LES RELATIONS TUMULTUEUSES ENTRE
ISRAEL ET LE QUAI D’ORSAY
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
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Quai d'Orsay |
Il faut tout d’abord préciser que la famille Galouzeau de Villepin est de haute bourgeoisie, mais
n'est jamais parvenue à la noblesse. L'avocat François-Xavier Galouzeau, fils de
négociant, se fit appeler Galouzeau de Villepin.
La charge de Villepin contre
Israël, le 1er août, a surpris mais n’a pas étonné : «Lever la voix face au massacre qui est
perpétré à Gaza, c'est aujourd'hui, je l'écris en conscience, un devoir pour la
France… Par mauvaise conscience, par intérêt mal compris, par
soumission à la voix du plus fort, la voix de la France s'est tue, celle qui
faisait parler le général de Gaulle au lendemain de la guerre des Six-Jours.» Justement la référence est lancée. Il rappelle la prise de
contrôle en 1958 du Quai d’Orsay par les partisans du général de Gaulle. De Villepin perpétue ainsi l’anathème des gaullistes qui ont investi la diplomatie française.
De Villepin |
Cette charge unilatérale rappelle à Israël des souvenirs
douloureux. Les relations diplomatiques entre la France et Israël ont subi
toutes les turbulences d’un couple : l’idylle, la passion, la haine, le
divorce puis la réconciliation. Pourtant,
la France avait été à la source de l’éveil juif puisque le rêve sioniste, y
avait été imaginé par Théodore Herzl à la suite de l'affaire Dreyfus, pour être concrétisé par David Ben
Gourion le 14 mai 1948. Mais la France se contenta alors d’une contribution
minimum à la création de cet État.
Satellite de l’URSS
Pendant
la guerre d’indépendance, l’URSS et les pays de l’Est fournissaient en armes
Israël qui était alors considéré comme un satellite soviétique tant les
doctrines communistes y avaient trouvé une application locale forte. Les alliés des
bolchéviques pouvaient donc difficilement avoir l’agrément du Quai d’Orsay de crainte
que les armes sionistes ne se retournent contre le
mandataire britannique, l’allié qui sauva la France des griffes nazies.
Georges Bidault |
Le Quai d’Orsay ne souhaitait pas la création d’un État
juif et il voulait même s’opposer au vote historique à l’ONU du 29
novembre 1947. Le ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, trouvait
justifiés les arguments de son administration qui prônait déjà la préservation
des relations avec la Syrie et le Liban. Mais les pressions de Léon Blum ont
fait basculer le vote de la France qui eut cependant du mal à digérer
l’indépendance d’Israël. Elle mit d’ailleurs plusieurs mois avant de reconnaître
le nouvel État. Alors que le États-Unis et la Russie reconnurent Israël dès le 15 mai 1948,
« le gouvernement de la République française a
décidé de reconnaître le Gouvernement provisoire d’Israël comme gouvernement»
le 24 janvier 1949.
Reconnaissance signée par Truman |
Ben Gourion avait évalué le
danger d’un alignement sur l’allié soviétique et il saisit la première occasion
pour opérer un changement stratégique en appuyant les États-Unis contre la
Corée en 1953. Ce soutien sonna alors le glas des relations avec les pays de
l’Est en mettant Israël dans une situation d’isolement diplomatique au moment
où les besoins en armement devenaient vitaux face aux attaques des fedayin contre le territoire israélien.
Idylle
stratégique
Le
conflit algérien et les manœuvres de l’égyptien Gamal Abdel Nasser vinrent à
point nommé pour orienter une frange politique française vers le soutien au
sionisme dans le cadre d’une idylle franco-israélienne qui durera de 1957 à
1967. Nasser, champion du panarabisme, avait fomenté un coup d’Etat le 23
juillet 1952 puis décida de s’immiscer dans le problème algérien et de nationaliser
le canal de Suez et tous les biens franco-britanniques en juillet 1956.
Les dirigeants français, embourbés dans la guerre d’Algérie, étaient persuadés que la clef du FLN était au Caire et qu’ils pouvaient mater la révolte algérienne en éliminant le président égyptien. Les Anglais et les Français songèrent alors à une riposte militaire pour laquelle ils n’avaient ni les moyens et ni les bases militaires. Ils songèrent alors à mêler Israël à l’opération après avoir trouvé une oreille attentive auprès du jeune et fougueux général Moshe Dayan.
Les dirigeants français, embourbés dans la guerre d’Algérie, étaient persuadés que la clef du FLN était au Caire et qu’ils pouvaient mater la révolte algérienne en éliminant le président égyptien. Les Anglais et les Français songèrent alors à une riposte militaire pour laquelle ils n’avaient ni les moyens et ni les bases militaires. Ils songèrent alors à mêler Israël à l’opération après avoir trouvé une oreille attentive auprès du jeune et fougueux général Moshe Dayan.
