LE PRAGMATISME D’AVIGDOR LIEBERMAN
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Avigdor
Lieberman a beaucoup évolué, à la droite du Likoud, en abandonnant ses
positions extrêmes. Considéré pendant longtemps comme un nationaliste
pur et dur, favorable au Grand Israël, le ministre de la défense a décidé
d’occuper l’espace libéré entre le Likoud et les sionistes religieux de Naftali
Bennett. Il n’est plus le ministre qui pourrait mettre le Moyen-Orient en feu. Il
sent que la faiblesse de Netanyahou, frappé par différentes affaires, lui offre
une carte nouvelle à jouer. Il a aussi intégré l’idée que la séparation avec
les Palestiniens serait la seule solution viable. C’est pourquoi, toute
initiative est envisagée avec sérieux.
Lieberman, Dahlan |
On
se souvient des entretiens secrets qu’il a conduits à Paris avec Mohamed
Dahlan, le seul dirigeant acceptable par les Israéliens, capable de remplacer
Mahmoud Abbas. En 2011 déjà, il avait élaboré un plan laissant intactes les
implantations et confiant aux Palestiniens 45% de la Cisjordanie ainsi que des terres
supplémentaires en Israël, prélevées sur une bande longeant la ligne verte en
incluant de nombreuses villes arabes israéliennes. Il y trouvait un moyen de «judaïser»
l’État d’Israël et surtout de le sécuriser face à la radicalisation de certains
Arabes israéliens. Il avait surtout compris qu’il ne pouvait pas cautionner la
radicalisation de la droite israélienne qui mène à l'impasse.
Qalqilya vu côté israélien |
Avigdor
Lieberman avait présenté, en août 2016, un plan visant à étendre la ville
palestinienne de Qalqilya au nord de la Cisjordanie pour construire 14.000
nouveaux appartements sur 2.500 dounams (250 hectares) prélevés sur la Zone C
contrôlée par Israël. Cette extension, approuvée par le Cabinet, permettrait de
doubler la population jusqu’à 110.000 habitants. Malgré le vote acquis, plusieurs
ministres se sont opposés à ce projet dont le ministre de l'Environnement, Zeev
Elkin, qui a estimé que «un gouvernement du camp national ne peut pas
accepter une telle réalité. Pour autant que je me souvienne, le plan n'a jamais
été discuté par le cabinet. L'avancement du plan, sans une discussion
exhaustive du cabinet, est, à mon avis, une tentative des rangs supérieurs de
l'armée de façonner une nouvelle réalité derrière le dos des politiciens, et je
ne suis pas d'accord avec cela».
Le ministre de l'Éducation, Naftali Bennett, et la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, de Habayit Hayehudi, ont approuvé l’approche «carotte et bâton à l'égard des Palestiniens» mais ils ont exigé que le plan soit gelé jusqu’à ce que 14.000 logements soient approuvés en contrepartie pour les Israéliens de la zone C.
En couleur l'extension de Qalqilya |
Le ministre de l'Éducation, Naftali Bennett, et la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, de Habayit Hayehudi, ont approuvé l’approche «carotte et bâton à l'égard des Palestiniens» mais ils ont exigé que le plan soit gelé jusqu’à ce que 14.000 logements soient approuvés en contrepartie pour les Israéliens de la zone C.
La
situation semble s’envenimer entre Lieberman et Yossi Dagan, chef du Conseil
régional de Samarie, alors que le ministre de la défense justifie son projet
pour raisons sécuritaires. D’ailleurs cette affaire divise le camp de la droite
alors que se profilent peut-être des élections anticipées. Lieberman critique ouvertement
le «droit messianique» que se sont alloué les sionistes
religieux face à son «droit pragmatique et responsable». Mais en fait il n’est pas mécontent de
cette situation qui fracture la droite, modifiant ainsi le paysage électoral.
Yossi Dagan |
Ce
plan de Qalqilya avait pour objectif d’influer sur la vague de terrorisme qui
s’était développée depuis les territoires. Il avait été conçu par Lieberman dès
son entrée au ministère de la défense avec le concours de Tsahal et du Shin
Beth sous l’appellation «carottes et bâtons». Cette nouvelle politique
tentait de favoriser les villes palestiniennes calmes pour pousser les plus
turbulentes à suivre la même voie. Les services sécuritaires et le chef d’État-major,
Gadi Eizenkot, avaient appuyé ces mesures positives pour la population arabe. La
ville de Qalqilya a été choisie car il s’agit d’une ville tranquille qui se préoccupait d’abord de son développement puisqu’elle avait l’intention de construire un
centre commercial et un zoo. Pour aller dans le sens du compromis, Israël a
accepté de se défaire de quelques arpents de terre de la zone C pour
l’attribuer en toute propriété aux Palestiniens parce qu’il n’y avait pas d’autres
terrains disponibles autour de la ville.
