TOUR DU MONDE DE L’INTER-RELIGIEUX
Par Jean CORCOS
L'Interfaith
Tour, cinq jeunes et un tour du monde de l'inter-religieux
Ma dernière émission de l'année 2014 était assez particulière. Certes, au delà de ma thématique centrée sur le monde musulman, «Rencontre» donne aussi la parole à des hommes et des femmes qui se battent pour le dialogue et contre la haine. C'est ainsi que pratiquement toutes les associations travaillant dans le domaine inter-religieux et inter-communautaire ont été nos invités sur Judaïques-FM.
Mais
l'expérience dont nous avons parlé cette fois-ci était vraiment singulière : cinq jeunes -
Victor (athée), Ismaël (musulman), Ilan (juif), Josselin (agnostique) et Samuel
(chrétien) - ont fait un tour du monde à la recherche d'initiatives dans le
domaine du vivre ensemble entre communautés religieuses. Je vous invite
à visiter le site de cette Odyssée, à l'adresse "www.interfaithtour.com"
: c'est vraiment bien fait, on peut naviguer à partir d'une planisphère et
avoir, pour chacune de leurs étapes - et ils ont visité entre juillet 2013 et
avril 2014, 70 villes -, un résumé de ce qu'ils ont vu et parfois même des
vidéos.
Catholique et
Juif sur le plateau
Il était impossible de faire une émission
aussi courte à six sur mon plateau, et c'est pourquoi j'ai dû limiter mes
invitations à deux, Samuel Grzybowski, le catholique, et Ilan Scialom, le juif du groupe. Un
dernier mot d'introduction, enfin, à propos de l'association présidée par
Samuel et qui a mené ce grand projet : elle a connu ses prémices à la fin des
années 2000, avec un groupe de jeunes engagés dans le dialogue interreligieux
dans le 15ème arrondissement de Paris. La guerre de Gaza à l'hiver 2008-2009 a
conduit ces jeunes juifs, chrétiens et musulmans à manifester pour la
fraternité, puis à se structurer en association quelques mois plus tard : c'est
ainsi qu'est née «Coexister».
Regroupant un millier d'adhérents pour
300 militants véritables, fortement implantés en milieu universitaire, ces
jeunes développent leurs activités autour de trois axes : le dialogue, pour une
meilleur connaissance de soi et des autres ; la solidarité, pour offrir des
expériences de services à des jeunes qui ne partagent pas la même identité ou
la même conviction ; et la sensibilisation à travers des ateliers de lutte
contre les préjugés, en milieu scolaire ou en entreprises.
Pour
ma première question, j'ai demandé si les rapports des uns et des autres à leur
propre religion - ou absence de foi - avaient changé à leur retour. En réponse,
il m'a été répondu que ce voyage avait en même temps enraciné des certitudes, personne
n'ayant changé en profondeur - le seul changement fut en positif («nous
sommes partis comme des amis, nous sommes revenus comme des frères») -,
tout en provoquant un questionnement, surtout au contact de religions
polythéistes mal connues en Occident.
Conditions
matérielles du voyage
Puis furent abordées les conditions
matérielles du voyage : ni tour du monde de millionnaires dans des grands
hôtels, ni voyage aventureux avec sac à dos, les jeunes ont bénéficié
pratiquement d'un hébergement partout de la part de leurs homologues étrangers,
avec un fort appui local des différentes missions diplomatiques françaises. Le
voyage a nécessité environ 100.000 euros, le Ministère des Affaires Etrangères,
la fondation catholique Caritas et d'autres fondations ont contribué à l'appel
de fonds. Faute de moyens, le Maghreb n'a pas été parcouru, mais ce sont des
pays où l'association est déjà allée et retournera.
Je me suis interrogé, aussi, sur le
choix des pays du Moyen-Orient : Turquie, Liban, Israël et Territoires Palestiniens,
Egypte, évidemment pas de pays en guerre comme la Syrie ou l'Irak, mais aucun
pays du Golfe hormis le Sultanat d'Oman, pourquoi ? Samuel Grzybowski a fait
une peinture très positive de ce pays, qui n'est en conflit avec aucun de ses
voisins, arabes ou iraniens. Monarchie absolue, certes, mais qui respecte
toutes les religions présentes, hindouistes ou chrétiennes, et les jeunes ont
pu le vérifier sur place. La religion officielle est l'islam ibadite, qui n'est
ni chiite, ni sunnite. Par comparaison, le grand voisin du Nord, l'Arabie
Saoudite, interdit toute pratique publique d'autres religions que l'islam wahhabite.