Dayan et Sharon |
L’armée israélienne obtint alors le
matériel qui lui manquait : 200 chars, 72 Mystère, 10.000 roquettes
antichars et 40.000 obus mais ces fournitures avaient été effectuées à l’insu
du Quai d’Orsay qui abritait des diplomates issus d’une vieille
aristocratie catholique profondément pro-arabe. Le
ministre de la Défense
Bourgès-Maunoury était cependant à l’origine de la rancœur du Quai à l’égard d’Israël parce qu’il avait
décidé qu’en «raison de nos litiges et nos chicanes avec
le Quai d’Orsay, il fut convenu que, dans la politique relative à Israël, l’Administration
du Quai n’y serait en aucun cas mêlée». Les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères n’apprécièrent
pas leur mise à l’écart et n’eurent de cesse que d’obtenir leur
revanche.
Entente Amicale
Alors
que la France et la Grande-Bretagne préparaient les plans d’offensive, Ben
Gourion hésitait à donner son feu vert à
l’opération contre Nasser car il ne voyait pas l’intérêt d’Israël à interférer
dans un conflit qui lui était étranger. Les Français l’invitèrent secrètement,
le 21 octobre 1956, dans la villa d’un Juif français à Sèvres pour le persuader
de participer à l’opération. Contrairement à sa réputation, Ben Gourion n’était
pas un va-t-en-guerre et il pensait qu’Israël avait tout à perdre à entrer dans une guerre mal préparée.
Mais il a fini par céder. Hubert Beuve-Méry,
directeur du journal «Le Monde», laissa entrevoir entre les lignes les
mobiles du revirement israélien motivés par «les sérieuses assurances qui
avaient été données au chef du gouvernement de Jérusalem.»
Bourgès-Maunoury |
Lors de
cette réunion secrète, le ministre des Affaires étrangères Christian Pineau
avait été écarté sous le prétexte d’une mission à Londres car Guy Mollet et
Bourgès-Maunoury voulaient monnayer, dans son dos, la participation militaire des
Israéliens en échange d’un engagement secret du gouvernement français de donner
la bombe nucléaire à Israël. «Surtout pas un mot au Quai d’Orsay» avait imposé le ministre de la défense
français.
Cette relation inédite, qui ne fit
pas l’objet d’un traité, ne survivra pas à l’arrivée à la présidence du Général
de Gaulle. Son ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, avait
décidé de mettre au pas le Quai d’Orsay. Il élimina donc les partisans de
l’Algérie française, il vida son ministère des amis d’Israël et recruta des
fonctionnaires à particule, idéologiquement pro-arabes. Cette nouvelle vague de
diplomates s’acharna à défaire en quelques mois les liens amicaux tissés avec
l’Etat juif pendant dix ans en s’orientant vers une politique anti israélienne.
Il se justifia en prétendant que la fin de la guerre d’Algérie ouvrait la voie
à la reconquête du monde de l’islam, abandonné à la seule Grande-Bretagne.
Revanche
programmée
Couve de Murville, chercha ensuite à
mettre un terme à la coopération nucléaire franco-israélienne. Shimon Pérès fut alors mandaté à Paris pour contester
la décision du ministre français qui lui assurait que «la France ne divulguerait rien, ni les
grands traits ni les détails de l’arrangement de Sèvres». Disposant d’un accord
écrit gribouillé sur un coin de table à Sèvres, Shimon Pérès lui répondit «que
si la France
en dénonçait unilatéralement l’essence même, nous ne serions pas en mesure de
sauvegarder ce qu’il souhaitait sauvegarder, c’est-à-dire la clause de
non-publication». Autrement dit en termes moins diplomatiques, si la France arrête Dimona, alors
nous, Israéliens, nous dévoilerons notre collaboration nucléaire. «Vous
marquez un point» dut reconnaître le ministre du général de Gaulle qui
n’aura alors de cesse que de se venger.
