L’INGRATITUDE DES PAYS MUSULMANS «MODÉRÉS» FACE À LA MONTÉE DU SALAFISME
Par Jacques BENILLOUCHE
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© Temps et Contretemps
Durant les troubles qui ont affecté les ambassades
américaines dans le monde, la discrétion sinon la lâcheté des pays musulmans dits «modérés»
a été remarquable. Alors que les États-Unis ont tout fait pour les protéger,
pour consolider leur régime et leurs dirigeants, quitte à s’asseoir sur leurs
propres convictions démocratiques, la reconnaissance n’a pas été au
rendez-vous. Autant ces pays assistés aiment profiter de l’installation des bases
américaines chez eux pour prévenir les soulèvements, leur renversement ou une
attaque d’un voisin agressif, autant ils restent muets lorsque les États-Unis
sont accusés à tort d’islamophobie.
Faiblesse des régimes
La faiblesse de ces régimes, qui ne tiennent que grâce au bon
vouloir américain, ne leur permet pas de condamner l’atteinte, non seulement
aux symboles de l’État américain mais à la vie de ses représentants. Ils
refusent de réagir pour éviter de donner des arguments à leurs opposants et pour que
leur discours ne serve pas d’étincelle pour embraser des régimes qui risquent
d’être emportés, comme d’autres dictatures pourtant solidement installées.
Il ne s’agissait pas de manifestations de mauvaise
humeur avec jets de pierres mais d’attaques concertées avec usage d’armes à feu donnant
ainsi la conviction que les émeutes étaient préméditées. Les salafistes ont le
vent en poupe, même dans les pays qui ont retrouvé leur liberté islamique et ils n’hésitent
plus à être audacieux, encouragés par la faiblesse des tenants des régimes
musulmans. On croyait le régime égyptien des Frères musulmans consolidé par son
arrivée au pouvoir, or il est contesté par des bédouins salafistes liés à
Al-Qaeda, solidement armés. Deux postes de la Force multinationale commandée
par les États-Unis ont été attaqués à El-Arish en faisant de nombreux blessés.
Des soldats colombiens de cette force ont défendu avec acharnement, durant
plusieurs heures, la centaine d’officiers américains réfugiés dans leur
blockhaus.
C’est dans les pays les plus modérés que les
manifestations ont été les plus dures, sinon sanglantes, comme s’il fallait y
voir un signe de faiblesse de leurs dirigeants, partagés entre la volonté de
réprimer le désordre et leur proximité
idéologique avec les terroristes. Partout dans le monde, les salafistes ont
pris pour prétexte une vidéo de série B pour afficher leur force et l’étendue de
leurs moyens armés.
Vidéo : L'innocence des musulmans |
Attaques contre les forces de l’ordre
Au Caire, ils ont tiré des balles en caoutchouc contre
les forces de l’ordre égyptiennes. A Tripoli, au Liban, ils ont échangé des
tirs au canon lourd avec l’armée libanaise. A Khartoum, ils ont brûlé
l’ambassade américaine. A Benghazi, l’ambassadeur a été lynché. À Tunis, l’école américaine a été incendiée et
les diplomates sauvés de justesse. Même en Asie, 10.000 manifestants ont brûlé
à Dacca des drapeaux américains et israéliens, et tenté de s’approcher de
l’ambassade des États-Unis.
Tayyip Erdogan, dont le parti est issu de la mouvance islamique, s’est bien gardé de dénoncer les actes de violence dans le monde musulman alors qu’il est le premier à faire appel aux américains pour exiger une aide contre le PKK. Le Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe les potentats pro-américains : Arabie saoudite, Qatar, Koweït, Émirats arabes unis, Bahreïn et le sultanat d’Oman, a mollement réagi pour condamner la vidéo et n'a envoyé aucun message de sympathie à leur parrain américain.
Tayyip Erdogan, dont le parti est issu de la mouvance islamique, s’est bien gardé de dénoncer les actes de violence dans le monde musulman alors qu’il est le premier à faire appel aux américains pour exiger une aide contre le PKK. Le Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe les potentats pro-américains : Arabie saoudite, Qatar, Koweït, Émirats arabes unis, Bahreïn et le sultanat d’Oman, a mollement réagi pour condamner la vidéo et n'a envoyé aucun message de sympathie à leur parrain américain.
Conseil de coopération du Golfe |
En fait les salafistes ont exploité le sentiment anti
américain dans les pays musulmans pour s’attaquer aux régimes locaux, sous
prétexte qu’ils collaborent avec le Satan américain. La coordination constatée entre
les différentes émeutes confirme que les groupes salafistes ont atteint un
degré d’organisation qui les rend efficaces et dangereux. Les services de
renseignements occidentaux paraissent désarmés et impuissants face à cette
déferlante qui s’attaque à présent aux régimes islamistes pour les remplacer.
Faiblesse américaine
La faiblesse de Barack Obama est flagrante. Il est
loin le temps où les américains envoyaient leurs Marines pour
protéger leurs intérêts et pour donner
une leçon à ceux qui les provoquaient. A
trop vouloir ne plus apparaitre comme les gendarmes du monde, les américains
ont perdu leur crédibilité, donnant ainsi conscience aux radicaux islamistes de
leur force et de leur capacité de nuisance.
