À
NOUAKCHOTT, LA LIGUE ARABE CONFIRME SON INUTILITÉ
Par Jacques
BENILLOUCHE
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La Ligue arabe fut
fondée le 22 mars 1945 au Caire par sept pays, l'Égypte, l'Arabie saoudite,
l'Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen du Nord, et compte
aujourd'hui vingt-deux États membres. À l’origine, l'association visait à
affirmer l'unité de la nation arabe et l'indépendance de chacun de ses membres.
C’est pourquoi l'action de la Ligue fut d'abord dirigée contre l'ingérence des
puissances coloniales européennes dans la région, en l'occurrence la France et
le Royaume-Uni.
Mais à partir de 1948, l'État
d'Israël fut considéré comme un intrus dans le monde arabe, rendant son
existence illégitime. La noble cause initiale de la Ligue Arabe, consistant à
se battre pour libérer ses membres du colonialisme, a été dévoyée. Presque tous les sommets de la Ligue arabe
auront alors pour thèmes les événements spécifiques du conflit avec Israël et
les résolutions les plus importantes concerneront d'ailleurs la Palestine.
Mais
lorsque le 17 septembre 1978, l'Égypte signa les accords de Camp David avec
Israël, la Ligue décida du transfert de son siège du Caire à Tunis tout en se
privant de son membre le plus puissant, l’Égypte qui fut exclue pendant 10 ans.
Cela entraîna une baisse notable de l’influence de la Ligue bien qu’elle n’ait
jamais fait ses preuves.
Un nouveau sommet s’est tenu
à Nouakchott, en Mauritanie, le 25 juillet 2016, sans les deux plus importants pays
arabes, l’Arabie saoudite et l’Égypte, en raison des divisions qui secouent
l’organisation. Contrairement aux époques fastes, seuls six chefs d'État étaient
présents auprès du président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, ce qui a
poussé les organisateurs du sommet à réduire sa durée à une seule journée. Les
émirs du Qatar, du Koweït, les présidents du Yémen, du Soudan, des Comores et
de Djibouti ont fait le déplacement ainsi que le Tchadien Idriss Deby Itno,
président en exercice de l'Union africaine (UA). Le Liban et la Libye étaient
représentés par leur premier ministre. Tout ceci pour constater qu’il n’y a
plus d’engouement.
Le roi Salman
d’Arabie qui n’est pas très fervent de ces réunions s’est excusé pour «raisons
de santé» tandis que l’égyptien Al-Sissi a eu vent d’un complot pour attenter
à sa vie et a préféré rester chez lui.
Les pays arabes ne
sont plus monolithiques tandis que les rivalités personnelles prennent le
dessus sur l’intérêt commun. Le Maroc vient de manifester sa mauvaise humeur en constatant que l'affiche de la réunion présentait une carte du Maroc tronquée de son Sahara. Le conflit syrien a fini par détruire tout ce qui
pouvait faire un minimum de consensus. Le premier ministre égyptien Chérif
Ismaïl a cherché à sensibiliser l’assistance en appelant à une «stratégie
arabe de lutte contre le terrorisme. Nous devons réorienter le discours
religieux que des éléments terroristes exploitent à leurs fins pour semer la
terreur, la mort et la destruction ; ils dévient l'islam de sa mission
première qui est celle de la paix et de la miséricorde». Vœu pieux.
Heureusement
qu’Israël est là pour réunir tant de différences. Le président mauritanien a
estimé que «les interventions extérieures alimentent l'instabilité dans le
monde arabe qui continuera tant que la question palestinienne ne sera pas
réglée». Il aussi dénoncé «les exactions d'Israël en Palestine et la
poursuite de sa politique de colonisation». Le contraire aurait étonné.