Abba Eban - de Murville |
Mais
la revanche du Quai était inscrite dans l’Histoire. Le général de Gaulle
n’avait rien innové en 1967 car les fonctionnaires du ministère l’inondaient,
depuis 1963, de notes conseillant l’arrêt de la coopération nucléaire et l’interdiction
des livraisons d’armes. Couve de Murville confirma avec arrogance cette
stratégie en apostrophant en 1966 le ministre israélien Aba Eban : «le
caractère des liens entre Israël et la France ne justifient pas que le Général de Gaulle
vous tape sans cesse sur l’épaule pour vous rassurer»
Le
président français n’était pas un personnage influençable mais il subit
inconsciemment le travail de sape des pro-arabes qui voulaient mettre fin aux
amitiés israéliennes. Ainsi, malgré ses engagements, il ferma les yeux en 1967
sur le blocage du détroit de Tiran par Nasser et étrangla l’armée israélienne
en décrétant un embargo sur les exportations d’armes au moment le plus crucial
où Israël devait défendre son existence. On reconnaît d’ailleurs l’esprit,
sinon la main, du Quai dans le discours du 28 novembre 1967 quand le Général
définit Israël comme «un État guerrier résolu à s’agrandir» et s’en prit aux juifs comme «peuple
d’élite, sûr de lui-même et dominateur».
De Gaulle- Pompidou |
Lorsque
de Gaulle perdit son référendum, l’ambassadeur à l’ONU, Armand Bérard, exprima
l’émotion du ministère des affaires étrangères en s’exclamant : «C'est l'or
juif qui en est la cause!». Le Quai d’Orsay avait encore frappé.
Changement dans la continuité
Les
présidents Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ne changèrent rien à la
stratégie gaulliste à l’égard d’Israël. Pourtant l’élection de Giscard
d’Estaing en 1974 avait fait naître de l’espoir car Israël comptait parmi les centristes
beaucoup d’amis mais la déception fut grande puisque l’opportunisme politique prit
le dessus sur les bons sentiments. Les deux chocs pétroliers imposèrent des
relations privilégiées avec les potentats arabes et toute la politique de la France se trouva alors
fondée sur un pragmatisme économique dans lequel Israël avait peu de place.
Khomeyni à Neauphle le Chateau |
Chirac raconte
dans ses mémoires que Giscard d’Estaing, économiste, ne comprenait rien à la
diplomatie ni au monde musulman. Son erreur de vision du Moyen-Orient était
flagrante et il ne mesura pas sa responsabilité dans la révolution iranienne. En
effet, conseillé par ses amis du Quai d’Orsay, Giscard a lâchement abandonné le
Shah et donné l’asile politique à l’ayatollah Khomeiny. Il mettra ensuite à sa
disposition son avion personnel, le 1er février
1979, pour lui permettre d’arriver en grand libérateur à Téhéran. Cette
indulgence vis-à-vis de l’ayatollah iranien a totalement bouleversé l’équilibre
stratégique de la région au détriment des pays occidentaux, tout en favorisant
le terrorisme international.
Mitterrand et Dumas |
L’arrivée
de François Mitterrand au pouvoir en 1981 donna une espérance aux israéliens
qui voyaient «un ami d’Israël», doté d’une admiration pour le peuple juif
et sa culture, entrer à l’Elysée. Le Quai d’Orsay restait encore omniprésent
sinon omnipuissant. Claude Cheysson, ministre des affaires étrangères, ne cacha
pas son hostilité vis-à-vis d’Israël et son amitié profonde pour les délégués
OLP auxquels il déclara : «Ma condamnation du sionisme est
catégorique ; l’Etat d’Israël s’est créé contre la volonté du reste du
monde». Quand il partit, son successeur Roland Dumas s’inscrivit
dans la même lignée en 1984 en affirmant : «la piraterie aérienne était le
seul moyen qu’avait la résistance palestinienne de briser l’indifférence
internationale». Il
justifiait ainsi ouvertement le terrorisme.
Mitterrand
ne parvint pas à moduler la politique pro-arabe de la France mais il s’efforça de
renouer des liens distendus durant la période gaulliste et de décrisper les
relations. Ses ministres, choisis dans les milieux anti-israéliens, ne lui
permirent pas de changer notablement de stratégie et consolidèrent la
forteresse inexpugnable du Quai d’Orsay qui continuait à inspirer la politique
de la France. Le député Claude Goasguen nous avait affirmé lors d’une
interview : «En vérité la politique étrangère en France est réservée à une poignée
d’individus sans contrôle. Le président de la République , un petit
peu le ministre des Affaires étrangères qui n’a pas grand pouvoir et le Quai
d’Orsay. L’Assemblée nationale ne connaît rien de la politique étrangère de la France. En tant que député,
j’apprends tout par la presse, comme vous. Nous sommes le seul pays à avoir un
homme et un seul à l’Elysée, avec le secrétaire général du Quai qui décide de
tout et qui est par nature en dehors de toute responsabilité politique »
Amélioration
Jacques
Chirac, élu en 1995, avait tissé d’excellentes relations avec les rabbins et
les Juifs de France mais il était totalement réservé à l’égard d’Israël. Le
monde juif le fascinait avec sa cabale mystique, ses prières et ses
bénédictions mais, il n’était intéressé que par les problèmes intérieurs et il
faisait preuve d’une certaine ignorance de la politique du Proche-Orient. Il
fit siennes les idées de ses prédécesseurs gaullistes qui estimaient que, sur
le conflit israélo-arabe, il n’y avait aucun sentiment à éprouver.
