L’ECONOMIE
PALESTINIENNE EN QUESTION
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
copyright © Temps et Contretemps
Pendant
que Gaza se débat avec les terroristes qui traversent les tunnels pour attaquer
l’armée égyptienne et que l’on spécule sur une possibilité de dialogue avec les
palestiniens, la Cisjordanie reste à l’écart de l’agitation des mouvements
politiques de la région.
Économie et paix
A son
arrivée au pouvoir, Benjamin Netanyahou avait prôné une «économie de paix» dans les relations israélo-palestiniennes mais
la sémantique anglaise donnerait plutôt à penser qu’il songeait en fait à une «paix par l’économie». Il avait exposé
sa doctrine à la tribune de la Knesset pour convaincre ses interlocuteurs qu’il
mettrait sa mandature sous l’égide de la coopération avec les palestiniens et non de la confrontation. Le premier ministre palestinien a été de ceux, parmi
les dirigeants de l’Autorité
palestinienne, qui l’ont bien écouté.
Mais dans
les Chancelleries occidentales, la croissance de l’économie palestinienne reste
un tabou comme si les seules informations à diffuser doivent concerner le «malheur de la population sous le joug
israélien». Les presses étrangères adorent jouer les éplorées quand il
s’agit des palestiniens.
Arafat en tenue militaire à l'ONU |
Nommé
le 15 juin 2007, Salam Fayyed ne s’était pas présenté lors de son investiture
avec une tenue militaire et un holster chers à Yasser Arafat mais plutôt avec
sa calculette, l’arme des brillants économistes. Né en 1952 dans un village de
Cisjordanie, près de Tulkarem, il a fui sa ville natale à la suite de la Guerre
de Six-Jours pour s’installer avec sa famille à Amman.
Très nationaliste, il refusera la voie de l’activisme militaire pour celle d’études brillantes qui le mèneront du diplôme d’ingénierie de l’université américaine de Beyrouth, au doctorat d’économie et à la maitrise en comptabilité à l’université du Texas.
Très nationaliste, il refusera la voie de l’activisme militaire pour celle d’études brillantes qui le mèneront du diplôme d’ingénierie de l’université américaine de Beyrouth, au doctorat d’économie et à la maitrise en comptabilité à l’université du Texas.
Esprit occidental aux
manettes
Ses
aptitudes le conduiront à la Banque Mondiale à Washington de 1987 à 1995, au
Fonds Monétaire international (FMI) à Jérusalem de 1995 à 2001 puis enfin à la
présidence de l’Arab Bank en Cisjordanie. Il avait une conception du rôle de
premier ministre tendant à marquer sa
mission d’une empreinte purement économique. Il tient à obtenir l’indépendance
de la Palestine, sans armes et sans bombes, dans une guerre où les cadavres ne seraient
que des entités économiques. Il a intégré depuis longtemps, contrairement à ses
amis, l’idée qu’il ne peut pas se mesurer militairement à Israël.
Salam Fayyed et Stanley Fischer |
Il
veut donc rendre la Palestine indépendante économiquement de son voisin dans
un combat loyal. Lorsqu’il aura les moyens économiques, alors il réclamera à
l’ONU, comme Israël en 1947, le droit pour son pays d’exister en tant qu’entité
indépendante, même dans une petite portion de la Cisjordanie comme naguère Ben
Gourion avait préféré un «petit Etat
plutôt que pas d’Etat du tout».
Grâce à
lui, l’économie palestinienne, qui avait un fort retard, a subi un bond radical
que les experts comparent à celui de la Chine, toutes proportions gardées. La
croissance du PIB palestinien s’est élevée à 9,3% en 2010 avec de fortes
chances qu’elle atteigne les deux chiffres l’année suivante. Il doit cette croissance
exponentielle à la confiance que lui accordent les palestiniens et au fait que,
dans la situation de ni-guerre et ni-paix, Israël a décidé de collaborer avec
l’Autorité palestinienne.
Revenus
Alors
les revenus des taxes collectées par l’État juif, de l’ordre de 50 millions de
dollars par mois, sont régulièrement transférés, sans contrepartie politique,
sinon le calme aux frontières. Israël transfère par ailleurs automatiquement à
Gaza, tous les mois, 12 millions de dollars pour couvrir les salaires des
employés dépendant de l’Autorité palestinienne.
Mahmoud Abbas, l'Emir du Qatar et Khaled Mechaal |
Malgré une amélioration notable du
système bancaire, un contrôle plus efficace de l’usage des fonds et une réelle
crédibilité, Salam Fayyed n’arrive cependant pas à équilibrer son budget car
les aides promises par les «frères
arabes» ne lui parviennent pas. Il a dû refuser les exigences politiques
qui lui étaient imposée par certains. Les princes et émirs ne se pressent pas
pour mettre la main à la poche, sans pour autant cesser de pleurer sur le sort
des palestiniens.
