TUNISIE : LA TENTATION ISLAMISTE
par Jacques BENILLOUCHE
Ben ALI |
Rachid GHANOUCHI Ecouter le symbole de la révolution du Jasmin : Le tube de Heidi Jouini Paroles du refrain : En cette nuit sous le jasmin, une branche se penche vers moi et essuie mes larmes.... |
La chute du pouvoir de Ben Ali a suscité un optimisme que ne partagent pas les dirigeants israéliens. Ils l’analysent avec précaution car l’instabilité qui résulte de cette prise de pouvoir brutale risque de provoquer de grandes surprises. L’inconnu reste le positionnement des islamistes.
Les islamistes de 1962
Bourguiba et son successeur Ben Ali les avaient éliminés de la scène politique à coups d’emprisonnement, d’expulsions ou de menaces. Les craintes actuelles s’expliquent par l’inexistence d’organisations démocratiques d’opposition, structurées et capables de canaliser les ambitions de ceux qui ont été privés du pouvoir depuis plusieurs années. En revanche, malgré la répression, les islamistes ont toujours gardé l’esprit militant et la discipline des partis clandestins tout s’organisant et en négociant de nombreux soutiens auprès de dirigeants arabes intéressés à orchestrer des troubles dans les pays arabes modérés. Les rivalités et les ambitions personnelles risquent à présent de primer sur l’intérêt national.
Les israéliens n’ont pas été pris au dépourvu car ils ont toujours axé leurs objectifs sur la recherche de renseignements et sur la constitution de dossiers complets sur les futurs cadres, en infiltrant les étudiants pendant leur formation en Tunisie et en France. Ils avaient ainsi constaté le fait historique que les tunisiens ont été les instigateurs de l’introduction du fondamentalisme en Europe.
Il faut remonter aux années 1962 pour comprendre l’évolution d’un groupuscule d’étudiants islamistes n’ayant au départ aucune stratégie de prosélytisme mais dont les résultats se sont avérés au delà de leur espérance. Ils restaient persuadés que le temps jouait en leur faveur et ils savaient qu’ils n’avaient aucun intérêt à bousculer les étapes. Ils tissaient les mailles de leur filet en plaçant leurs pions partout au sein de la société française tout en attendant patiemment le jour où ils retourneraient dans leur pays pour renverser le pouvoir.
Mossad en Tunisie
Un ancien agent du Mossad, qui avait œuvré en Tunisie puis en France, avait précisé que les israéliens avaient anticipé, dès cette époque, le danger de l’activisme islamique dans le cadre de leur principe de précaution. L’organisation avait alors décidé d’infiltrer le milieu étudiant, terreau des futurs dirigeants tunisiens, afin de mesurer de près l’émergence de cette hydre tentaculaire. Elle avait alors constitué des dossiers complets sur chacun des futurs cadres pour, le cas échéant, anticiper ses réactions et son comportement le jour où il arriverait au pouvoir.
Des étudiants tunisiens, menés par Ahmed Jaballah envoyé par le parti islamique tunisien MTI (Mouvement de la Tendance Islamique) pour implanter des cellules en France, sont alors noyautés par les égyptiens qui cherchaient à concurrencer le courant majoritaire syrien représenté par l’A.E.I.F, l’Association des Etudiants Islamiques de France qui avait vu le jour sous l’impulsion de Muhammad Hamidullah, au centre culturel arabe du Boulevard Saint Michel, au Quartier Latin. Cette entité, émanation des Frères Musulmans syriens, était placée sous la mainmise de pseudo-étudiants dont l’allure et l’âge ne faisaient pas illusion.
Les israéliens, qui cherchaient à surveiller ce qui se tramait chez leurs ennemis naturels égyptiens et syriens, furent amenés à s’intéresser de près aux tunisiens qui furent en permanence pistés et surveillés. Cette émanation syrienne très radicale, reproduisait déjà à petite échelle les effets de la concurrence entre les dictateurs du Moyen-Orient d’alors et se nourrissait du conflit idéologique qui l’opposait à sa cousine égyptienne. La lutte syro-égyptienne pour le contrôle des étudiants arabes en France sombrait dans des luttes intestines qui annihilaient toute action efficace. Cependant la politique répressive du Président Bourguiba et de son chef de la sécurité Ben Ali devait faire grossir les rangs des étudiants venus se refugier en France dès 1981.
Les Tunisiens contrôlaient toutes les instances des associations islamistes puisque le président Ahmed Jaballah et le secrétaire général Abdallah Benmansour avaient pris en main les destinées de ce qui n’était alors que la branche française du parti islamiste tunisien. Cette structure avait pour ambition de représenter seule l’Islam en France mais son audience restera longtemps marginale. Les Tunisiens, gênés dans leur action par les répressions en masse que leur faisait subir leur gouvernement, finiront par céder leur place en 1995 à des Marocains, au moment même où de nombreux attentats étaient organisés en France.
Complot
L’ancien agent du Mossad avait révélé qu’il fut informé par hasard qu’un complot avait été ourdi contre le président, par un militaire en stage à l’Ecole de Guerre de Paris. Le gouvernement israélien avait longtemps délibéré pour définir sa position dans une affaire purement intérieure d’un Etat. Mais son agent infiltré au centre culturel arabe du boulevard Saint Michel, découvrit que derrière ce complot se profilait l’ombre des Officiers Libres égyptiens, ennemis jurés des israéliens. Le gouvernement décida alors d’envoyer un officier du Mossad informer directement le président pour éviter toute fuite. Mendès-France accepta d’organiser la visite sans se douter du contenu de l’entretien. Il pensait favoriser le dialogue israélo-arabe. Une dizaine d’officiers généraux fut passée par les armes en décembre 1962 ce qui eut pour conséquence de mettre au pas l’armée et de la cantonner dans des actions plus civiles que militaires. Le Mossad reste cependant très actif en Tunisie puisqu’il a organisé l’évacuation des touristes israéliens bloqués durant les émeutes. Le porte-parole du Ministère des Affaires Étrangères, Yossi Levy, a confirmé l’information : « Cette histoire finit bien et c’est tant mieux. Mais elle a exigé des efforts de sauvetage, de la minutie et de la rapidité. L’opération a été menée par le ministère et d’autres agents. »
Le terreau islamiste
Un correspondant tunisien, ancien professeur d’université, Mustapha T., s’est inquiété ouvertement de la situation actuelle qu’il juge moins optimiste que dans l’esprit de la plupart des observateurs étrangers. Elle conduira selon lui à l’avènement du courant intégriste à moyen terme. Certes, les drapeaux islamiques ne sont pas apparus dans les manifestations de rue mais cela répondait à leur stratégie. Ils ne cherchent pas dans l’immédiat à intégrer les instances du gouvernement mais ils restent très actifs. Dans le chaos des pillages dans les villes, ils ont organisé des milices sous prétexte de protéger les biens et la sécurité mais ils profitent sournoisement de quadriller les régions en bandes organisées comme à Qasrin et à Gabès.
Mustapha axe son raisonnement sur un plan essentiellement économique. Il estime que la situation économique va empirer avec l’arrêt de la saison touristique. L’économie a par ailleurs déjà perdu 1,6 milliard d’euros, 4% du Pib, pendant la révolte populaire selon le ministre de l’Intérieur Ahmed Friaa. Le taux de chômage officiel s'élève à 14%, mais selon les experts économiques, il est plus proche de 25%. Les difficultés économiques vont certainement entrainer l’échec du nouveau gouvernement et la déception des émeutiers, déçus dans leurs illusions et proies faciles des islamistes qui leur proposeront monts et merveilles. Par ailleurs, il estime que les oppositions, qui n’ont jamais réussi à s’unir durant les journées sombres du régime dictatorial, ne réussiront jamais à s’entendre dans l’avenir et étaleront leur division au grand jour. Les structures de l’ancien régime restent encore tenaces à l’exception de quelques dirigeants en fuite ou emprisonnés. Il faudra beaucoup de mois pour en faire disparaitre les stigmates.
Rachid Ghanouchi, responsable du parti islamique d’opposition Ennahda, homonyme du premier ministre Mohammed Ghanouchi, avait appelé les tunisiens à « détruire le régime de Ben Ali en exigeant la dissolution de son parti politique ». Cet opposant défend la même idéologie que celle des frères musulmans et il est impliqué dans de nombreux actes de terreur dans les années 1980. Il a déjà qualifié de « mascarade » le nouveau gouvernement auquel il refuse de participer.
La seule institution qui semble sortir indemne de l’ancien régime reste l’armée dont le chef, le général Rachid Amar, avait refusé de tirer sur la foule. Certains voudraient la voir jouer le même rôle qu’en Turquie. Il faut rappeler que la royauté tunisienne était issue de la dynastie des beys, les chefs militaires nommés par l’empire ottoman dont il reste encore de nombreuses traces en Tunisie, en particulier la similitude des deux drapeaux. Un gouvernement à tendance islamique contrôlé par une armée dépolitisée, puisqu’elle n’a jamais accepté d’apparaitre en première ligne, serait le scénario le plus probable.
Les israéliens ne sont pas préoccupés par la situation des quelques 1800 juifs vivant encore en Tunisie mais ils s’inquiètent d’un effet domino sur les régimes arabes modérés. Il faut noter d’ailleurs que le roi Abdallah de Jordanie a imposé un blackout sur les graves émeutes contre le royaume qui ont secoué des tribus bédouines dans la ville de Maan. L’armée a réprimé avec force pour empêcher toute propagation de la contestation. Ils suivent donc la situation avec beaucoup d’intérêt mêlée d’inquiétude.
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