La Ligue arabe est
devenue une organisation anachronique. Sa seule prise de position originale
date de 2002, lorsque le prince d'Arabie saoudite, Abdallah ben Abdelaziz Al
Saoud, avait élaboré une initiative de paix arabe, fondée sur l'idée d'une paix
globale au Moyen-Orient. En échange d'une normalisation des relations entre
Israël et chacun des pays de la Ligue arabe, l'État hébreu se retirerait de la
Cisjordanie, de la bande de Gaza et du plateau du Golan. En 2007, au sommet de
Riyad, cette proposition fut relancée sans résultat notable car Israël n'a jamais approuvé toutes les clauses de cette initiative de paix arabe; mais
il n’y eut aucune contre-proposition.
Aujourd’hui le Moyen-Orient est en
recomposition totale avec l’arrivée de l’Iran comme élément perturbateur et
avec tous les conflits sanglants qui remodèlent les alliances. La guerre fait
rage en Syrie, en Libye et au Yémen tandis que les pays du Golfe acceptent de
mauvaise grâce la capacité de nuisance iranienne et le désengagement des
États-Unis de la région. Ces troubles auraient pu être l’occasion pour la Ligue
Arabe de s’affirmer comme nouvel élément moteur de la région mais pendant cinq
ans elle est restée passive, tétanisée par les décisions à prendre. Par
ailleurs elle se sclérose parce que les dinosaures politiques continuent à
régenter la Ligue au lieu de la revitaliser avec des jeunes dirigeants. La
Ligue devient le clan des retraités.
La Ligue n’a plus de raison d’être
car jusqu’à présent elle faisait consensus dans son opposition constante à
Israël. Or sa structure et son idéologie sont obsolètes. Ce qui répondait aux
impératifs d’après-guerre et au démantèlement des deux puissances coloniales
n’est plus d’actualité. Le nationalisme arabe n’a plus les mêmes critères. La
Ligue arabe n’a même pas pu réunir sous son nom une coalition pour mener la
lutte contre Daesh. Elle est devenue une coquille vide dont le seul élément
commun est la langue arabe, et encore. Le djihadisme a tué le nationalisme
arabe qui est soumis à une guerre de clans.
La Ligue Arabe ne vit que sur sa
gloire perdue. Elle aurait pu au moins s’affirmer sur le plan économique en
devenant une structure capable de rivaliser avec l’Union européenne. Elle
disposait d’une puissance économique infinie avec ses réserves d’hydrocarbures
et ses milliards de dollars. Mais sa stratégie politique a été ratée et il en
est de même du renforcement des relations économiques, culturelles et politiques
entre États-membres.
Etudiante arabe du Technion en Israël |
Le fiasco est aussi total sur le
plan culturel car il est difficile de trouver de réels projets communs. Aucun
effort n’a été fait pour promouvoir et encourager les échanges scolaires
inter-états membres afin de renforcer les liens culturels et revaloriser
l’utilisation de la langue arabe de plus en plus éclipsée au profit des langues
étrangères. Une grande rivalité entre États arabes persiste et envenime le
développement de partenariats stratégiques. Les États arabes paraissent
aujourd’hui en constante concurrence pour la très convoitée place de leader. De
son côté, l’Arabie Saoudite consolide son influence, notamment à travers sa
doctrine wahhabite et l’émergence de mouvements islamistes qu’elle finance.
Mais de nouveaux acteurs font leur
arrivée sur la scène arabe ce qui ne facilite pas l’union au sein des
pétromonarchies du Golfe. Le Qatar est devenu l’un des pays les plus riches en
matière de PIB mais refuse son inféodation à la Ligue Arabe qui ne pourra jamais
devenir une organisation supranationale car les régimes en place craignent qu’elle
intervienne directement dans leurs affaires locales.
La paralysie de la Ligue Arabe est
liée aux divergences entre ses membres et à son manque de pouvoir. Les
relations nouées ou qui se nouent avec Israël font que ses objectifs du départ sont dépassés. Une refonte totale devient indispensable et son salut ne peut
provenir que d’une transformation de la Ligue en une institution qui participe
au bon développement économique du monde arabe pour éviter qu’elle ne sombre
dans l’agonie. Le sommet qui s’est tenu à Nouakchott préfigure déjà une
planification de sa disparition.
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