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vendredi 2 janvier 2015

TOUR DU MONDE DE L’INTER-RELIGIEUX Par Jean CORCOS



TOUR DU MONDE DE L’INTER-RELIGIEUX

Par Jean CORCOS


L'Interfaith Tour, cinq jeunes et un tour du monde de l'inter-religieux


Ma dernière émission de l'année 2014 était assez particulière. Certes, au delà de ma thématique centrée sur le monde musulman, «Rencontre» donne aussi la parole à des hommes et des femmes qui se battent pour le dialogue et contre la haine. C'est ainsi que pratiquement toutes les associations travaillant dans le domaine inter-religieux et inter-communautaire ont été nos invités sur Judaïques-FM.
Mais l'expérience dont nous avons parlé cette fois-ci était vraiment singulière : cinq jeunes - Victor (athée), Ismaël (musulman), Ilan (juif), Josselin (agnostique) et Samuel (chrétien) - ont fait un tour du monde à la recherche d'initiatives dans le domaine du vivre ensemble entre communautés religieuses. Je vous invite à visiter le site de cette Odyssée, à l'adresse "www.interfaithtour.com" : c'est vraiment bien fait, on peut naviguer à partir d'une planisphère et avoir, pour chacune de leurs étapes - et ils ont visité entre juillet 2013 et avril 2014, 70 villes -, un résumé de ce qu'ils ont vu et parfois même des vidéos.


Catholique et Juif sur le plateau

Il était impossible de faire une émission aussi courte à six sur mon plateau, et c'est pourquoi j'ai dû limiter mes invitations à deux, Samuel Grzybowski, le catholique, et Ilan Scialom, le juif du groupe. Un dernier mot d'introduction, enfin, à propos de l'association présidée par Samuel et qui a mené ce grand projet : elle a connu ses prémices à la fin des années 2000, avec un groupe de jeunes engagés dans le dialogue interreligieux dans le 15ème arrondissement de Paris. La guerre de Gaza à l'hiver 2008-2009 a conduit ces jeunes juifs, chrétiens et musulmans à manifester pour la fraternité, puis à se structurer en association quelques mois plus tard : c'est ainsi qu'est née «Coexister».

Regroupant un millier d'adhérents pour 300 militants véritables, fortement implantés en milieu universitaire, ces jeunes développent leurs activités autour de trois axes : le dialogue, pour une meilleur connaissance de soi et des autres ; la solidarité, pour offrir des expériences de services à des jeunes qui ne partagent pas la même identité ou la même conviction ; et la sensibilisation à travers des ateliers de lutte contre les préjugés, en milieu scolaire ou en entreprises.
Pour ma première question, j'ai demandé si les rapports des uns et des autres à leur propre religion - ou absence de foi - avaient changé à leur retour. En réponse, il m'a été répondu que ce voyage avait en même temps enraciné des certitudes, personne n'ayant changé en profondeur - le seul changement fut en positif («nous sommes partis comme des amis, nous sommes revenus comme des frères») -, tout en provoquant un questionnement, surtout au contact de religions polythéistes mal connues en Occident.

Conditions matérielles du voyage

Puis furent abordées les conditions matérielles du voyage : ni tour du monde de millionnaires dans des grands hôtels, ni voyage aventureux avec sac à dos, les jeunes ont bénéficié pratiquement d'un hébergement partout de la part de leurs homologues étrangers, avec un fort appui local des différentes missions diplomatiques françaises. Le voyage a nécessité environ 100.000 euros, le Ministère des Affaires Etrangères, la fondation catholique Caritas et d'autres fondations ont contribué à l'appel de fonds. Faute de moyens, le Maghreb n'a pas été parcouru, mais ce sont des pays où l'association est déjà allée et retournera.
Je me suis interrogé, aussi, sur le choix des pays du Moyen-Orient : Turquie, Liban, Israël et Territoires Palestiniens, Egypte, évidemment pas de pays en guerre comme la Syrie ou l'Irak, mais aucun pays du Golfe hormis le Sultanat d'Oman, pourquoi ? Samuel Grzybowski a fait une peinture très positive de ce pays, qui n'est en conflit avec aucun de ses voisins, arabes ou iraniens. Monarchie absolue, certes, mais qui respecte toutes les religions présentes, hindouistes ou chrétiennes, et les jeunes ont pu le vérifier sur place. La religion officielle est l'islam ibadite, qui n'est ni chiite, ni sunnite. Par comparaison, le grand voisin du Nord, l'Arabie Saoudite, interdit toute pratique publique d'autres religions que l'islam wahhabite.
J'ai interrogé Ilan Scialom sur la peur qu'il avait pu éprouver en tant que juif, en se rendant au Liban ou dans les Territoires palestiniens ; en réponse, il a assuré que, en étant systématiquement l'hôte de personnalités engagées pour le dialogue, il s'était toujours senti en sécurité.


