Liban révolution |
Des semaines durant, ils avaient occupé la rue, massivement avec le slogan «kellon yaané kellon» (tous veut dire tous). Avec ces trois mots, le soulèvement qui avait mobilisé des centaines de milliers de personnes dans tout le pays ambitionnait de le débarrasser de ses dirigeants, accusés de corruption et de despotisme. Le premier résultat obtenu le 29 octobre fut la démission du premier ministre Saad Hariri et de son cabinet dit «d’union nationale» regroupant la quasi-totalité des forces politiques dénoncées par les manifestants.
C’est un anniversaire un peu amer qui est célébré avec
le cœur lourd, même si pour certains le flambeau de la révolution brûle
toujours. La
dynamique des premiers mois de protestation s’est en effet essoufflée avec l’intrusion
de casseurs dans les rangs des protestataires, la répression des forces de l’ordre,
le développement de la pandémie, les noyautages politique, l’émergence de
divergences confessionnelles entre manifestants, l’incapacité des forces issues
de la société civile à proposer une alternative politique crédible et l’incroyable
inertie de la classe politique.
Le
mouvement a connu un triste second souffle après le 4 août à la suite de l’explosion
dévastatrice des 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium stockés au port de Beyrouth.
Et un an plus tard, la situation est bien plus catastrophique. Le pays s’est
enfoncé dans une crise économique, sociale et financière qui n’a cessé de
s’aggraver avec une descente aux enfers. La
crise de change avec l’effondrement de la livre libanaise, la crise économique
et son cortège de faillites et la crise bancaire avec l’effondrement du système
bancaire.
Le
processus s’était intensifié à partir de 2016 lorsque la Banque du Liban avait
offert aux banques des taux d’intérêt mirobolants, plus de 9 % dans certains
cas. Ces taux avaient servi à attirer les capitaux d'épargnants du Liban et du
monde entier dans une «pyramide de Ponzi» vouée à l'éclatement. Les
intérêts étant versés en ponctionnant le capital des nouveaux déposants.
Alors qu’ils n’étaient «que» 30% en 2019, 55%
des Libanais vivent désormais sous le seuil de pauvreté. Tous ces évènements
ont provoqué des départs massifs du Liban.
L’explosion du port de Beyrouth a jeté des milliers
d’Arméniens sur la voie de l’exode et leurs ateliers de joaillerie endommagés
n’ouvriront plus jamais leurs portes. La vague d’émigration actuelle est très importante
parmi les populations chrétiennes naturellement tournées vers l’Occident et
dont les quartiers d’habitation ont aussi été détruits.
Le phénomène migratoire a aussi des conséquences
politiques car il concerne les catégories socio-professionnelles les plus
actives dans la thaoura. C’est notamment le cas de plus de 300 médecins
libanais qui ont quitté le pays ou qui préparent leur départ.
C’est aussi le cas du secteur éducatif, frappé au cœur par un double mouvement
de départ massif des enseignants et des étudiants. Ces deux groupes formaient avec
la petite bourgeoisie libérale les piliers sociaux des mobilisations d’octobre.
Seule la pandémie freine ces mouvements.
Les 5 facteurs d’Anthony SAMRANI
Dns
son article «La thaoura, un an après. Pourquoi la révolution libanaise n’a
pas (encore) eu lieu» paru dans l’édition du 15 octobre 2020,
Anthony SAMRANI, qui est un rédacteur influent de l’Orient-Le
Jour, nous en donne les raisons : «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître
et dans ce clair-obscur surgissent les monstres». La citation de Gramsci
illustre parfaitement la situation actuelle au pays du Cèdre. Comment en est-on
arrivé là ? Cinq facteurs permettent de mieux le comprendre.
- Le premier est lié à la nature même de la thaoura et
aux contradictions de ceux qui ont voulu s’en faire l’écho. Les Libanais ont
exprimé en masse ce qu’ils rejetaient (la corruption, le clientélisme, le
confessionnalisme) sans définir clairement ce qu’ils souhaitaient.
- Le deuxième incombe aux partis de la société civile.
Ces derniers n’ont pas réussi à incarner une véritable alternative politique.
- Le troisième est le résultat d’une bataille entre
deux temporalités, entre la nécessité de répondre à la crise économique et le
besoin de réinventer la politique. L’une est une urgence, l’autre demande du
temps.
