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mardi 18 septembre 2012

L’INGRATITUDE DES PAYS MUSULMANS «MODÉRÉS» FACE À LA MONTÉE DU SALAFISME


L’INGRATITUDE DES PAYS MUSULMANS «MODÉRÉS» FACE À LA MONTÉE DU SALAFISME

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

Funérailles des victimes de Benghazi

Durant les troubles qui ont affecté les ambassades américaines dans le monde, la discrétion sinon la lâcheté des pays musulmans dits «modérés» a été remarquable. Alors que les États-Unis ont tout fait pour les protéger, pour consolider leur régime et leurs dirigeants, quitte à s’asseoir sur leurs propres convictions démocratiques, la reconnaissance n’a pas été au rendez-vous. Autant ces pays assistés aiment profiter de l’installation des bases américaines chez eux pour prévenir les soulèvements, leur renversement ou une attaque d’un voisin agressif, autant ils restent muets lorsque les États-Unis sont accusés à tort d’islamophobie.



Faiblesse des régimes

La faiblesse de ces régimes, qui ne tiennent que grâce au bon vouloir américain, ne leur permet pas de condamner l’atteinte, non seulement aux symboles de l’État américain mais à la vie de ses représentants. Ils refusent de réagir pour éviter de donner des arguments à leurs opposants et pour que leur discours ne serve pas d’étincelle pour embraser des régimes qui risquent d’être emportés, comme d’autres dictatures pourtant solidement installées. 
Il ne s’agissait pas de manifestations de mauvaise humeur avec jets de pierres mais d’attaques concertées avec usage d’armes à feu donnant ainsi la conviction que les émeutes étaient préméditées. Les salafistes ont le vent en poupe, même dans les pays qui ont retrouvé leur liberté islamique et ils n’hésitent plus à être audacieux, encouragés par la faiblesse des tenants des régimes musulmans. On croyait le régime égyptien des Frères musulmans consolidé par son arrivée au pouvoir, or il est contesté par des bédouins salafistes liés à Al-Qaeda, solidement armés. Deux postes de la Force multinationale commandée par les États-Unis ont été attaqués à El-Arish en faisant de nombreux blessés. Des soldats colombiens de cette force ont défendu avec acharnement, durant plusieurs heures, la centaine d’officiers américains réfugiés dans leur blockhaus.
C’est dans les pays les plus modérés que les manifestations ont été les plus dures, sinon sanglantes, comme s’il fallait y voir un signe de faiblesse de leurs dirigeants, partagés entre la volonté de réprimer le désordre et leur proximité idéologique avec les terroristes. Partout dans le monde, les salafistes ont pris pour prétexte une vidéo de série B pour afficher leur force et l’étendue de leurs moyens armés.
Vidéo : L'innocence des musulmans

Attaques contre les forces de l’ordre

Attentat de Benghazi

Au Caire, ils ont tiré des balles en caoutchouc contre les forces de l’ordre égyptiennes. A Tripoli, au Liban, ils ont échangé des tirs au canon lourd avec l’armée libanaise. A Khartoum, ils ont brûlé l’ambassade américaine. A Benghazi, l’ambassadeur a été lynché. À Tunis, l’école américaine a été incendiée et les diplomates sauvés de justesse. Même en Asie, 10.000 manifestants ont brûlé à Dacca des drapeaux américains et israéliens, et tenté de s’approcher de l’ambassade des États-Unis.  
Tayyip Erdogan, dont le parti est issu de la mouvance islamique, s’est bien gardé de dénoncer les actes de violence dans le monde musulman alors qu’il est le premier à faire appel aux américains pour exiger une aide contre le PKK. Le Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe les potentats pro-américains : Arabie saoudite, Qatar, Koweït, Émirats arabes unis, Bahreïn et le sultanat d’Oman, a mollement réagi pour condamner la vidéo et n'a envoyé aucun message de sympathie à leur parrain américain.
Conseil de coopération du Golfe
En fait les salafistes ont exploité le sentiment anti américain dans les pays musulmans pour s’attaquer aux régimes locaux, sous prétexte qu’ils collaborent avec le Satan américain. La coordination constatée entre les différentes émeutes confirme que les groupes salafistes ont atteint un degré d’organisation qui les rend efficaces et dangereux. Les services de renseignements occidentaux paraissent désarmés et impuissants face à cette déferlante qui s’attaque à présent aux régimes islamistes pour les remplacer.