De
2007 à 2012, Salam Fayyed a ramené le déficit courant de 27 % à 14 % du PIB et
réduit le nombre des fonctionnaires de 180.000 à 150.000. Malgré cela, l’aide
aux palestiniens s’est effondrée : de 3 milliards de dollars en 2008 à 1,8
milliard en 2011. Les États-Unis ont suspendu les 150 millions de dollars
d’aide annuelle en raison de la demande d’adhésion de l’Autorité palestinienne
à l’Unesco. Le refus des pays arabes riches en pétrodollars de combler le
déficit du budget palestinien, de l’ordre de 200 millions de dollars, s’explique
par leur volonté de laisser pourrir l’abcès de fixation palestinien alors que l’Arabie saoudite gagne 40
milliards de dollars par an avec son pétrole.
Les
premiers résultats ont été obtenus en ce qui concerne la situation de l’emploi puisque le chômage s’est stabilisé en passant
de 17,7% en 2007 à 20% en 2010 mais en n’ayant aucune commune mesure avec les 47%
de la bande de Gaza. Salam Fayyed s’en félicite et l’utilise comme argument de
poids pour démontrer que les islamistes du Hamas avaient fait le mauvais choix
de la confrontation violente. Les employeurs israéliens ont obtenu un accroissement
des permis de travail pour ouvriers palestiniens traversant la «ligne verte»
de l’ordre 60.000 car le bâtiment israélien, en forte croissance, souffre du
manque de main-d’œuvre. Les difficultés
faites aux hommes d’affaires palestiniens ont été levées pour permettre à 1.500
d’entre eux de traverser librement tous les check points grâce aux BMC (Business
Man Card).
La
Cisjordanie devient pour les investisseurs étrangers un nouvel Eldorado malgré
une ambiance économique mondiale maussade. Des centres commerciaux se
construisent et ouvrent dans les principale villes, Naplouse en particulier,
autrefois bastion du terrorisme. Les palestiniens ont compris qu’ils devaient
développer les services, à quelques encablures de Tel-Aviv pour des coûts
nettement moindres, en imitant les pays du Maghreb.
Alors, les
expositions et les conférences se multiplient à Hébron, Al-Bireh et Naplouse
apportant à ces villes austères un visage rayonnant et serein. Le visiteur de
Ramallah s’étonne aujourd’hui de la vivacité de cette agglomération qui se
transforme progressivement avec ses cafés, ses restaurants et ses lieux de
plaisir qui n’ont plus rien à envier à Tel-Aviv.
Les
palestiniens craignent les évènements de la région qui augmentent les risques
sécuritaires en éloignant les étrangers
bourrés de dollars, à la recherche d’exotisme. L’hôtellerie a fait un bond avec
le doublement du nombre de touristes dans la zone de Bethléem. Un million de
personnes s’y sont déplacées depuis la persistance d’un cessez-le-feu
généralisé. D’autres villes recherchent les touristes, comme Jéricho qui a
accueilli 500.000 personnes, entrainant une croissance de 42% des séjours à
l’hôtel. L’infrastructure hôtelière n’est pas encore aux normes occidentales
mais les investisseurs étrangers pourraient combler ce passif.
Projets concrets
Salam
Fayyed a convaincu les occidentaux, échaudés par la corruption sévissant du
temps de Yasser Arafat, qu’il ferait un bon usage de leurs dons surtout s’ils
s’impliquaient directement dans des projets concrets. Ainsi autour de la ville
de Bethléem, une zone industrielle de 230 kilomètres carrés a été créée en 2009
sous l’impulsion du gouvernement français. Elle pourra générer des emplois
locaux et susciter des investissements français et des délocalisations d’entreprises
israéliennes. et de consolider la paix dans la région. L’indépendance
électrique de la Cisjordanie sera par ailleurs assurée par la construction de
quatre transformateurs entièrement pris en charge par la Banque Européenne
d’Investissement.
Les
échanges dans les deux sens entre Israël et la Cisjordanie sont en croissance
continue comme le confirment l’augmentation de 41% du trafic de camions et
l’accroissement de 44% des ventes d’automobiles. Cette montée en puissance des
échanges est due en particulier à la réduction des postes de contrôle décidée
par le ministre de la défense Ehoud Barak qui a ordonné la suppression de 100
barrages routiers et l’ouverture continue de plusieurs autres.
Enfin
le gouvernement israélien tient à marquer sa volonté de participer au
développement de la Cisjordanie par une aide directe. Il le doit aux
sollicitations pressantes du président de l’Etat, Shimon Pérès, partisan de la
paix. Le ministère israélien des finances a donc lancé un appel d’offres pour
financer les entreprises palestiniennes qui a été remporté par le fonds
d’investissements Pitango. Un fonds de capital-risque de 30 millions d’euros a
été constitué entre l’Etat d’Israël participant à hauteur de 16 millions et des
fonds privés. Le but final est d’inciter
d’autres groupes israéliens ou étrangers à investir dans une région en voie de
pacification et aux opportunités immenses en termes d’infrastructures.
Salam
Fayyed est conscient que pour réussir il doit d'abord vaincre l'antagonisme du Hamas qui n'est pas prêt à lui faciliter la tâche puisqu'il pose comme condition sa mise à l'écart de tout gouvernement. Il n’est certes pas un bon politique, au sens politicien du terme, mais il a
prouvé que seule une cessation des hostilités pouvait engendrer des résultats économiques probants et peut-être, la "paix par l'économie" chère à Netanyahou.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire