TURQUIE ET GRÈCE AU BORD
D’UN CONFLIT MILITAIRE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Kardak (Imia) |
Il
faut d’abord situer la scène du conflit que personne n’est capable de pointer
sur une carte. Les deux îlots inhabités Imia (en grec)
ou Kardak (en turc), qui font partie du Dodécanèse en mer Égée, sont à
la base du conflit entre deux membres de l’OTAN, la Grèce et la Turquie. Chacun
affirme sa souveraineté sur ce minuscule territoire situé pratiquement sur leur
frontière commune. Les deux îlots, distants de 300 mètres l'un de l'autre, se
situent à 10 kms à l'est de l'île grecque Kalimnos et à 7 km de la côte de la
péninsule turque de Bodrum. Leur superficie totale est de 4 hectares soit 40
dounams.
Kardak |
La tension actuelle est similaire à
celle qui avait presque abouti à un affrontement militaire, en 1987 et en 1996.
L’origine du conflit est liée au fait que la Turquie conteste la légitimité de
la souveraineté grecque, qui date de 1946 lors du rattachement du Dodécanèse à
ce pays. Chacun des deux pays revendique les deux îlots et tout partage semble
donc pour le moment impossible. Le conflit ne pourra probablement être aplani
que dans le cadre d'un règlement global du contentieux gréco-turc en mer Égée.
Le
point de rupture au sujet de la mer Égée a eu lieu en 1996. Le 25 décembre
1995, un cargo turc avait échoué au large d’un groupe de rochers près de la
petite ville turque balnéaire de Turgutreis. Ces rochers ont été dotés
immédiatement de deux noms, Kardak pour les Turcs, et Imia pour les Grecs. Les
autorités grecques qui avaient porté secours à ce cargo ont été accusées par
les autorités turques d’avoir violé leurs eaux territoriales. Après un
échange de notes diplomatiques plus ou moins violentes, ce sont les forces
populistes et nationalistes des deux pays qui sont entrées en jeu et une course
au drapeau a commencé.
Le
26 janvier 1996, le maire de l’île de Kalymnos était venu sur les rochers pour
y planter le drapeau grec. Immédiatement après, deux «journalistes» du
quotidien populiste turc Hürriyet arrivés en hélicoptère sur cet îlot y ont
planté un drapeau turc. La marine grecque est intervenue pour enlever ce
drapeau et le remplacer par un drapeau grec pour affirmer la souveraineté
grecque sur ces rochers. En réponse, l’armée turque a envoyé un commando sur un
autre rocher à proximité. La presse des deux pays a outrageusement exploité
l’événement en évoquant la possibilité d’une «guerre des Falkland» entre la
Grèce et la Turquie.
Par hasard, au même moment, la Turquie se trouvait en plein milieu d’une crise
politique où Tansu Çiller, alors premier ministre, était confronté à la
difficulté de former un nouveau gouvernement. De manière provocatrice, elle
s’est emparée de cet incident pour créer une exaspération nationaliste
encouragée par la presse. En Grèce non plus, la situation politique n’était pas
stable. Après le retrait d’Andréas Papandréou, après des luttes internes,
l’aile modérée du PASOK s’était emparée de la direction du parti et avait formé
son premier gouvernement sous la direction de Costas Simitis.
Lorsque
la crise d’Imia/Kardak a éclaté, le gouvernement Simitis s’est trouvé
prisonnier des attitudes nationalistes habituelles du PASOK. Mais l’escalade s’était
arrêtée là, grâce à l’intervention du président américain Clinton le 31
janvier. Il était clair que les deux pays avaient connu une grosse frayeur et que cet événement montrait la fragilité du statu quo. Les relations bilatérales étaient
alors entrées dans une nouvelle phase de détente. En effet, depuis 1996, les autorités turques
soutiennaient l’idée que certaines zones de la mer Égée n’ont pas un statut clair
et veulent inclure ce problème dans le conflit plus général de la mer Égée.
Pour la Grèce, il n’y a qu’un seul conflit égéen, celui concernant le plateau
continental et son règlement doit être confié à La Haye.
