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samedi 2 août 2014

LES RELATIONS TUMULTUEUSES ENTRE ISRAEL ET LE QUAI D’ORSAY


LES RELATIONS TUMULTUEUSES ENTRE ISRAEL ET LE QUAI D’ORSAY

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


Quai d'Orsay

Il faut tout d’abord préciser que la famille Galouzeau de Villepin est de haute bourgeoisie, mais n'est jamais parvenue à la noblesse. L'avocat François-Xavier Galouzeau, fils de négociant, se fit appeler Galouzeau de Villepin.
La charge de Villepin contre Israël, le 1er août, a surpris mais n’a pas étonné : «Lever la voix face au massacre qui est perpétré à Gaza, c'est aujourd'hui, je l'écris en conscience, un devoir pour la France… Par mauvaise conscience, par intérêt mal compris, par soumission à la voix du plus fort, la voix de la France s'est tue, celle qui faisait parler le général de Gaulle au lendemain de la guerre des Six-Jours.»  Justement la référence est lancée. Il rappelle la prise de contrôle en 1958 du Quai d’Orsay par les partisans du général de Gaulle. De Villepin perpétue ainsi l’anathème des gaullistes qui ont investi la diplomatie française.



De Villepin


Cette charge unilatérale rappelle à Israël des souvenirs douloureux. Les relations diplomatiques entre la France et Israël ont subi toutes les turbulences d’un couple : l’idylle, la passion, la haine, le divorce puis la réconciliation. Pourtant, la France avait été à la source de l’éveil juif puisque le rêve sioniste, y avait été imaginé par Théodore Herzl à la suite de l'affaire Dreyfus, pour être concrétisé par David Ben Gourion le 14 mai 1948. Mais la France se contenta alors d’une contribution minimum à la création de cet État.

Satellite de l’URSS

            Pendant la guerre d’indépendance, l’URSS et les pays de l’Est fournissaient en armes Israël qui était alors considéré comme un satellite soviétique tant les doctrines communistes y avaient trouvé une application locale forte. Les alliés des bolchéviques pouvaient donc difficilement avoir l’agrément du Quai d’Orsay de crainte que les armes sionistes ne se retournent contre le mandataire britannique, l’allié qui sauva la France des griffes nazies.
Georges Bidault

Le Quai d’Orsay ne souhaitait pas la création d’un État juif et il voulait même s’opposer au vote historique à l’ONU du 29 novembre 1947. Le ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, trouvait justifiés les arguments de son administration qui prônait déjà la préservation des relations avec la Syrie et le Liban. Mais les pressions de Léon Blum ont fait basculer le vote de la France qui eut cependant du mal à digérer l’indépendance d’Israël. Elle mit d’ailleurs plusieurs mois avant de reconnaître le nouvel État. Alors que le États-Unis et la Russie reconnurent Israël dès le 15 mai 1948, « le gouvernement de la République française a décidé de reconnaître le Gouvernement provisoire d’Israël comme gouvernement» le 24 janvier 1949.
Reconnaissance signée par Truman

            Ben Gourion avait évalué le danger d’un alignement sur l’allié soviétique et il saisit la première occasion pour opérer un changement stratégique en appuyant les États-Unis contre la Corée en 1953. Ce soutien sonna alors le glas des relations avec les pays de l’Est en mettant Israël dans une situation d’isolement diplomatique au moment où les besoins en armement devenaient vitaux face aux attaques des fedayin contre le territoire israélien. 

Idylle stratégique

            Le conflit algérien et les manœuvres de l’égyptien Gamal Abdel Nasser vinrent à point nommé pour orienter une frange politique française vers le soutien au sionisme dans le cadre d’une idylle franco-israélienne qui durera de 1957 à 1967. Nasser, champion du panarabisme, avait fomenté un coup d’Etat le 23 juillet 1952 puis décida de s’immiscer dans le problème algérien et de nationaliser le canal de Suez et tous les biens franco-britanniques en juillet 1956. 
          Les dirigeants français, embourbés dans la guerre d’Algérie, étaient persuadés que la clef du FLN était au Caire et qu’ils pouvaient mater la révolte algérienne en éliminant le président égyptien. Les Anglais et les Français songèrent alors à une riposte militaire pour laquelle ils n’avaient ni les moyens et ni les bases militaires. Ils songèrent alors à mêler Israël à l’opération après avoir trouvé une oreille attentive auprès du jeune et fougueux général Moshe Dayan.
Dayan et Sharon

            L’armée israélienne obtint alors le matériel qui lui manquait : 200 chars, 72 Mystère, 10.000 roquettes antichars et 40.000 obus mais ces fournitures avaient été effectuées à l’insu du Quai d’Orsay qui abritait des diplomates issus d’une vieille aristocratie catholique profondément pro-arabe. Le ministre de la Défense Bourgès-Maunoury était cependant à l’origine de la rancœur du Quai à l’égard d’Israël parce qu’il avait décidé qu’en «raison de nos litiges et nos chicanes avec le Quai d’Orsay, il fut convenu que, dans la politique relative à Israël, l’Administration du Quai n’y serait en aucun cas mêlée». Les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères n’apprécièrent pas leur mise à l’écart et n’eurent de cesse que d’obtenir leur revanche.

Entente Amicale
             
Ben Gourion-Dayan-Péres

            Alors que la France et la Grande-Bretagne préparaient les plans d’offensive, Ben Gourion hésitait à donner son feu vert à l’opération contre Nasser car il ne voyait pas l’intérêt d’Israël à interférer dans un conflit qui lui était étranger. Les Français l’invitèrent secrètement, le 21 octobre 1956, dans la villa d’un Juif français à Sèvres pour le persuader de participer à l’opération. Contrairement à sa réputation, Ben Gourion n’était pas un va-t-en-guerre et il pensait qu’Israël avait tout à perdre à entrer dans une guerre mal préparée. Mais il a fini par céder. Hubert Beuve-Méry, directeur du journal «Le Monde», laissa entrevoir entre les lignes les mobiles du revirement israélien motivés par «les sérieuses assurances qui avaient été données au chef du gouvernement de Jérusalem.»
Bourgès-Maunoury

            Lors de cette réunion secrète, le ministre des Affaires étrangères Christian Pineau avait été écarté sous le prétexte d’une mission à Londres car Guy Mollet et Bourgès-Maunoury voulaient monnayer, dans son dos, la participation militaire des Israéliens en échange d’un engagement secret du gouvernement français de donner la bombe nucléaire à Israël. «Surtout pas un mot au Quai d’Orsay» avait imposé le ministre de la défense français.
            Cette relation inédite, qui ne fit pas l’objet d’un traité, ne survivra pas à l’arrivée à la présidence du Général de Gaulle. Son ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, avait décidé de mettre au pas le Quai d’Orsay. Il élimina donc les partisans de l’Algérie française, il vida son ministère des amis d’Israël et recruta des fonctionnaires à particule, idéologiquement pro-arabes. Cette nouvelle vague de diplomates s’acharna à défaire en quelques mois les liens amicaux tissés avec l’Etat juif pendant dix ans en s’orientant vers une politique anti israélienne. Il se justifia en prétendant que la fin de la guerre d’Algérie ouvrait la voie à la reconquête du monde de l’islam, abandonné à la seule Grande-Bretagne.


Revanche programmée

Couve de Murville

            Couve de Murville, chercha ensuite à mettre un terme à la coopération nucléaire franco-israélienne. Shimon Pérès fut alors mandaté à Paris pour contester la décision du ministre français qui lui assurait que «la France ne divulguerait rien, ni les grands traits ni les détails de l’arrangement de Sèvres». Disposant d’un accord écrit gribouillé sur un coin de table à Sèvres, Shimon Pérès lui répondit «que si la France en dénonçait unilatéralement l’essence même, nous ne serions pas en mesure de sauvegarder ce qu’il souhaitait sauvegarder, c’est-à-dire la clause de non-publication». Autrement dit en termes moins diplomatiques, si la France arrête Dimona, alors nous, Israéliens, nous dévoilerons notre collaboration nucléaire. «Vous marquez un point» dut reconnaître le ministre du général de Gaulle qui n’aura alors de cesse que de se venger.
Abba Eban - de Murville

            Mais la revanche du Quai était inscrite dans l’Histoire. Le général de Gaulle n’avait rien innové en 1967 car les fonctionnaires du ministère l’inondaient, depuis 1963, de notes conseillant l’arrêt de la coopération nucléaire et l’interdiction des livraisons d’armes. Couve de Murville confirma avec arrogance cette stratégie en apostrophant en 1966 le ministre israélien Aba Eban : «le caractère des liens entre Israël et la France ne justifient pas que le Général de Gaulle vous tape sans cesse sur l’épaule pour vous rassurer»
            Le président français n’était pas un personnage influençable mais il subit inconsciemment le travail de sape des pro-arabes qui voulaient mettre fin aux amitiés israéliennes. Ainsi, malgré ses engagements, il ferma les yeux en 1967 sur le blocage du détroit de Tiran par Nasser et étrangla l’armée israélienne en décrétant un embargo sur les exportations d’armes au moment le plus crucial où Israël devait défendre son existence. On reconnaît d’ailleurs l’esprit, sinon la main, du Quai dans le discours du 28 novembre 1967 quand le Général définit Israël comme «un État guerrier résolu à s’agrandir» et s’en prit aux juifs comme «peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur».

