TURQUIE, IRAN ET ISRAËL APRÈS LE PUTSCH RATÉ
Par Jacques BENILLOUCHE
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Erdogan, en raison de sa politique débridée tout azimut et du coup d’État manqué, est contraint de réorienter sa politique internationale. Il compte sur l'Iran qui lui restera fidèle malgré la rivalité historique entre la Perse et l’Empire ottoman. L’Iran et la Turquie ont souvent eu des destins parallèles. Leurs programmes de modernisation se ressemblaient au lendemain de la guerre. La République de Turquie a été fondée par Atatürk en 1923 sur la base d’une politique de modernisation autoritaire. Reza Shah de la dynastie Pahlavi en fit de même en 1925. Ces deux pays ont eu une période de collaboration intense des années 1950 jusqu’à la Révolution islamique de 1979.
Iran : l'assemblée des Experts |
À l’avènement de la République islamique, les relations
entrèrent dans une période de turbulences qui n'empêchèrent pas le développement des échanges commerciaux. L’arrivée au pouvoir des islamistes de l’AKP en
2002 détendra les relations bilatérales avec une multiplication des visites
officielles et une collaboration accrue dans le domaine énergétique. Les deux
pays iront jusqu’à tenter en 2010 de trouver une issue à la crise du nucléaire
iranien. Mais la guerre civile syrienne détériora les rapports politiques entre
les deux pays car Téhéran tenait à rester fidèle à son alliance avec Damas
alors qu’Ankara soutenait l’opposition syrienne pour se rapprocher de l’Arabie
saoudite et du Qatar.
Erdogan et Rohani |
Après son élection en 2013, le président iranien Hassan
Rohani exploita la présence croissante en Syrie de groupes radicaux menaçant
la sécurité de la Turquie pour se rapprocher d’Erdogan. Il concrétisa ses nouvelles
relations par un déplacement historique à Ankara en juin 2014. De nombreux
accords économiques et énergétiques ont été conclus à cette occasion, avec des
objectifs très ambitieux. Mais les questions de l’Irak, de la Syrie, du Yémen ainsi
que les ambitions régionales de l’Iran ont pesé sur leurs rapports jusqu’à
pousser Erdogan à accuser l’Iran, en mars 2015, de vouloir dominer la région.
Malgré cet intermède, le 7 avril 2015, le président Erdogan entreprit un voyage
officiel à Téhéran, où il fut reçu avec un faste inhabituel.
Les deux dirigeants savent qu’il existe une véritable
complémentarité économique et géopolitique entre leurs États. L’Iran, qui
possède d’importantes réserves de gaz et de pétrole, fournit l’énergie dont la Turquie a besoin en échange de produits agricoles et industriels. Le
territoire turc est devenu un espace de transit énergétique entre l’Europe et
l’Asie tandis que l’Iran a trouvé une ouverture vers l’Europe tout en
permettant à la Turquie d’accéder au Caucase et à l’Asie centrale. Enfin, en
tant qu’États non arabes au Moyen-Orient, peuplés de 80 millions d’habitants
chacun, ils sont conscients que leur avenir politique dépend du terrain
d’entente sur lequel ils peuvent se fonder.
Qassem Soleimani |
Ces intérêts convergents expliquent que la collaboration au
sommet a été totale à l’occasion de la tentative de putsch. Les Iraniens
étaient prêts à apporter une aide éventuelle pour neutraliser les mutins. Durant
les premières heures d’incertitude, Jawad Zarif, ministre iranien des affaires
étrangères, était en relation constante avec son homologue turc Mevlut
Cavusoglu pour s’informer de l’évolution de la situation et pour, le cas
échéant, envisager un soutien concret à Erdogan. Ali Shamkhani, secrétaire iranien
du Conseil suprême de sécurité nationale (SNSC), analysa la situation avec les
chefs sécuritaires turcs.
La lacune des mutins, qui n’ont pas coupé les communications avec l’étranger, a permis à Qasem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods, bras armé des Gardiens de la Révolution, et par ailleurs responsable des opérations spéciales extérieures, d’être sollicité avec son État-Major pour évoquer les différents scénarios pour briser la rébellion.