Hulusi Akar |
Mais
le conflit vient d’être réactivé par le chef d’État-major turc Hulusi Akar qui a
effectué le 29 janvier 2017 une visite surprise à l’îlot Kardak à l’occasion du
21ème anniversaire de l'incident militaire qui avait amené les deux
pays au bord d'un conflit armé. La plaie ne semble pas être refermée.
Ce
nouveau réchauffement est un prétexte car la raison se trouvait ailleurs. Les
relations sesont à nouveau tendues en raison de la demande d’asile politique de huit
soldats turcs putschistes. Une manifestation de force a donc été organisée avec
la présence des chefs de la marine et de l’aviation lors d’une visite proche
des îlots Kardak en Mer Égée. Pour donner une dimension dramatique, les Turcs
ont affirmé qu’un navire militaire grec a tenté d’empêcher le navire
transportant Hulusi Akar de se rapprocher des deux îlots. Une photo a été diffusée montrant Akar sur un navire près des îlots
tandis qu'un bateau de patrouille grecque naviguait à ses côtés.
La Turquie procède en fait à un
chantage à la guerre car un tribunal grec a refusé d'extrader huit soldats pro-putschistes qui ont fui vers la Grèce
après la tentative de coup d’État du 15 juillet, qui a tué 248 personnes et
blessé plus de 2.200 autres. Les responsables turcs ont durement critiqué la
décision jugée hautement politique parce qu’elle ignore les traités bilatéraux
et internationaux. La Turquie prétend que, par ce refus, la Grèce soutient en
fait le terrorisme. Le tribunal a jugé que les hommes, qui ont fui vers
la Grèce par hélicoptère, ne pouvaient pas être assurés d'un procès équitable
et pourraient subir des tortures en cas d’extradition.
Quartier du Phanar Istanbul |
En fait, les deux pays souffrent de relations controversées à propos des eaux territoriales de la mer
Égée, de la question de Chypre, du statut des Turcs de Thrace occidentale qui
font partie de la République hellénique et enfin du statut du Phanar grec.
Le
Phanar est un quartier historique de la vieille ville d'Istanbul où se situe le
siège du Patriarche de Constantinople. Le Phanar veut être assimilé à un Vatican
orthodoxe mais il n’a aucune autonomie territoriale ni aucun pouvoir politique,
même si le patriarche exerce une certaine influence internationale sur la gestion
spirituelle des Églises des sept conciles, et rivalise avec le patriarcat de
Moscou pour la primauté synodale de l'ensemble des Églises orthodoxes.
Toutefois, cette juridiction n'est pas reconnue par le gouvernement turc, qui
la considère comme un simple évêché local, et qui ne reconnaît officiellement
que le patriarche orthodoxe turc, non-canonique.
La Turquie a dénoncé le verdict contre les mutins et a
menacé de suspendre son accord avec la Grèce sur le traitement des
migrants. Les deux parties n’ont aucun
intérêt à envenimer la situation car elles ont tiré des dividendes économiques et
politiques de leur rapprochement. La Grèce et l'Union européenne comptent sur
la Turquie pour empêcher des centaines de milliers de migrants de traverser la
mer Égée. De son côté la Turquie a besoin du soutien grec pour devenir une
plaque tournante de l'énergie entre la Russie, l'Asie centrale et en Europe.
Ils craignent un blocage dans un accord de paix pour Chypre, divisée depuis 42
ans entre un sud chypriote grec et un nord occupée par les Turcs.
Erdogan, qui prépare un referendum
pour s’octroyer plus de pouvoir, recherche quelques opérations nationalistes
pour redorer son blason. Mais il fait déjà face à plusieurs conflits qui le
dépassent. La guerre contre les insurgés kurdes et les conséquences du coup
d’État perpétrés par des islamistes. Il aurait trop à perdre de l’extension
d’une épreuve de force dans la mer Égée. Le même raisonnement est valable pour la Grèce qui
a d’autres chats à fouetter.
1 commentaire:
Tant qu'à faire, il vaudrait mieux annexer ces territoires à Israël et appeler le tout Kiryat Ima... En faisant un acte d'une telle audace, on fera oublier les problèmes du gaz entre Israël et l'Europe, dans l'eau de laquelle le gaz se mélange très mal et on oubliera la fumée des cigares et les bulles de gaz du champagne rosé. Après tout une bonne guerre forme la jeunesse et l'éternité d'Israël doit être prouvée au monde entier.
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