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mardi 20 janvier 2015

CHOISIR L’UNE DES DEUX CONCEPTIONS DU SIONISME


CHOISIR L’UNE DES DEUX CONCEPTIONS DU SIONISME
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
            
          La parenthèse dramatique des assassinats français étant presque tournée, la politique  reprend ses droits en Israël avec une campagne législative qui se poursuivra crescendo tant le résultat final reste encore très indécis. Les électeurs n’auront pas à choisir entre deux leaders, ou entre deux générations d’hommes politiques, ou entre la droite et la gauche, mais entre deux conceptions opposées du sionisme.


Deux sionismes

Naftali Bennett représente un nouveau sionisme à kippa, religieux et messianique. Isaac Herzog est le tenant de la vieille garde travailliste qui a créé le pays et qui se veut pragmatique, laïque et ouverte sur le monde occidental. Netanyahou se situe hors-jeu après avoir été dépassé par une jeunesse qui exige la place qui lui revient après plus d’un quart de siècle de règne d’un premier ministre omniprésent, pour ne pas dire omnipuissant. Les  jeunes militants se rebiffent malgré l’insistance des «vieux» à vouloir s’accrocher coûte que coûte à un pouvoir qui les a pourtant usés alors qu’ils auraient pu choisir l’apothéose d’un départ volontaire en pleine gloire.
Les sondages sont actuellement en berne pour la liste Likoud, risquant d’entraîner dans sa chute celle d’HaBayit Hayehudi qui raterait ainsi la marche du pouvoir. Si rien n’est effectivement définitif tant que la campagne n’est pas terminée, la tendance se consolide. Alors, des militants inspirés par la jeunesse et la pugnacité de Bennett, lancent l’idée d’une liste unique entre le Likoud et HaBayit Hayehudi qui raflerait 37 mandats, suffisamment pour être chargée  de constituer la nouvelle coalition. Mais pour cela il faut tuer le père, le calife pour être à la place du calife et donner à Bennett les clefs de la droite, un peu comme ceux qui, en 1965, avaient écarté David Ben Gourion de la tête du parti Mapaï au pouvoir depuis la création de l’État en 1948. L’alerte est donnée car les clignotants rouges montrent que «le camp sioniste» (nom officiel donné à la liste Travaillistes-Hatnoua) est susceptible de devenir le plus grand parti d’Israël.


Nouvelle recomposition de la région

            La révolution engagée en Israël au lendemain de la victoire de la Guerre des Six-Jours  a modifié la structure d’une région jusqu’alors endormie. En effet, la notion d’État palestinien n’avait pas encore effleuré l’esprit des Arabes mais des régions inconnues se sont imposées, comme la Cisjordanie, le Golan et même le Sinaï. Le paradoxe a voulu qu’un petit pays, soumis à l’agressivité de ses quatre voisins ultra-armés, s’est transformé par la volonté de son peuple en super puissance alors que ses habitants étaient voués soit à la valise et l’exil, soit à la mort dans les profondeurs de la Méditerranée.

            Les travaillistes au pouvoir en 1967 n’avaient aucune intention de garder les territoires. Le «plan Alon» élaboré par le ministre de la défense Ygal Alon juste après la victoire de juin 67 avait été présenté le 26 juillet au premier ministre de l'époque : Levi Eshkol. Ce plan, qui n’a été rendu public qu’en 1976, neuf ans plus tard,  permettait à Israël de contrôler la vallée du Jourdain et les hauteurs qui la dominent en agrandissant le couloir qui conduit à Jérusalem. Il prévoyait la création de trois enclaves palestiniennes : au nord avec un accès à la Jordanie, au centre et au sud sans aucun accès extérieur.

Dans l’attente d’une acceptation de ce plan secret par les Arabes, les travaillistes,  obnubilés par une volonté de sécurité poussée à l’extrême, se sont alors inspirés de la doctrine Homa Oumigdal, Muraille et Tour,  du nom donné aux opérations d'installation clandestine de villages juifs dans les années 1930. L'élément central consistait en une tour de garde, et des murailles entourant les points d’implantation sur la terre hostile de Cisjordanie. Avec l’accord du gouvernement, plusieurs positions sécuritaires étaient ainsi bâties mais elles étaient censées être temporaires jusqu'à un accord définitif avec les Arabes. Pour les travaillistes il s’agissait de mailler la région pour la sécuriser et pour empêcher tout regroupement des populations arabes ; en aucun cas il n’était question d’une occupation permanente.