- Le quatrième est ce que l’on appelle la résilience
de la classe politique libanaise. Celle-ci a les moyens de garder le contrôle
sur l’ensemble du processus politique : formation du gouvernement,
décision parlementaire, calendrier électoral.
- Le cinquième est le facteur X, le plus décisif. Si
la classe politique est une forteresse imprenable, le Hezbollah en est
certainement le cœur. C’est le mur le plus difficile à franchir…Le parti chiite
veut préserver le statu quo à tout prix…Fer de lance de la contre-révolution,
le Hezbollah n’est prêt à accepter des changements radicaux que si cela
implique une modification de la Constitution en faveur des chiites et sans pour
autant rendre ses armes. Sinon, il a les moyens de paralyser tout le processus,
d’instiller la peur en ressuscitant les pires souvenirs de l’histoire libanaise
et en posant l’alternative suivante : «Vous voulez la révolution, vous
aurez la guerre».
Le Premier ministre désigné Saad Hariri s'adressant à la presse jeudi 22 octobre 2020 |
Tout ça pour ça...
Terrible illustration de la paralysie du système, près d'un an
après la démission de son cabinet, c’est le même Saad Hariri, le leader du
Futur qui a été désigné Premier ministre par les voix de 69 députés sur 119
pour tenter de former un gouvernement. «La classe dirigeante est toujours aux
manettes», «On prend les mêmes et on recommence», «Un an après on revient au point de départ», «Un an de perdu», «ce terrible
air de déjà vu» sont les remarques qui reviennent le plus souvent.
Jeunes volontaires dans les zones sinistrées |
La
rue mais aussi la communauté internationale avaient réclamé un cabinet composé
d’experts indépendants, capable de mettre le pays sur la voie d’un redressement,
avec pour
mission d’exécuter scrupuleusement «la feuille de route» française. Saad
Hariri s'est engagé à former ce gouvernement d'experts en vue de
mener les «réformes», en accord avec l'initiative française. Il a le soutien
de la France certes, mais en cas d’échec, l’initiative française n’aura fait
que renforcer la classe dirigeante.
Le « Poing de la révolution » |
Les enjeux de l’An II
Un «poing de la révolution» est de nouveau
érigé sur la place des Martyrs. Ce nouveau poing de 13 mètres de haut est devenu le symbole de la dignité du
peuple libanais. Il est nommé "Poing 3.0" car déjà reconstruit
trois fois après avoir été détruit par des partisans présumés de Saad Hariri.
Un an après, le principal acquis de la thaoura est la
solidarité et le réveil d’un sentiment national. Pour Zeina ANTONIOS dans l’Orient-Le Jour du 16 octobre 2020, l’esprit du citoyen solidaire est le produit de la thaoura :
«Les militants louent en chœur la solidarité dont le peuple libanais a fait
preuve dernièrement, …Dès le lendemain du cataclysme, des dizaines de personnes ont spontanément
débarqué dans les quartiers sinistrés, balais en main, pour prêter main-forte» aux sinistrés.
radio thawra |
Anne-Marie El-HAGE est confiante : «Malgré la fatigue et la démobilisation, la flamme ne s’est pas éteinte. Le soulèvement populaire n’a pas réussi à s’imposer comme alternative politique. Mais ses forces sont réelles : son caractère pacifique, ses idées qui parlent à une partie de l’opinion publique et sa volonté de s’organiser. La thaoura était bien plus qu’une fête géante permettant à tout un chacun de crier sa colère. C’était le réveil d’un sentiment national ». L’Orient-Le Jour 17 octobre 2020.
1 commentaire:
Et si le Liban - "la terre du lait et du miel" de la Bible - qui, depuis la plus haute Antiquité, en passant par le Moyen-Age, a vu les principales civilisations en faire leur patrie, et jusqu'à son instauration en tant qu'État indépendant, sur les ruines de l'Empire Ottoman, était en train de disparaître ?
Si ce qu'on nous présente comme une "révolution", n'était que l'ultime soubresaut de la fin ? Cette fin dont le point d'orgue aura été cette explosion au port de Beyrouth, à un moment où tout porte à croire, qu'une fois de plus, vont être redessinées ces frontières de "l'Orient compliqué" ?
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