De Gaulle- Pompidou

            Lorsque de Gaulle perdit son référendum, l’ambassadeur à l’ONU, Armand Bérard, exprima l’émotion du ministère des affaires étrangères en s’exclamant : «C'est l'or juif qui en est la cause!». Le Quai d’Orsay avait encore frappé. 

Changement dans la continuité

            Les présidents Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ne changèrent rien à la stratégie gaulliste à l’égard d’Israël. Pourtant l’élection de Giscard d’Estaing en 1974 avait fait naître de l’espoir car Israël comptait parmi les centristes beaucoup d’amis mais la déception fut grande puisque l’opportunisme politique prit le dessus sur les bons sentiments. Les deux chocs pétroliers imposèrent des relations privilégiées avec les potentats arabes et toute la politique de la France se trouva alors fondée sur un pragmatisme économique dans lequel Israël avait peu de place.           
Khomeyni à Neauphle le Chateau

Chirac raconte dans ses mémoires que Giscard d’Estaing, économiste, ne comprenait rien à la diplomatie ni au monde musulman. Son erreur de vision du Moyen-Orient était flagrante et il ne mesura pas sa responsabilité dans la révolution iranienne. En effet, conseillé par ses amis du Quai d’Orsay, Giscard a lâchement abandonné le Shah et donné l’asile politique à l’ayatollah Khomeiny. Il mettra ensuite à sa disposition son avion personnel, le 1er février 1979, pour lui permettre d’arriver en grand libérateur à Téhéran. Cette indulgence vis-à-vis de l’ayatollah iranien a totalement bouleversé l’équilibre stratégique de la région au détriment des pays occidentaux, tout en favorisant le terrorisme international. 
Mitterrand et Dumas

            L’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981 donna une espérance aux israéliens qui voyaient «un ami d’Israël», doté d’une admiration pour le peuple juif et sa culture, entrer à l’Elysée. Le Quai d’Orsay restait encore omniprésent sinon omnipuissant. Claude Cheysson, ministre des affaires étrangères, ne cacha pas son hostilité vis-à-vis d’Israël et son amitié profonde pour les délégués OLP auxquels il déclara : «Ma condamnation du sionisme est catégorique ; l’Etat d’Israël s’est créé contre la volonté du reste du monde». Quand il partit, son successeur Roland Dumas s’inscrivit dans la même lignée en 1984 en affirmant : «la piraterie aérienne était le seul moyen qu’avait la résistance palestinienne de briser l’indifférence internationale». Il justifiait ainsi ouvertement le terrorisme.
            Mitterrand ne parvint pas à moduler la politique pro-arabe de la France mais il s’efforça de renouer des liens distendus durant la période gaulliste et de décrisper les relations. Ses ministres, choisis dans les milieux anti-israéliens, ne lui permirent pas de changer notablement de stratégie et consolidèrent la forteresse inexpugnable du Quai d’Orsay qui continuait à inspirer la politique de la France. Le député Claude Goasguen nous avait affirmé lors d’une interview : «En vérité la politique étrangère en France est réservée à une poignée d’individus sans contrôle. Le président de la République, un petit peu le ministre des Affaires étrangères qui n’a pas grand pouvoir et le Quai d’Orsay. L’Assemblée nationale ne connaît rien de la politique étrangère de la France. En tant que député, j’apprends tout par la presse, comme vous. Nous sommes le seul pays à avoir un homme et un seul à l’Elysée, avec le secrétaire général du Quai qui décide de tout et qui est par nature en dehors de toute responsabilité politique »

