En fonction depuis
un an maintenant et déjà auteur de déclarations fracassantes tels les «pays
de merde», le président américain a surpris une nouvelle fois le
monde en reconnaissant le 6 décembre dernier «Jérusalem capitale
d’Israël», avec son intention d’y installer l’ambassade de son pays.
Quinze jours plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies condamnait à une
large majorité cette décision considérée comme une provocation inacceptable. La
France y avait apporté sa voix. Il n’en demeure pas moins qu’Israël, même sans
le soutien américain, ne lâchera pas Jérusalem dans sa globalité.
Jour ordinaire
dans notre calendrier grégorien, le 19 avril prochain sera jour de fête en Israël
qui célébrera selon le système lunisolaire hébraïque les 70 ans de son existence,
tout particulièrement à Jérusalem. Le monde, et pas seulement les pays arabes,
ne manquera pas de renouveler critiques et condamnations pour ce qu’il
considère comme une violation flagrante du droit international. En effet, selon
la fameuse résolution 181 du 29 novembre 1947, un statut spécial est réservé à cette
cité que plusieurs siècles durant les cartes représentaient au centre du monde.
Espérant qu’un peu
de désordre pourrait continuer à servir ses intérêts, la Grande-Bretagne avait en
1946 accordé l’indépendance à un royaume hachémite de Jordanie, de l’est du
Jourdain à la mer Rouge. Pour ce qui restait de la Palestine mandataire, la
résolution de 1947 prévoira la constitution de deux «États
indépendants arabe et juif» au plus tard le 1er octobre
1948, soit deux mois après le départ des troupes britanniques. À aucun moment,
le texte des Nations Unies n’évoque la création d’une Palestine arabe. Il
faudra attendre la réunion du Conseil national palestinien à Alger en 1988 pour
que soit créé par Arafat un État de Palestine avec Jérusalem pour capitale.
Administrateur
colonial, capitaine dans l’armée de la France libre et compagnon de la
Libération, catholique revendiqué, Thadée Diffre débarque à Haïfa au printemps
1948 et prend le pseudonyme de Teddy Eytan. Six mois plus tard, à la tête d’un
commando de la Haganah, il s’empare de Beercheva. Dans ses souvenirs publiés en
1950 sous le simple titre «Néguev», les «Palestiniens
autochtones» étaient pour lui les «sabré», ceux
qu’on appelle aujourd’hui les sabras ou Juifs nés en Palestine, son camarade Noury
Cohen, «Madame Sachs, une Palestinienne millionnaire[1]»
qu’il va rencontrer. Les Arabes ne sont mentionnés que comme tels. Ils
n’étaient pas palestiniens.
Dès 1948 et
jusqu’à Kippour de 1973, les Arabes de Palestine intégrés dans les forces
arabes ont fait à trois reprises la guerre à Israël et trois fois ils l’ont
perdue[2]. Ces
échecs répétés ont permis au nouvel État juif de prendre puis d’annexer
Jérusalem. Le lui reprocher comme il est coutumier, en dénoncer le caractère
illégal, serait admettre que l’emploi des armes par les Arabes prévaut sur le droit international reconnu dans les
documents adoptés par les États membres de l’ONU. Ceux-ci n’ont pas valeur
juridique imposable aux parties[3].
Au printemps, Emmanuel
Macron fera au Proche-Orient le pèlerinage obligé de tout président de la
République. Déjà rendue compliquée du fait des troubles, des conflits
politiques et/ou religieux qui embrasent la région depuis plusieurs années, sa
tâche n’a pas été facilitée par ses prédécesseurs.
Le projet de
conférence internationale lancé par François Mitterrand fin 1985 a échoué à
Madrid six ans plus tard. La réception d’Arafat à l’Élysée le 2 mai 1989 au jour
de la commémoration de la Shoah, l’octroi d’une «garantie de non-agression»
présentée au Conseil de sécurité mi-janvier janvier 1991 contre «l’intention»
de Saddam Hussein de procéder à l’évacuation du Koweït en sont les témoignages
les plus marquants. Plus récemment, on a vu ce que pouvait donner la rencontre réclamée
par Laurent Fabius, avant son départ du Quai d’Orsay pour le Conseil
constitutionnel, puisqu’elle contenait la reconnaissance d’un État palestinien
en cas de blocage.
En octobre 2016, l’Unesco
a de son côté adopté une résolution n’accordant qu’aux seuls musulmans droits
et facilités sur l’esplanade sainte. En s’abstenant, la France a en fait donné
son accord, alors que l’Allemagne et le Royaume-Uni s’y opposaient. Ce document
témoigne encore d’une méconnaissance délibérée de la culture historique et
religieuse des lieux saints. L’expression «mosquée Al-Aksa/Al Haram
Al-Sharif» figure 18 fois dans ce texte. La mention de la Place
Al-Buraq sans parenthèses ni guillemets est complétée par «("place
du Mur occidental")», ce qui montre le peu de cas que
l’institution et notre pays accordent à l’histoire du peuple juif auquel
appartient sa nouvelle directrice. Ce qui ne facilitera pas sa tâche.