Ali Shamkhani |
La lacune des mutins, qui n’ont pas coupé les communications avec l’étranger, a permis à Qasem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods, bras armé des Gardiens de la Révolution, et par ailleurs responsable des opérations spéciales extérieures, d’être sollicité avec son État-Major pour évoquer les différents scénarios pour briser la rébellion.
Les griefs iraniens, en raison du système de défense
antimissile de l'OTAN installé sur le territoire turc et considéré comme un moyen
américain pour protéger Israël, étaient entrés du domaine du passé. La coopération entre l’Iran et la Turquie continua dans de nombreux domaines, en particulier dans la lutte contre le
terrorisme et contre le narcotrafic. Les deux pays se sont engagés à lutter
conjointement contre les terroristes en Irak, alors que le PKK représente une
menace sérieuse pour la Turquie. Le commerce bilatéral a fortement augmenté
depuis ces dernières années.
L’Iran n’a pas hésité à apporter un soutien ferme à
Erdogan au cours de la tentative de coup d’État et il n’en a pas fait un secret.
La prise du pouvoir par les militaires turcs n’était pas acceptable pour les Iraniens qui voulaient cependant en faire un exemple. Le
gouvernement turc devait dorénavant respecter les opinions et les votes des Syriens, libres de décider de leur sort. L’Iran a estimé devoir intervenir pour sauvegarder la
menace contre la stabilité de la région avec le risque de répercussions aux
alentours. La propre sécurité de l’Iran dépend de la stabilité en Turquie sans
compter que depuis l’avènement d’un
régime islamiste en Turquie, les relations bilatérales se sont améliorées.
Erdogan avait été très actif pour aider son voisin face aux
sanctions liées au nucléaire iranien, par intérêt économique certes. Il avait continué à commercer avec l’Iran
pour ses besoins pétroliers grâce à un système complexe d’intermédiaires permettant de passer à travers le filet des sanctions. D’ailleurs, à présent que
le marché a été libéré, les deux pays s’attendent à tripler leur volume
commercial pour atteindre 30 milliards de dollars. Il était de 2 milliards en
2001 et était passé à 22 milliards en 2012. C’est pourquoi l’Iran a tout fait
pour sauver Erdogan en lui fournissant les informations de ses services
secrets. L’agence officielle iranienne Irna fait état d’une conversation
téléphonée entre Recep Tayyip Erdogan et Hassan Rohani.
Rohani, Erdogan et Khamenei |
L'avenir du choix politique se pose à présent
après la réconciliation entre Israël et la Turquie. La question pour Israël est de savoir comment il va s'insérer entre l'alliance de ces deux Grands du Moyen-Orient. La Turquie n'a pas renoncé à mettre son grain de sel à Gaza. Israël n’a pas obtenu la
fin des contacts avec le Hamas alors que fin juin, Erdogan avait reçu le chef
du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal. En difficulté à Gaza, le Hamas
s’est d'ailleurs orienté à nouveau vers l’Iran pour avoir des armes et une aide militaire.
Sur ordre des Iraniens, le Hamas pourrait faire capoter la réconciliation israélo-turque alors que Erdogan cherche à jouer un rôle de modérateur entre Israël et l’Iran. D’ailleurs en Israël le discours guerrier n’est plus de mise. L'ancien ministre de la Défense Moshe Yaalon, avait annoncé il y a quelques semaines que «à ce stade, et dans un avenir prévisible, il n'y a pas de menace existentielle face à Israël. Ainsi, il convient que la direction du pays cesse d’effrayer les citoyens et de cesser de leur donner le sentiment que nous nous trouvons devant une seconde Shoah».
Mechaal - Erdogan |
Sur ordre des Iraniens, le Hamas pourrait faire capoter la réconciliation israélo-turque alors que Erdogan cherche à jouer un rôle de modérateur entre Israël et l’Iran. D’ailleurs en Israël le discours guerrier n’est plus de mise. L'ancien ministre de la Défense Moshe Yaalon, avait annoncé il y a quelques semaines que «à ce stade, et dans un avenir prévisible, il n'y a pas de menace existentielle face à Israël. Ainsi, il convient que la direction du pays cesse d’effrayer les citoyens et de cesser de leur donner le sentiment que nous nous trouvons devant une seconde Shoah».
