L’IRAN
D’HIER À AUJOURD’HUI
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L'art dans les rues de Téhéran |
J’ai assisté ce 17 mars au colloque : «Iran : la Révolution en héritage. Comprendre les enjeux économiques et
culturels de l'Iran actuel». Un titre assez fourre-tout, mais
annonçant un peu la couleur (La Révolution en héritage, c'est un peu élogieux
pour une théocratie). Deux co-organisateurs. D’une part, l'Institut Français
des Relations Internationales (IFRI), représenté par Dorothée Schmid, responsable
du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient, qui modéra la seconde table
ronde. D’autre part «Les Lettres Persanes», site d'information
sur le pays [1], représenté par son directeur
Roohollah Shahsavar, qui modéra la première.
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Lettres persannes |
Disons-le
tout de suite : j'étais venu d'abord par curiosité. Une rapide visite des Lettres
Persanes fait en effet deviner un outil de lobbying du régime en France,
bien à l'image du Soft Power de la République islamique qui est infiniment plus
subtile dans ses discours destinés à l'étranger que les États arabes. Animé par
des jeunes Français ou Iraniens vivant en France, ce site offre des infos
uniquement venues d'Iran, « pour éviter de dire des bêtises » comme
devait l'affirmer en introduction une jeune de son équipe au sujet d’un pays
qui figure au peloton de queue de la liberté de la presse, selon le classement
de Reporters sans frontières [2] ; cela ne
manquait pas de piquant !
Beaucoup de nouvelles concernent
l'économie sur ce site, ce qui est naturel à l'heure de la réouverture du pays
sur l'Occident suite aux accords sur le nucléaire de juillet 2015 ; mais aussi
la vie politique interne, comme si on avait affaire à une vraie démocratie ;
bien entendu rien concernant l'état des libertés ou le traitement de certaines
minorités ; mais il y a aussi de nombreux articles généraux traitant de la vie
quotidienne, des sites touristiques ou de culture, à l'adresse d'un public
français fasciné - et cela se comprend - par une très vieille et riche
civilisation. Ajoutons à cela le look du directeur - barbe islamique finement
taillée, chemise blanche sans col bien conforme au régime - je m'étais donc dit
que j'allais subir quelques heures de langue de bois. Or, plusieurs
interventions m'ont ensuite agréablement surpris.
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Alain Frachon |
Première table ronde, intitulée « Entre
révolution et modernité, les forces politiques en présence ». Et
premier intervenant, Alain Frachon, journaliste et ancien directeur éditorial au
journal Le Monde. Il connait bien l'Iran, pour y avoir été correspondant
de l'AFP pendant la révolution islamique de 1979. Il parla de ce qu'il avait
vécu à l'époque, avec une réelle distanciation critique. Pour lui, rien n'était
joué au moment de la chute du Shah, il a conservé l'impression d'une « pagaïe
invraisemblable » avec des milices s'affrontant dans la rue, de
l'extrême gauche aux islamistes de toutes obédiences. Le fameux concept du « Veyalat
e-faqih » (gouvernement des sages) assurant la prééminence des
religieux sur les politiques, faisait l'objet de débats même chez certains
Ayatollahs. Pour lui, il en a la certitude, ce qui a été le véritable évènement
fondateur de la République Islamique, ce ne fut pas la révolution mais
l'attaque de l'Irak l'année suivante, une guerre terrible qui dura huit ans et
où quasiment le monde entier - les Arabes, mais aussi les États-Unis, l'Europe
et au moins au début l'URSS - étaient contre l'Iran. Cela a soudé le pays, rallié
les militaires au régime, et fortement contribué à la mentalité collective du
pays : Alain Frachon n'a pas eu peur d'utiliser le mot paranoïa. Cette
guerre a aussi vu la montée en puissance des Gardiens de la Révolution, au
début simple milice puis devenue une véritable armée, mais surtout force de
contrôle économique du pays par l'intermédiaire d'une multitude de fondations.
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Azadeh Kian |
Deuxième intervenant dans la même
table ronde, Azadeh
Kian, professeur de sociologie, iranienne vivant en France et directrice du
CEDREF (Centre d’Enseignement, de Documentation et de Recherches pour les
Etudes Féministes) à l'Université Paris 7. Elle a fait des recherches
sociétales en Iran pendant 14 ans, et on devine que sa liberté pour aller et
venir avait pour condition une certaine « neutralité » vis à
vis du régime. Cela ne l'a pas empêché, cependant, de ne pas trop parler la
langue de bois, à propos de l'idéologie de la révolution, traitée « d'hétéroclite »,
et du régime, qualifié de « factionnel, plébiscitaire et
institutionnalisé », et qu'elle n'a jamais traité de démocratie. Elle
a rappelé que l'Ayatollah Khomeiny était à l'origine hostile au multipartisme ;
les tentatives d'organiser les élections autour de partis politiques datant des
élections de 1996 n'ayant jamais abouti. Elle a souligné que les candidats aux
différentes élections - Présidence, Parlement - passaient pas le filtre du
Conseil des Gardiens. Pour une présentation résumée du système iranien, voir
par ailleurs sur mon blog [3].
Ainsi, on n'a pas vraiment de
structuration par partis du Parlement (Majles), mais des regroupements souvent
opaques de mouvances, souvent par affiliation à une personnalité religieuse.