Alain Pierret avec Jacques Chirac, Yitzhak Shamir et Teddy Kolek |
De fait, pour la
France, selon les arrêtés publiés au Journal officiel en 1985 et 1993, la capitale
d’Israël est Tel Aviv. Lorsqu’ils viennent s’entretenir avec leurs homologues, tous
nos responsables politiques se rendent avec l’ambassadeur à Jérusalem qui, on
le sait, n’est pas sous sa responsabilité administrative.
Autre aspérité
dans les relations franco-israéliennes, la situation singulière du monastère
d’Abou Gosh. Propriété nationale de plusieurs hectares à proximité de Jérusalem
mais située en territoire israélien non contesté, il dépend du Consulat
général. L’explication s’en trouve dans une «légère dérogation»
prise au lendemain de l’indépendance «pour des raisons d’ordre
purement pratique» (état des routes notamment) depuis longtemps
disparues.
Outre ces
difficultés, le Président devra naturellement traiter d’un autre sujet de grave
préoccupation, l’occupation des territoires et le développement continu des
colonies de peuplement. La formation d’un seul ensemble, fut-il sous forme
confédérale, paraît difficilement envisageable. On en revient donc à la formule
de deux États, Israël et un pays arabe de Palestine lui aussi indépendant et
souverain. Leurs limites seraient celles de 1967, hors Jérusalem.
Les Israéliens ne renonceront
pas à leur capitale. Pour leur part, les Palestiniens associent
politique et religion, indûment puisque, leur capitale ne saurait exister sans
comprendre l’Esplanade dite des Mosquées, voire le Saint-Sépulcre, position
embarrassante pour notre France laïque.
En conférence de
presse le 17 novembre 1948 au lendemain de la prise du Néguev par les Juifs, le
général de Gaulle s’était dit «fort étonné qu’en définitive Jérusalem
ne fît pas partie de leur État, à la condition qu’il y ait pour Jérusalem un
régime international qui assure les droits de la chrétienté».
À l’époque, les
musulmans ne comptaient pas, mais le principe demeure. Il faudra trouver une
capitale aux nouveaux Palestiniens. Le choix d’Abu Dis, proche de Jérusalem,
est évoqué. Pourquoi pas Hébron, la plus grande ville arabe de Cisjordanie. On
y trouve le caveau des patriarches où Ismaël et Isaac ont enterré leur père
Avram, Ibrahim - Abraham, lieu saint d’importance pour le judaïsme et l’islam,
actuellement sous contrôle israélien. Les Palestiniens en assureraient la gestion
comme le feraient les Israéliens à Jérusalem. Ce serait en quelque sorte établir
un équilibre qui contraindrait les deux parties à la modération. Les unités
militaires assurant la sécurité du petit quartier juif, conservé contre toute
équité, au centre-ville s’en retourneraient de l’autre côté de la frontière,
ses habitants étant naturellement libres de rester sous administration locale
ou d’en partir.
La même question
se poserait pour l’ensemble des territoires d’une Palestine souveraine. La paix
étant assurée, la manne que les États-Unis dispensent généreusement à Israël pour
sa défense pourrait, au moins pour partie, aider au retour de certains exilés comme
au déplacement des habitants des colonies qui le souhaiteraient.
Utopie ? Sans
doute. Benjamin Netanyahou se réjouit de la position du président américain sur
Jérusalem. Il soutient également que l’accord avec l’Iran sur le nucléaire doit
être dénoncé. D’un autre côté, la récente déclaration de Mahmoud Abbas à Ramallah
n’incite guère à l’optimisme, d’autant qu’elle est rejetée à Gaza par le Hamas.
Enfin, les conflits qui déchirent le monde arabo-musulman ne sont pas de nature
à encourager les États voisins à prendre, comme dans le passé, la défense des
revendications palestiniennes.
[1].
Ayala Zachs-Abramov, veuve d’un homme d’affaires canadien tué au front en 1940.
Elle-même débarquera en Provence avec le grade de capitaine. Jack Lang lui
refusa l’organisation à Jérusalem d’une exposition de peinture française
contemporaine.
[2].
Objecter qu’en 1967 le premier coup de feu a été tiré par les Israéliens, c’est
oublier que le blocus imposé par l’Égypte était un acte de guerre. Ce que,
en sens inverse – interdiction d’accès de l’Europe aux produits anglais –
Napoléon paya cher (campagne de Russie).
[3].
La France ne respecte pas les résolutions prévoyant 0,70 % du PIB annuel pour
l’aide publique au développement (APD), décidées à l’ONU et confirmées par la
FAO dans les « Objectifs du Millénaire » adoptés en 2000. Des
milliards d’euros chaque année qui auraient pu nous mettre en meilleure
position pour limiter l’afflux des migrants africains.
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