Les nouveaux dirigeants qui ont abattu les régimes des
dictateurs savent que leur défi est économique s’ils veulent s’installer
durablement et que leur salut viendra
des États-Unis. Mais ils n’ont pas levé le petit doigt pour fustiger ceux qui
confondent réalisateurs cinématographiques sans génie avec dirigeants
responsables. Ils risquent de devoir un jour, comme au Liban avec le Hezbollah,
donner une place au gouvernement à ces
extrémistes qui n’auront de cesse que de transformer les pays en régimes
obscurantistes.
Bientôt, par le jeu des provocations et des surenchères, les musulmans laïcs seront balayés pour laisser place au régime noir des intégristes. Certains n’ont pas tort de comparer cette période à celle de Jimmy Carter, qui avait fait preuve de faiblesse vis-à-vis de l’Iran en restant passif devant le renversement du Shah et son remplacement par l’Ayatollah Khomeiny alors que l’Iran était en pleine évolution moderniste.
Carter et le Shah d'Iran |
Bientôt, par le jeu des provocations et des surenchères, les musulmans laïcs seront balayés pour laisser place au régime noir des intégristes. Certains n’ont pas tort de comparer cette période à celle de Jimmy Carter, qui avait fait preuve de faiblesse vis-à-vis de l’Iran en restant passif devant le renversement du Shah et son remplacement par l’Ayatollah Khomeiny alors que l’Iran était en pleine évolution moderniste.
Les manifestations violentes traduisent l’influence
grandissante des salafistes, prompts à se mobiliser pour la défense du sacré. Les
dictateurs arabes avaient neutralisé ces groupes disparates, adeptes d’un
retour aux sources des «pieux ancêtres» (al-salaf el-saleh) et dont le
fond de commerce reste le recours à la violence, en particulier dans les pays «libérés » comme
la Libye, la Tunisie et l’Égypte. Jean-Pierre Filiu, professeur à
Sciences-Po estime que «les
salafistes ont une volonté de créer un rapport de force dans la rue, en prenant
prétexte de la dénonciation des atteintes au sacré».
Antagonisme arabe
Les salafistes sont difficile à déloger et à combattre
car ils ne représentent pas une organisation structurée mais des groupes
hétéroclites indépendants, souvent sous la conduite d’un émir, qui diffusent
uniquement un message religieux sans référence à la politique. Leur objectif est de réformer les régimes sur
une base socioreligieuse, à base de charia. Les salafistes, qui vivaient terrés
dans leur trou à rat du temps des dictatures, s’affichent à présent au grand
jour, face à des gouvernements à la recherche de légitimité.
Abou Iyadh al-Tounsi |
Poursuivi depuis la violente manifestation devant
l’ambassade américaine à Tunis, le leader tunisien salafiste radical, Abou
Iyadh, nargue les autorités. Il a repris son nom de guerre, Abou Iyadh
al-Tounsi («le Tunisien»), choisi dans les camps djihadistes d’Afghanistan et
du Pakistan. Bourguiba avait forcé à l’exil les salafistes tunisiens et Ben Ali
les avait pourchassés. Kadhafi les avait réprimés quand ils ont commencé à
détruire des mausolées musulmans. Ils sont revenus au devant de la scène avec les
révolutions arabes et il semble que l’organisation
salafiste radicale libyenne, «Katibat ansar el-charia», est à l’origine
de l’assassinat américain à Benghazi. Exception cependant, les salafistes
égyptiens sont entrés dans le jeu politique en Égypte après avoir remporté 25%
des sièges aux élections législatives, juste après les Frères musulmans.
Mais les coupables agissant camouflés sont
les saoudiens, qualifiés de modérés sous prétexte qu’ils n’appellent pas à la
guerre contre les États-Unis mais qui, tout au long de leurs émissions
religieuses, assènent un discours salafiste à destination des pays arabes. En
encourageant à l'action les nébuleuses terroristes, ils cherchent à diviser les islamistes et à
affaiblir les Frères musulmans avec qui ils sont en concurrence. Bassar
Al-Assad n’hésite d’ailleurs pas à utiliser l’épouvantail salafiste pour
contrer l’insurrection populaire et justifier ses massacres sous prétexte
qu’ils noyautent la rébellion syrienne.
L’antagonisme entre le Qatar et l’Arabie pousse le Qatar à s’engager auprès des Frères musulmans tandis que l’Arabie soutient les salafistes au risque d'isoler leurs alliés américains. La stratégie des pays arabes modérés les condamnent au silence par lâcheté ou opportunisme jusqu’au jour où ils seront eux-aussi happés par les monstres qu’ils ont générés.
Qatar et Arabie saoudite |
L’antagonisme entre le Qatar et l’Arabie pousse le Qatar à s’engager auprès des Frères musulmans tandis que l’Arabie soutient les salafistes au risque d'isoler leurs alliés américains. La stratégie des pays arabes modérés les condamnent au silence par lâcheté ou opportunisme jusqu’au jour où ils seront eux-aussi happés par les monstres qu’ils ont générés.
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