Cependant
il finit par comprendre que le déséquilibre de sa politique affaiblissait son
influence dans la région et lui enlevait toute possibilité de se poser en
arbitre dans le dialogue israélo-arabe. Il décida alors, dès 2002, d’améliorer
les relations bilatérales en mandatant en Israël son ministre Dominique de Villepin
afin de proposer la création d’un haut comité qui eut des conséquences
positives sur les plans scientifique, économique, commercial et culturel. Les
conseillers politiques du président avaient fini par intégrer l’idée qu’une
politique plus équilibrée pouvait maintenir les intérêts de la France dans la région. Arrivé
au pouvoir avec une méconnaissance totale du problème israélien, Jacques Chirac
a laissé en 2007 une situation fortement rétablie.
L’élection de
Nicolas Sarkozy, soutenu par 80% des Juifs français, s’inscrivit dans la
continuité sur le plan des relations entre les deux pays. Peu de changements au
début de son quinquennat. Mais il a poussé les politiques à se parler puis à
expliquer et justifier, chacun de leur côté, des positions diamétralement
opposées. Les officiels ont repris langue tandis que les diplomates israéliens
étaient à nouveau invités dans les salons du Quai d’Orsay sans pourtant être entendus.
Israël considérait, contrairement à sa conception passée, que la France était un partenaire
indispensable dans le processus de paix en raison de ses relations amicales
avec les pays arabes.
Le président
Hollande a voulu se retrouver dans la lignée socialiste en condamnant le 7
juillet les tirs en provenance de Gaza, jugeant qu'il appartenait au premier
ministre israélien «de prendre toutes les
mesures pour protéger sa population face aux menaces». Mais cette déclaration ne fut pas approuvée par le Quai
d’Orsay puisqu’il dut changer de ton le lendemain en contactant par téléphone le président, Mahmoud
Abbas, pour adopter une position plus neutre pour évoquer la situation
préoccupante à Gaza : «L'escalade
doit cesser».
Mais de
Villepin renoue avec ses fantasmes anti-israéliens du Quai parce que ses affaires d’avocat
international le lui imposent. Il s’intéresse beaucoup aux producteurs de pétrole qu'il conseille tout en étant très secret
sur la qualité de ses clients issus en grande partie du monde arabe. On
sait cependant que ses interlocuteurs ne sont pas des fervents amis d’Israël.
Il s’est rendu en 2008 en Iran pour rencontrer l’ancien président Ali
Rafsanjani. Il
a rencontré Hugo Chavez et l’émir du Qatar, Ahmad al-Tani. Il conseille de
nombreuses sociétés arabes et en particulier la Qatar Foundation. Le chiffre d’affaires
de son cabinet d’avocat est évalué à près de 4 millions d’euros par an avec un
net de 2 millions. C’est dire s'il n'est pas tout à fait libre de ses propos.
Villepin me fait penser à Qatra allez savoir pourquoi.
RépondreSupprimerPeut -être à cause de l'anagramme de qatra
Merci pour cet article et notamment le dernier passage qui éclaire bien que ce qui prime chez Villepin - à travers ses activités bien rémunérées - c'est bien évidemment "la voix de la Fraaaance dans le monde"...On aura tout vu et tout lu ces dernières semaines. Affligeant.
RépondreSupprimerArticle passionnant qui va mettre bien des pendules à l'heure, car si l'Assemblée nationale ne connaît rien à la politique étrangère de la France, il faut dire que les Français la connaissent encore moins. En revanche, ils en voient les effets et en subissent les conséquences tous les jours.
RépondreSupprimerLisant cette tribune de monsieur de Villepin, on ne peut s'empêcher de se demander : qui parle ?
Il n'est ni De Gaulle, ni Chirac, ni même Hollande. Il est tout simplement un ancien ministre qui a cru, à un moment donné, que son heure de prendre le pouvoir en France était arrivée. Pour forcer le destin, il avait même employé des méthodes qui ont été réprouvées par la justice.
Mais cela n'a pas suffi. Aujourd'hui il n'est que le représentant de ses richissimes clients arabes dont les honoraires qu'ils lui versent lui font croire qu'il peut se prendre pour ce qu'il n'est pas.
Si monsieur Galouzeau de Villepin veut parler au nom de la France et avoir la moindre chance d'être entendu, qu'il commence par le commencement, et qu'il se présente à des élections, ce qu'il a toujours refusé de faire.