ISRAËL ET
LA PEINE DE MORT
Par Jacques
BENILLOUCHE
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Dvir Sorek |
Le sujet de la peine de mort revient
sur le tapis lors de l'assassinat d’un Israélien, d’un adolescent à fortiori. À chaque fois qu’un terroriste ne tombe pas
sous les balles de la police ou de l’armée et qu'il en réchappe, on aborde en
Israël la question du châtiment suprême. Le débat s’ouvrira certainement avec l’arrestation
des assassins de jeune soldat de 18 ans, Dvir Sorek. Tsahal et le Shin Bet ont en effet arrêtés à Kfar Beit Khalil, deux terroristes, Nassir Salah Khalil Issafara, 24 ans et Qassam Aaraf Khalil Issafara, 30 ans, qui auraient perpétré l'attaque et
ont confisqué, à des fins d’analyse, le véhicule utilisé pour commettre le
meurtre.
Arrestation des assassins |
Le débat vient encore de s’ouvrir et des hauts dirigeants, Avigdor Lieberman en particulier, viennent de réclamer la peine de mort pour les
assassins. Certains vont jusqu’à se poser la question pourquoi
ils ont été laissés en vie durant l’opération. Les deux terroristes ont été arrêtés alors qu'ils dormaient dans leur lit, sans possibilité d'atteindre leurs armes. L’éthique de l’armée exige qu’un
homme désarmé, ou ayant levé les bras en signe de reddition, ne peut être abattu de sang froid. C’est
l’honneur d’une armée populaire que de se comporter avec humanité et non en bête
assoiffée de sang. La justice passera certainement.
Israël a
aboli en 1954 la peine de mort qui ne peut plus s’appliquer que dans le cadre
d’un «génocide, de crime contre l’humanité, de crime de masse, de
trahison ou de crime contre le peuple juif». Depuis la création de
l’État, elle n’a été appliquée qu’une seule fois contre le criminel nazi Adolf
Eichmann, exécuté à Jérusalem le 31 mai 1962. Mais, avant la création de
l'Etat, Israël garde en mémoire l’erreur judiciaire en la personne de Meir
Tobiansky dont le cas fut le plus grave et le plus scandaleux puisqu’il a été soupçonné
a tort de trahison. Il avait subi le feu d’un peloton d'exécution après un
procès bâclé, pendant la guerre d’Indépendance en 1948. Il a fallu plusieurs
années pour que son innocence soit reconnue et son nom réhabilité.
Eichmann en prison |
L’État juif adopte ainsi une position ambivalente alors
que les considérations sécuritaires sont fondamentales dans le pays. Israël a
confirmé sa position en votant pour la résolution de l’ONU du 18 décembre 2008,
impliquant un moratoire mondial sur les exécutions. Mais les pays étrangers
refusent de placer Israël parmi les pays abolitionnistes puisqu’il existe
encore, dans la loi israélienne, des cas d’application de la peine de
mort.
Les nationalistes israéliens veulent d’ailleurs s’appuyer sur les cas précis
soulevés pour exiger la peine de mort pour les terroristes. Ils n’ont pas
besoin d’un nouveau texte législatif puisque l’interprétation est libre. Ils
évitent cependant d’analyser les raisons de la loi de 1954, fondée sur la
violence insensée et sur les crimes en rapport avec la Shoah. Mettre sur un même
pied d’égalité les crimes de droit commun, voire la violence terroriste, risque
en effet de banaliser les crimes nazis pour lesquels la loi a été votée. Il existe des niveaux de responsabilité qui ne peuvent pas être comparés.
Il ne semble pas que la classe politique israélienne soit en faveur de
la peine de mort et on soupçonne sa réticence. L’assemblée plénière de la Knesset du 17 juin 2015 avait
rejeté en lecture préliminaire une proposition de loi qui instituait la peine
de mort pour les terroristes condamnés. Ce texte aurait rendu plus facile aux
tribunaux militaires et aux districts de condamner à mort les personnes
reconnues coupables d’assassinat avec des motifs nationalistes. Une grande
majorité de la Knesset s’est opposée à ce projet puisque seuls 6 députés ont
voté en sa faveur alors que 94 autres, présents, ont voté contre.
On en déduit que la tradition
rabbinique confirme les positions abolitionnistes de l’État juif et de la
diaspora juive. Les termes de la loi de 1954 sur la peine capitale
reflètent en fait l’héritage de ces coutumes.
Si Israël voulait recourir à la peine de mort, la tradition juive et la loi de
1954 ne seraient pas un obstacle car seules les considérations sécuritaires
priment sur les considérations morales. En effet, comme dans toutes les lois,
on peut interpréter à sa façon les textes et les expressions «crime contre
le peuple juif» et «trahison» qui couvrent tous les horizons du
terrorisme. Il est vrai que face au développement des actes terroristes
sanglants contre des femmes et des enfants, les appels pour le
rétablissement de la peine de mort se multiplient car certains sont convaincus
que l’échafaud pourrait avoir un effet dissuasif. Mais cela est valable pour
des personnes raisonnables, normalement constituées, et non pour des candidats
au suicide. Les jeunes terroristes savent qu’avec Israël, la mort est certaine
au bout du chemin, à de rares exceptions près, et pourtant la mort n’est pas
dissuasive.
En revanche, les services israéliens de sécurité intérieure (Shabak) sont
intéressés à capturer un assassin vivant car ils peuvent alors obtenir de
précieuses informations sur le réseau, le commanditaire, les caches d’armes et
les attentats planifiés. En le laissant en vie, la récolte d'informations peut sauver de nouvelles vies. La théorie du loup
solitaire est surfaite ; les terroristes sont guidés par des gourous et c’est
eux qu’il faut rechercher et même éliminer. La mort pour un assassin pourrait
paraître un soulagement alors que vingt ou trente ans de prison risquent d’être
un calvaire physique et psychologique. Par ailleurs, Israël ne peut pas ignorer
la levée de boucliers prévisible des nations «libres» contre des
méthodes de mise à mort d’un autre temps. Israël est suffisamment pointé du
doigt dans le monde pour donner une autre raison d’être voué aux gémonies.
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