Le nouveau messie

Mais la minorité religieuse du pays s’est emparée d’un cheval de bataille en s’inspirant des textes bibliques pour fonder une idéologie de reconquête des territoires historiques perdus. Alors que les accords d’Oslo de 1993 avaient été signés avec l’intention de restituer tous ces territoires, les sionistes religieux ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils ont alors décidé de grignoter des terres et des collines de Cisjordanie, progressivement, avec l’intention de s’installer définitivement. Mais dirigés par de vieilles barbes peu crédibles, peu audibles et manquants de moyens, ils se sont trouvés incapables de finaliser leurs idées iconoclastes. Il leur manquait surtout un leader charismatique.

Le salut est subitement venu de Naftali Bennett, alors directeur de cabinet de Netanyahou, bridé dans son ascension politique par un dirigeant qui ne savait pas partager son pouvoir. Découvrant un terrain en friche, il avait alors décidé de tenter sa chance pour aller à l’abordage d’un parti de rabbins séniles. Il a fondé son nouveau parti sur les ruines du Parti national religieux avec la fougue d’un jeune entrepreneur, à qui tout réussissait, arrivé en politique avec ses millions, comme le nouveau messie.
Bennett s’est donc attelé à la création d’une nouvelle idéologie sioniste fondée sur une opposition à la création d’un État palestinien ; une manière de se distinguer sinon de s’opposer à Netanyahou qui avait, dans son discours de Bar Ilan en 2009, accepté le principe de «deux États pour deux peuples». Il répète aujourd’hui à longueur de discours qu’il n’est pas question pour lui de brader la «patrie historique du peuple juif». Son arrivée fracassante a payé puisque les sondages placent aujourd’hui son parti en troisième position, second en nombre d’adhérents, pour prétendre intégrer une coalition de droite.
Grand Israël

Son sionisme est ambitieux, certains le trouvent démesuré puisqu’il lutte pour «la renaissance du royaume historique d'Israël», une idée messianique. Il pense que les données démographiques des juifs religieux travaillent à terme en faveur de son sionisme, grâce aux familles nombreuses. Les Juifs seraient selon lui majoritaires en Cisjordanie à moyen terme. En prenant la parole au Forum Saban en décembre 2014, il a osé prétendre que «le sionisme laïc fondateur de l’État a fini son rôle historique et que lui a été mandaté pour prendre le relais et continuer la course».


Sionisme laïc

Face à lui, les travaillistes ont une autre vision du pays et même du monde. Le sionisme fondateur de l’État d’Israël était totalement laïc, inspiré par les révolutionnaires soviétiques ou marxistes, tandis que les religieux, qui ne pouvaient imposer aucune contrainte, étaient écartés de la gouvernance. Le visionnaire Ben Gourion avait compris que, pour survivre et prospérer au milieu de pays arabes hostiles, il devait renoncer  au rêve du Grand Israël, donc à la Cisjordanie. Son objectif consistait à d’abord consolider l’existence d’un État naissant. 
Président Haïm Herzog

Cette modération avait été bien accueillie par les pays occidentaux qui l’ont d’office soutenu pour lui conférer une légitimité internationale. Isaac Herzog est l’héritier de ce courant et l’héritier d’une dynastie qui a ses lettres de noblesse sionistes et religieuses, ne laissant place à aucune attaque de la part de ses adversaires. Son père Haïm était président de l’État après avoir été général, chef des renseignements militaires.  Son grand-père Isaac avait été le premier rabbin ashkénaze d’Israël. Nanti de ces deux héritages militaire et religieux, il a choisi d’être laïc et sioniste libéral sans qu’on puisse lui attribuer une attitude anti militariste, a fortiori pro-palestinienne.