Le Liban


À propos du Liban, maintenant. C'est un pays qui est sorti d'une horrible guerre civile et confessionnelle il y a 25 ans, où chaque grande communauté religieuse, les Chrétiens et les Musulmans, est elle-même divisée. Il a subi les répliques de tous les conflits dans les pays voisins. Et pourtant, les jeunes ont écrit sur le site Interfaithtour.com : «Comment va le Liban ? Le Liban va mal. Mais le Liban a les moyens d’aller mieux que tous les autres pays de la région et peut-être même que tous les autres pays du monde. Le Liban porte en lui des germes d’espérance autant que de souffrance.»
Ma question portait sur les raisons de cet optimisme. Pour Samuel Grzybowski, il y a une forte demande de la société civile, à la fois de sortir du communautarisme, et de ne plus vivre dans les zones d'habitations traditionnellement réservées à chaque groupe religieux. J'ai personnellement réagi, par contre, lorsqu'il a évoqué la minuscule communauté juive du Liban, qui vit sous la protection du Hezbollah et qui manifeste son hostilité à Israël, en rappelant à l'antenne qu'il est quasiment impossible à tout Juif vivant encore en pays arabe de s'exprimer différemment !
Samuel a par contre témoigné de la désespérance de ceux qui maintiennent des passerelles entre Israéliens et Palestiniens, face à une situation politique totalement bloquée. A noter que leur voyage s'est fait avant le retour de la violence, notamment depuis l'été dernier avec la guerre de Gaza avec le Hamas. Ilan Scialom a cependant évoqué les associations qui, sur place, tentent de dépasser la conflictualité en travaillant dans des domaines concerts : le Centre Peres pour la Paix, l'Interfaith Encounter Association de Jérusalem, et d'autres œuvrant dans les domaines du développement durable, de l'éducation, etc...
Samuel Grzybowski s'est, pour sa part, inquiété de la dégradation de la diversité de part et d'autre liée à la nouvelle dimension religieuse du conflit : d'une certaine façon, Israël se revendique d'avantage comme exclusivement juif - confère le projet avorté sur «l'État juif» de Benjamin Netanyahou - tandis que l'identité palestinienne devient exclusivement musulmane. Ceci étant, et «tout en n'étant pas des Bisounours», le but de l'Interfaith tour était d'abord de donner la parole à ceux qu'on n'entend pas mais qui travaillent dans l'ombre : deux exemples, des femmes arabes et juives travaillant ensemble pour la cause féministe à Jaffa; et des palestiniens chrétiens et musulmans du même village, partageant les récoltes.

Coexistence

Nous n'avons pas eu le temps d'évoquer tous les pays où la coexistence entre les Musulmans et les autres sont compliquées, et parfois dramatique. Mais j'ai trouvé - et je l'ai dit à l'antenne aussi - les comptes-rendus publiés sur leur site un peu édulcorés dans deux cas : au Kenya, où ils n'ont guère eu le temps de rester et où on n'est pas du tout face à une problématique de «cohésion sociale» entre sociétés chrétiennes et musulmanes comme ils l'écrivent, mais face à une véritable succursale d'Al-Qaïda, les Shebabs, qui massacrent les non musulmans ; et en Turquie, où ils évoquent certes les travaux sur l'inter-religieux d'un prêtre français et d'un universitaire turc, mais où le problème est d'abord dans la société civile, de plus en plus islamisée par le pouvoir et où les minorités se sentent mal à l'aise.

En conclusion, j'ai évoqué l'accueil extraordinaire qui leur a été fait, à leur retour ou en cours de voyage - ils ont notamment été reçus par le Pape, le Président de la République, le grand Imam d'Al Azhar au Caire et le Ministre des Affaires Etrangères : quelles sont les initiatives enregistrées à l'étranger qu'ils conseilleraient de reprendre en France ? Deux exemples ont été donnés : «la nuit des religions» à Berlin, où une fois par an l'ensemble des lieux de culte sont ouverts à tous les publics ; et la construction d'espaces dédiés à l'échange inter-religieux et interculturel, il existe ainsi un imposant bâtiment de ce type à Singapour, «L'Harmony center», et un institut spécifique à Buenos Aires, sous l'égide de la direction générale des cultes du gouvernement argentin.

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