Ceci étant, on dénote des évolutions : davantage de femmes députés (elles sont
maintenant au nombre de 18) et une certaine ethnicisation avec des listes d'Azéris
et de Kurdes. Pour les élections à la Présidence de la République islamique,
qui ont lieu deux semaines après la présidentielle en France, elle prévoit un
succès de Rohani, les conservateurs, les populistes et les ultra conservateurs
étant divisés. Mais Azadeh Kian devait, pour terminer son exposé, tenir des
propos assez iconoclastes. Pour elle, ce qui menace le régime, ce n'est pas
l'Arabie Saoudite, ce n'est pas non plus Israël, dont elle a souligné la
différence d'approche entre Netanyahou et les responsables sécuritaires, qui
jugeraient favorablement l'évolution de l'Iran après l'accord sur le nucléaire,
permettant son développement pacifique. Non, pour elle la menace est intérieure
car la corruption s'est énormément développée ; le régime se dit conforme aux
principes éthiques du Coran, or ce n'est pas le cas, et cela peut finir par une
révolution comme en 1979 !
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Hamze Ghalebi à gauche |
Par contraste, le troisième
intervenant, Hamze
Ghalebi, présenté comme « consultant indépendant, ancien conseiller
ministériel », vivant à Paris - et lui aussi au look bien typé de
supporter du régime - a fait un exposé nettement plus conformiste. Présentation
de chiffres objectifs certes, mais à la gloire de la République islamique. Il y
a maintenant 233.000 ingénieurs dans le pays, plus en pourcentage qu'aux USA ;
l'espérance de vie a augmenté d'une vingtaine d'années ; les femmes sont
maintenant majoritaires à l'Université, 20% travaillent. Il a souligné des
invariants géopolitiques depuis l'époque des Shahs, sentiment d'isolement pour
un État entouré de sunnites, désir d'avoir une fenêtre sur la
Méditerranée, désir aussi d'avoir une armée moderne. Et il a choisi comme
dernière illustration de son exposé les photos couplées des deux personnalités
les plus populaires d'Iran, Mohammad Jawad Zarif, ministre des
Affaires Étrangères qui négocia les accords sur le nucléaire, et le général Soleimani,
chef des forces Al-Qods au sein des Gardiens de la Révolution. Bien entendu, il
n'a pas rappelé en public l'objectif stratégique de ces forces, tournées contre
le régime sioniste, leur soutien logistique au Hezbollah et au régime de
Damas. Prenant la parole avec beaucoup de finesse, Alain Frachon remarqua alors
que le général Soleimani « devait se sentir chez lui, en Irak, en Syrie
et au Liban », que l'Iran cherchait à sortir de « son statut
de paria » et que ce pays a un « tropisme de puissance
régionale ».
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Hamzeh Arabzadeh |
La
seconde table ronde était intitulée « Socialisme et capitalisme
iraniens à l'heure de la mondialisation : une économie révolutionnaire ? ».
Un titre bien pompeux en fait, et démenti par les trois intervenants. Passons
rapidement sur les deux premiers, qui se sont exprimés en anglais et ont fait
des présentations power points souvent trop techniques. Hamzeh
Arabzadeh, économiste et enseignant à l'Ecole
d'Economie de Paris, a présenté les faces lumineuses et sombres de la
situation. Côté lumineux, trois universités iraniennes font maintenant partie
du Top 50 international, le pays compte plus d'établissements supérieurs scientifiques
que la Turquie ou le Mexique. Mais trois handicaps se sont accumulés au cours
des décennies, les sanctions, la corruption et la fuite des cerveaux. L'indice
de corruption est au même niveau que la Russie. Enfin, l'obligation d'utiliser
des intermédiaires pour contourner les embargos a couté des centaines de
milliards de dollars à l'économie.
Second intervenant, Mehrdad
Emadi, économiste au cabinet Betamatrix de
Londres. Lui a souligné la chute de la natalité, facteur plutôt positif mais
qui n'empêche pas un fort pourcentage (30%) de chômage chez les jeunes.
L'industrie pétrolière et les services publics ne peuvent résoudre ce problème,
seules les exportations de bien manufacturés le permettraient mais pour le
moment leur qualité est inférieure aux standards internationaux.
Dernier intervenant de cette table
ronde, Thierry Coville, chercheur associé à
l'IRIS - dirigé par Pascal Boniface. J'attendais le pire, vu cet institut et
ses publications personnelles sur l'Iran, qu'on retrouve sur leur site [4]. Or je fut très agréablement surpris par son
exposé, à propos du « capitalisme familial » qui s'est
développé dans le pays. En fait d'économie révolutionnaire, le pays a connu des
nationalisations massives, qui représentent maintenant 80% de la production
dans le pays. A partir d'une enquête faite en Iran en 2014, il a ramené des
chiffres étonnants : 97% des entreprises sont des microstructures de 1 à 5
employés, elles sont en grande majorité familiales. Il y a en effet une grande
méfiance vis à vis de l'État, considéré comme prédateur et pouvant exproprier
les entrepreneurs. Cette méfiance s'exerce, particulièrement, « vis à
vis des Fondations appartenant aux Pasdarans », et elle entraîne une
réelle opacité, les capitaux étant dispersés dans plusieurs petites sociétés,
qui vivent en évitant une réelle transparence. Grand avocat de la République
Islamique en matière de géopolitique, Thierry Coville aura ainsi levé un voile
sur le frein principal vers la modernité du pays : la peur. Peur inévitable
dans un État totalitaire, expression que j'utilise mais que bien sûr il n'était
pas convenable d'utiliser dans un tel colloque !
[1] : http://leslettrespersanes.fr/
[2] : https://rsf.org/fr/classement
[3] : http://rencontrejfm.blogspot.fr/2017/02/une-democratie-en-trompe-loeil.html
[4] : http://www.iris-france.org/chercheurs/thierry-coville/
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