Erdan-Elkin |
Le
plan avait été approuvé par le Cabinet en 2016 mais les habitants des
implantations n’avaient pas alors réagi, estimant qu’il n’y aurait aucune réalisation au final. C'était sans compter sur la détermination de Lieberman. Aujourd’hui, face à la volonté du ministre de la défense,
le Conseil régional fait pression sur le gouvernement. Certains ministres, Zeev
Elkin, Gilad Erdan et Israël Katz, ont décidé de bloquer le projet qu’ils
avaient accepté car ils craignent aujourd'hui la déperdition des voix de leurs électeurs. Pourtant,
les officiers de l’État-major ont tous appuyé le projet et ont donné leur
imprimatur en ce qui concerne l’aspect sécuritaire. Ils pensent que cela
pousserait la population à s’éloigner des options de terreur prônées par les
radicaux islamistes. Bien que le projet ait été temporairement suspendu,
Lieberman n’a pas l’intention de céder parce qu’il est «contre le
droit messianique et qu’il combat les tenants d’un État binational». Il sait qu’il peut compter sur l’appui des
militaires.
L’aspect
purement politique n’est pas étranger à sa volonté de poursuivre son
projet ; il a ouvertement renoncé à l’appui des habitants des territoires
et des militants de l’extrême-droite. Son électorat se trouve parmi les Russes et
les militants laïcs de la droite modérée, inquiets du poids des religieux. Il
pense qu’il a un nouvel espace pour lui, à droite du Likoud. Au sein du
gouvernement, il est passé du statut de «faucon» à celui de
modéré et il n’est pas impossible qu’il soit rejoint dans sa stratégie par le
premier ministre qui juge à présent les capacités de nuisance des leaders de
Habayit Hayehudi avec beaucoup de réticence. Netanyahou reste très évasif, évite de prendre des décisions et il
navigue entre deux eaux, entre ses militants du Likoud et ceux des sionistes
religieux.
Yossi
Dagan veut faire exploser le plan de Lieberman en menaçant d’agir au sein du
Likoud parce qu’il se vante d’avoir accumulé beaucoup de pouvoir dans les
institutions du parti. Il envisage même de «mettre en place un autre
candidat pour le poste de premier ministre qui serait engagé, par des actes et
pas par des mots, à l'idéologie du camp nationaliste en Israël». Lors
d'une réunion des dirigeants de la coalition le 18 juin, Netanyahou s'était
éloigné du plan en prétendant ne plus se rappeler de la décision prise par le
Cabinet à ce sujet. Drôle d’excuse d’une panne de mémoire de la part d’un
premier ministre pour obtenir en fait un nouveau débat au sein du Cabinet et
peut-être pour annuler la décision de 2016.
Lieberman
a rejeté la «manipulation politique» des habitants des implantations.
Il a confirmé que le plan serait présenté en totalité pour nouvelle approbation
du Cabinet. Mais il pourra difficilement
éviter une bataille politique à l'intérieur de la droite et peut-être même une
crise politique. Il ne peut plus reculer s’il veut poursuivre sa marche vers le
leadership de la droite modérée. Il n’est plus le populiste des élections de
2015 qui avait axé sa campagne contre la population arabe israélienne. Il n’hésite
plus à afficher sa rivalité face à Naftali Bennett qu’il ne cesse de qualifier
de leader d’une «droite délirante et messianique». Il
l’accuse d’infantilisme en plaçant les intérêts de son camp d’extrême-droite
avant ceux d’Israël et de la politique extérieure du pays. Il a expliqué qu’il
existe à présent trois droites, la populiste représentée par la ministre de la
culture Miri Regev, la messianique de Naftali Bennett et la sienne, la
pragmatique qu’il voudrait rassembler dans une nouvelle entité.
Les
derniers sondages placent encore la droite en tête malgré les enquêtes
criminelles qui touchent l’entourage de Netanyahou. Mais le centriste Yaïr
Lapid et le travailliste Avi Gabbay reprennent du poil de la bête. Lieberman compte
sur le déclin du Likoud et sur la stagnation de Bennett pour revenir au sommet
en appliquant sa politique pragmatique. Lui qui était persona non grata dans les Chancelleries
occidentales dans ses fonctions de ministre des affaires étrangères, il veut à
présent apparaître, en tant que ministre de la défense, comme le bon élève américain qui applique le
principe de «deux États pour deux peuples».
3 commentaires:
Clair et encourageant, un peu de raison et de pragmatisme ne peuvent pas faire de mal ! ! !
Merci - article très intéressant sur ce politicien passé du personnage de "Cosaque" à celui "pragmatique" et parfois "yes man". Reste à savoir lequel des trois est le plus proche de sa vérité intérieure .
Avigdor Lieberman a bien changé.
Dans cet Article de Jacques Benillouche, nous pouvons remarquer que le "faucon" a changé, même s'il n'est pas devenu "colombe".
Lieberman est la preuve vivante qu'il y a des dissensions dans le Monde Politique Israélien, et même au sein du Likoud.
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