Les Iraniens, pour l’instant, font tout pour honorer
l'accord sur le nucléaire. D’ailleurs, l’AIEA (Agence internationale de
l'énergie atomique) a confirmé que l'Iran respectait ses obligations en vertu
de l'accord. Certes la posture du Hezbollah et de Téhéran envers Israël n’a pas varié
vers plus d’agressivité mais l'entrée de la Russie sur la scène du Moyen-Orient n’est
pas étrangère à cette évolution vers plus de dialogue. Erdogan reste quand même inquiet de l'avenir.
Il est certain qu’après les élections présidentielles
américaines, l'engagement politique de Washington vis-à-vis de l’Iran va
décliner. Ni le candidat républicain Donald Trump, ni la candidate démocrate
Hillary Clinton n’ont émis le désir de continuer sur le chemin de l'administration
Obama avec l'Iran. Ils se sont engagés à respecter l'accord mais ils ne
s’opposeraient pas, le cas échéant, à de
nouvelles sanctions du Congrès. Hillary Clinton a précisé que sa priorité sera
de reconstruire les relations avec Israël et l'Arabie Saoudite. L’Iran ne
serait plus prioritaire. Cela explique que de nombreuses banques américaines soient frileuses après avoir jugé le
risque d'entrer dans le marché iranien trop élevé en raison des défis
politiques du côté américain.
Rohani a donc anticipé le coût politique d’une révision américaine à son égard. Les Iraniens auraient plus que jamais besoin des Turcs et ne verraient pas d’un mauvais œil un revirement de leur politique à l’égard d’Israël pour obtenir une ouverture totale de leur marché vers l’Occident. Quant à Erdogan, il compte plus que tout sur Israël et sur ses lobbies pour que son intégration à l’Union Européenne ne soit pas retardée. Après six années de brouille, le charme est rompu; Israël ne retrouvera plus le même niveau de chaleur dans ses relations avec la Turquie. Que fait donc Israël dans cette galère conduite par Erdogan et Rohani ?
Rohani a donc anticipé le coût politique d’une révision américaine à son égard. Les Iraniens auraient plus que jamais besoin des Turcs et ne verraient pas d’un mauvais œil un revirement de leur politique à l’égard d’Israël pour obtenir une ouverture totale de leur marché vers l’Occident. Quant à Erdogan, il compte plus que tout sur Israël et sur ses lobbies pour que son intégration à l’Union Européenne ne soit pas retardée. Après six années de brouille, le charme est rompu; Israël ne retrouvera plus le même niveau de chaleur dans ses relations avec la Turquie. Que fait donc Israël dans cette galère conduite par Erdogan et Rohani ?
2 commentaires:
Que fait Israël entre Turquie et Iran ?
Ce qu'il peut ! On est au Moyen- Orient et les joueurs peuvent renverser l'échiquier quand ils pensent ne pas pouvoir gagner ! Et les analyses du jour se fanent comme roses en soirée .
Bon, ça occupe même si ça ne préoccupe pas
Andre M Tribune juive
Deux régimes et deux pouvoirs tirant leurs pays respectifs dans le sens contraire de la marche de l’Humanité… il n’y a rien de bon qui se dégage des deux politiques tant sur le plan interne que sur le plan externe : détérioration et absence des libertés avec arrestations arbitraires de journalistes, de syndicalistes….. chez l’un et étouffement de l’expression démocratique totale chez l’autre, répressions à l’égard de l’identité kurde dans les deux pays. Accointance des deux pays avec le hamas et le hesbollah non seulement contre ISRAEL mais également contre la paix dans cette région du Monde, tenant compte que les deux mouvements s’inscrivent dans une démarche de fauteurs de troubles (terrorisme pour l’un et bellicisme tout azimut pour l’autre). A l’instar de ce qui fut fait en Europe, l’’équilibre régional dans cette partie du monde avec une paix durable pour tous ISRAEL, l’Egypte, l’Arabie Saoudite, l’Iran et la Turquie, ne peut se traduire que dans la mesure où ces pays islamo-arabophones se dotent d’institutions démocratiques, respect des droits de l’homme sur le plan interne et d’ouverture en tant que pays civilisés vers l’extérieur.
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