Bennett est certain de son droit et de sa réussite. À son arrivée au pouvoir en 1977, la droite s’était lancée dans un programme ambitieux d’implantations en ne ciblant plus les zones avec de faibles populations palestiniennes. De 50.000 en 1987 avant la première Intifada, 260.000 en 1993 avant les Accords d'Oslo et 440.000 en 2003 après la seconde Intifada, les habitants des implantations atteignent aujourd’hui plus du demi-million.  Bennett a compris qu’il devait se faire le porte-drapeau des habitants vivant dans près de 150 implantations au-delà de la ligne verte de 1948. Il a réussi à faire fructifier son sionisme au point de se voir déjà premier ministre puisqu’il a déclaré : «Le jour approche où nous allons diriger le pays». Il n’est pas certain que Netanyahou accepte de lui laisser ce rôle parce qu’il a la fâcheuse manie de faire le vide autour de lui.
Au cours de ces élections, deux conceptions du sionisme, d’égale puissance, vont s’affronter, messianique pour Bennett et pragmatique pour Herzog. Ce dernier veut suivre la trace de Ben Gourion et s’inspirer de sa philosophie, en préférant un État dans des frontières réduites mais consolidé par les instances internationales à un État aux frontières larges contestées, qui aurait à consacrer son temps à la défense de son territoire plutôt qu’au bien- être de sa population. Il se souvient que les sionistes pragmatiques, comme Ben Gourion, avaient accepté un petit État en 1947, refusé par les États arabes, alors qu’un refus par les sionistes de l’époque aurait contrarié la naissance de l’État juif.

À cet instant précis, les jeux ne sont pas faits car les alliances ne sont pas définitivement établies et la porosité des listes est totale. Les Israéliens ne se sont pas encore fait une religion du choix qui leur est proposé. La guerre des sionismes est enclenchée. 

7 commentaires:

Marc FITOUSSI a dit…

Bennett pour moi sans hésiter, il a tout et c'est un héros de guerre

Henri OLTUSKI a dit…

Mais le sionisme est terminé ,nous sommes en plien dans le post-sionisme Si les dirigeants israéliens n'ont pas compris cela ,j'ai bien peur qu'Israël va droit dans le mur entre une guerre civile et son autodestruction ou un grand Israël ou les juifs seront minoritaires dans moins de 40 ans

Kamal HACHKAR a dit…

Je viens de traverser toute la Cisjordnaie depuis le Nord en passant par Naplouse, la colonie d'Ariel… ce territoire est devenu un véritable gruyère avec des colonies sauvages de quelques maisons, des villes avec université comme Ariel… Il n'y aura plus d'Etat palestinien c'est trop tard sauf à évacuer tout le monde, ou alors que ces colons acceptent de vivre sous souveraineté palestinienne ( peu probable)… La seule solution serait une confération qui aboutirait à terme à un seul Etat ou juifs et arabes seraient à égalité … Cette réalité, peu de gens veulent la voir

Michel LEVY a dit…

Kamal, j'ai la même impression, en effet Abbas refuse d'accepter des villages juifs dans son état, (réciprocité des villages arabes), l'évacuation totale est impossible, Israël sera amené à tout contrôler, mais il y aura des tensions qui conduiront nécessairement à donner plus de droits aux arabes pour avoir la paix sociale, et si l'égalité s'instaure, Israël deviendra un état judéo-arabe. C'est inéluctable, surtout si les dirigeants arabes sont assez intelligents pour agir dans ce sens.
Bennet en fin de compte est contre un état Juif,

Jacques BENILLOUCHE a dit…

@ KRAVI

Je parle de philosophie du parti de Bennett et non de liste électorale bâtie avec une opportunité politique.

Je trouve que la gauche et la droite se rejoignent dans l'aspect sécuritaire et la défense d'Israël contre ses ennemis. Le général Amos Yadlin n'est pas homme à brader l'existence du pays.

Elizabeth GARREAULT a dit…

Article très intéressant . Merci Jacques Benillouche. Un petit bémol cependant. Je n'ai pas les chiffres en tête mais je peux les retrouver. Ecrire que le grignotage des terres en Cisjordanie n'est le fait que des sionistes religieux, c'est oublier que c'est sous Ehud Barak - Premier Ministre travailliste en 99, donc après Oslo, que la construction dans les implantations a connu un accroissement sans précédent. Admettons que cette gauche devenue centre gauche aujourd'hui, n'a jamais été très claire sur la question. »

Bensoussan a dit…

Herzog n'a que trop la tete d'un president du Fond Social Juif Unifie pour devenir premier ministre d'Israel en ces temps si difficiles pour le pays. Beaucoup trop gentil, presque naif, il se ferait bouffe tout cru. Je le vois plus un petit four a la main a un gala du FSJU que le doigt sur le bouton a la Kirya.