J'ai interrogé Ilan Scialom sur la peur
qu'il avait pu éprouver en tant que juif, en se rendant au Liban ou dans les
Territoires palestiniens ; en réponse, il a assuré que, en étant
systématiquement l'hôte de personnalités engagées pour le dialogue, il s'était
toujours senti en sécurité.
Le Liban
À propos du Liban, maintenant. C'est un pays qui est sorti d'une
horrible guerre civile et confessionnelle il y a 25 ans, où chaque grande
communauté religieuse, les Chrétiens et les Musulmans, est elle-même divisée.
Il a subi les répliques de tous les conflits dans les pays voisins. Et pourtant,
les jeunes ont écrit sur le site Interfaithtour.com : «Comment va le
Liban ? Le Liban va mal. Mais le Liban a les moyens d’aller mieux que tous les
autres pays de la région et peut-être même que tous les autres pays du monde.
Le Liban porte en lui des germes d’espérance autant que de souffrance.»
Ma question portait sur les raisons de
cet optimisme. Pour Samuel Grzybowski, il y a une forte demande de la société
civile, à la fois de sortir du communautarisme, et de ne plus vivre dans les
zones d'habitations traditionnellement réservées à chaque groupe
religieux. J'ai personnellement réagi, par contre, lorsqu'il a évoqué la
minuscule communauté juive du Liban, qui vit sous la protection du
Hezbollah et qui manifeste son hostilité à Israël, en rappelant à l'antenne
qu'il est quasiment impossible à tout Juif vivant encore en pays arabe de
s'exprimer différemment !
Samuel a par contre témoigné de la
désespérance de ceux qui maintiennent des passerelles entre Israéliens et
Palestiniens, face à une situation politique totalement bloquée. A noter que
leur voyage s'est fait avant le retour de la violence, notamment depuis l'été
dernier avec la guerre de Gaza avec le Hamas. Ilan Scialom a cependant évoqué
les associations qui, sur place, tentent de dépasser la conflictualité en
travaillant dans des domaines concerts : le Centre Peres pour la Paix,
l'Interfaith Encounter Association de Jérusalem, et d'autres œuvrant dans les
domaines du développement durable, de l'éducation, etc...
Samuel Grzybowski s'est, pour sa part,
inquiété de la dégradation de la diversité de part et d'autre liée à la
nouvelle dimension religieuse du conflit : d'une certaine façon, Israël se
revendique d'avantage comme exclusivement juif - confère le projet avorté sur «l'État
juif» de Benjamin Netanyahou - tandis que l'identité palestinienne devient
exclusivement musulmane. Ceci étant, et «tout en n'étant pas des Bisounours»,
le but de l'Interfaith tour était d'abord de donner la parole à ceux qu'on
n'entend pas mais qui travaillent dans l'ombre : deux exemples, des femmes
arabes et juives travaillant ensemble pour la cause féministe à Jaffa; et des palestiniens
chrétiens et musulmans du même village, partageant les récoltes.
Coexistence
Nous n'avons pas eu le temps d'évoquer
tous les pays où la coexistence entre les Musulmans et les autres sont compliquées,
et parfois dramatique. Mais j'ai trouvé - et je l'ai dit à l'antenne aussi -
les comptes-rendus publiés sur leur site un peu édulcorés dans deux cas : au
Kenya, où ils n'ont guère eu le temps de rester et où on n'est pas du tout face
à une problématique de «cohésion sociale» entre sociétés chrétiennes et
musulmanes comme ils l'écrivent, mais face à une véritable succursale d'Al-Qaïda,
les Shebabs, qui massacrent les non musulmans ; et en Turquie, où ils évoquent certes
les travaux sur l'inter-religieux d'un prêtre français et d'un universitaire
turc, mais où le problème est d'abord dans la société civile, de plus en plus
islamisée par le pouvoir et où les minorités se sentent mal à l'aise.
En
conclusion, j'ai évoqué l'accueil extraordinaire qui leur a été fait, à leur
retour ou en cours de voyage - ils ont notamment été reçus par le Pape, le
Président de la République, le grand Imam d'Al Azhar au Caire et le Ministre
des Affaires Etrangères : quelles sont les initiatives enregistrées à l'étranger
qu'ils conseilleraient de reprendre en France ? Deux exemples ont été donnés : «la
nuit des religions» à Berlin, où une fois par an l'ensemble des lieux de culte
sont ouverts à tous les publics ; et la construction d'espaces dédiés à
l'échange inter-religieux et interculturel, il existe ainsi un imposant
bâtiment de ce type à Singapour, «L'Harmony center», et un institut
spécifique à Buenos Aires, sous l'égide de la direction générale des cultes du
gouvernement argentin.
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