Faiblesse américaine

La faiblesse de Barack Obama est flagrante. Il est loin le temps où les américains envoyaient leurs Marines pour protéger leurs intérêts  et pour donner une leçon à ceux qui les provoquaient. A trop vouloir ne plus apparaitre comme les gendarmes du monde, les américains ont perdu leur crédibilité, donnant ainsi conscience aux radicaux islamistes de leur force et de leur capacité de nuisance.  
Les nouveaux dirigeants qui ont abattu les régimes des dictateurs savent que leur défi est économique s’ils veulent s’installer durablement  et que leur salut viendra des États-Unis. Mais ils n’ont pas levé le petit doigt pour fustiger ceux qui confondent réalisateurs cinématographiques sans génie avec dirigeants responsables. Ils risquent de devoir un jour, comme au Liban avec le Hezbollah, donner  une place au gouvernement à ces extrémistes qui n’auront de cesse que de transformer les pays en régimes obscurantistes.  
Carter et le Shah d'Iran

Bientôt, par le jeu des provocations et des surenchères, les musulmans laïcs seront balayés pour laisser place au régime noir des intégristes. Certains n’ont pas tort  de comparer cette période à celle de Jimmy Carter, qui avait fait preuve de faiblesse vis-à-vis de l’Iran en restant passif devant le renversement du Shah et son remplacement par l’Ayatollah Khomeiny alors que l’Iran était en pleine évolution moderniste.  
Les manifestations violentes traduisent l’influence grandissante des salafistes, prompts à se mobiliser pour la défense du sacré. Les dictateurs arabes avaient neutralisé ces groupes disparates, adeptes d’un retour aux sources des «pieux ancêtres» (al-salaf el-saleh) et dont le fond de commerce reste le recours à la violence, en particulier dans les pays «libérés » comme la Libye, la Tunisie et l’Égypte. Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po  estime que «les salafistes ont une volonté de créer un rapport de force dans la rue, en prenant prétexte de la dénonciation des atteintes au sacré».

Antagonisme arabe

Les salafistes sont difficile à déloger et à combattre car ils ne représentent pas une organisation structurée mais des groupes hétéroclites indépendants, souvent sous la conduite d’un émir, qui diffusent uniquement un message religieux sans référence à la politique. Leur objectif est de réformer les régimes sur une base socioreligieuse, à base de charia. Les salafistes, qui vivaient terrés dans leur trou à rat du temps des dictatures, s’affichent à présent au grand jour, face à des gouvernements à la recherche de légitimité. 
Abou Iyadh al-Tounsi
Poursuivi depuis la violente manifestation devant l’ambassade américaine à Tunis, le leader tunisien salafiste radical, Abou Iyadh, nargue les autorités. Il a repris son nom de guerre, Abou Iyadh al-Tounsi («le Tunisien»), choisi dans les camps djihadistes d’Afghanistan et du Pakistan. Bourguiba avait forcé à l’exil les salafistes tunisiens et Ben Ali les avait pourchassés. Kadhafi les avait réprimés quand ils ont commencé à détruire des mausolées musulmans. Ils sont revenus au devant de la scène avec les révolutions arabes  et il semble que l’organisation salafiste radicale libyenne, «Katibat ansar el-charia», est à l’origine de l’assassinat américain à Benghazi. Exception cependant, les salafistes égyptiens sont entrés dans le jeu politique en Égypte après avoir remporté 25% des sièges aux élections législatives, juste après les Frères musulmans.
Mais les coupables agissant camouflés sont les saoudiens, qualifiés de modérés sous prétexte qu’ils n’appellent pas à la guerre contre les États-Unis mais qui, tout au long de leurs émissions religieuses, assènent un discours salafiste à destination des pays arabes. En encourageant à l'action les nébuleuses terroristes, ils cherchent à diviser les islamistes et à affaiblir les Frères musulmans avec qui ils sont en concurrence. Bassar Al-Assad n’hésite d’ailleurs pas à utiliser l’épouvantail salafiste pour contrer l’insurrection populaire et justifier ses massacres sous prétexte qu’ils noyautent la rébellion syrienne.
Qatar et Arabie saoudite

L’antagonisme entre le Qatar et l’Arabie pousse le Qatar à s’engager auprès des Frères musulmans tandis que l’Arabie soutient les salafistes au risque d'isoler leurs alliés américains. La stratégie des pays arabes modérés les condamnent au silence par lâcheté ou opportunisme jusqu’au jour où ils seront eux-aussi happés par les monstres qu’ils ont générés.

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