Amélioration


            Jacques Chirac, élu en 1995, avait tissé d’excellentes relations avec les rabbins et les Juifs de France mais il était totalement réservé à l’égard d’Israël. Le monde juif le fascinait avec sa cabale mystique, ses prières et ses bénédictions mais, il n’était intéressé que par les problèmes intérieurs et il faisait preuve d’une certaine ignorance de la politique du Proche-Orient. Il fit siennes les idées de ses prédécesseurs gaullistes qui estimaient que, sur le conflit israélo-arabe, il n’y avait aucun sentiment à éprouver.
            Cependant il finit par comprendre que le déséquilibre de sa politique affaiblissait son influence dans la région et lui enlevait toute possibilité de se poser en arbitre dans le dialogue israélo-arabe. Il décida alors, dès 2002, d’améliorer les relations bilatérales en mandatant en Israël son ministre Dominique de Villepin afin de proposer la création d’un haut comité qui eut des conséquences positives sur les plans scientifique, économique, commercial et culturel. Les conseillers politiques du président avaient fini par intégrer l’idée qu’une politique plus équilibrée pouvait maintenir les intérêts de la France dans la région. Arrivé au pouvoir avec une méconnaissance totale du problème israélien, Jacques Chirac a laissé en 2007 une situation fortement rétablie.
L’élection de Nicolas Sarkozy, soutenu par 80% des Juifs français, s’inscrivit dans la continuité sur le plan des relations entre les deux pays. Peu de changements au début de son quinquennat. Mais il a poussé les politiques à se parler puis à expliquer et justifier, chacun de leur côté, des positions diamétralement opposées. Les officiels ont repris langue tandis que les diplomates israéliens étaient à nouveau invités dans les salons du Quai d’Orsay sans pourtant être entendus. Israël considérait, contrairement à sa conception passée, que la France était un partenaire indispensable dans le processus de paix en raison de ses relations amicales avec les pays arabes.
Le président Hollande a voulu se retrouver dans la lignée socialiste en condamnant le 7 juillet les tirs en provenance de Gaza, jugeant qu'il appartenait au premier ministre israélien «de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces». Mais cette déclaration ne fut pas approuvée par le Quai d’Orsay puisqu’il dut changer de ton le lendemain en contactant par téléphone le président, Mahmoud Abbas, pour adopter une position plus neutre pour évoquer la situation préoccupante à Gaza : «L'escalade doit cesser».


Mais de Villepin renoue avec ses fantasmes anti-israéliens du Quai parce que ses affaires d’avocat international le lui imposent. Il s’intéresse beaucoup aux producteurs de pétrole qu'il conseille tout en étant très secret sur la qualité de ses clients issus en grande partie du monde arabe. On sait cependant que ses interlocuteurs ne sont pas des fervents amis d’Israël. Il s’est rendu en 2008 en Iran pour rencontrer l’ancien président Ali Rafsanjani. Il a rencontré Hugo Chavez et l’émir du Qatar, Ahmad al-Tani. Il conseille de nombreuses sociétés arabes et en particulier la Qatar Foundation. Le chiffre d’affaires de son cabinet d’avocat est évalué à près de 4 millions d’euros par an avec un net de 2 millions. C’est dire s'il n'est pas tout à fait libre de ses propos.  

3 commentaires:

Saunier a dit…

Villepin me fait penser à Qatra allez savoir pourquoi.
Peut -être à cause de l'anagramme de qatra

Marc a dit…

Merci pour cet article et notamment le dernier passage qui éclaire bien que ce qui prime chez Villepin - à travers ses activités bien rémunérées - c'est bien évidemment "la voix de la Fraaaance dans le monde"...On aura tout vu et tout lu ces dernières semaines. Affligeant.

Marianne ARNAUD a dit…

Article passionnant qui va mettre bien des pendules à l'heure, car si l'Assemblée nationale ne connaît rien à la politique étrangère de la France, il faut dire que les Français la connaissent encore moins. En revanche, ils en voient les effets et en subissent les conséquences tous les jours.
Lisant cette tribune de monsieur de Villepin, on ne peut s'empêcher de se demander : qui parle ?

Il n'est ni De Gaulle, ni Chirac, ni même Hollande. Il est tout simplement un ancien ministre qui a cru, à un moment donné, que son heure de prendre le pouvoir en France était arrivée. Pour forcer le destin, il avait même employé des méthodes qui ont été réprouvées par la justice.
Mais cela n'a pas suffi. Aujourd'hui il n'est que le représentant de ses richissimes clients arabes dont les honoraires qu'ils lui versent lui font croire qu'il peut se prendre pour ce qu'il n'est pas.
Si monsieur Galouzeau de Villepin veut parler au nom de la France et avoir la moindre chance d'être entendu, qu'il commence par le commencement, et qu'il se présente à des élections, ce qu'il a toujours refusé de faire.