
les relations amicales d’antan ; mais cela passera par un changement de
régime en Turquie dont on entrevoit à peine les prémices de la chute.
1 commentaire:
des resultats reçus avec enthousiasme en Israël mais pas beaucoup d échos dans le monde.
Pourtant le reflux d un islamiste qui entraîne son pays dans le sillage des frères musulmans est en soit une excellente nouvelle.
Enregistrer un commentaire