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lundi 13 février 2017

Turquie et Grèce au bord d'un conflit militaire



TURQUIE ET GRÈCE AU BORD D’UN CONFLIT MILITAIRE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps 

            
Kardak (Imia)

          Il faut d’abord situer la scène du conflit que personne n’est capable de pointer sur une carte. Les deux îlots inhabités Imia (en grec) ou Kardak (en turc), qui font partie du Dodécanèse en mer Égée, sont à la base du conflit entre deux membres de l’OTAN, la Grèce et la Turquie. Chacun affirme sa souveraineté sur ce minuscule territoire situé pratiquement sur leur frontière commune. Les deux îlots, distants de 300 mètres l'un de l'autre, se situent à 10 kms à l'est de l'île grecque Kalimnos et à 7 km de la côte de la péninsule turque de Bodrum. Leur superficie totale est de 4 hectares soit 40 dounams. 



Kardak
 
            La tension actuelle est similaire à celle qui avait presque abouti à un affrontement militaire, en 1987 et en 1996. L’origine du conflit est liée au fait que la Turquie conteste la légitimité de la souveraineté grecque, qui date de 1946 lors du rattachement du Dodécanèse à ce pays. Chacun des deux pays revendique les deux îlots et tout partage semble donc pour le moment impossible. Le conflit ne pourra probablement être aplani que dans le cadre d'un règlement global du contentieux gréco-turc en mer Égée.

            Le point de rupture au sujet de la mer Égée a eu lieu en 1996. Le 25 décembre 1995, un cargo turc avait échoué au large d’un groupe de rochers près de la petite ville turque balnéaire de Turgutreis. Ces rochers ont été dotés immédiatement de deux noms, Kardak pour les Turcs, et Imia pour les Grecs. Les autorités grecques qui avaient porté secours à ce cargo ont été accusées par les autorités turques d’avoir violé leurs eaux territoriales. Après un échange de notes diplomatiques plus ou moins violentes, ce sont les forces populistes et nationalistes des deux pays qui sont entrées en jeu et une course au drapeau a commencé.
            Le 26 janvier 1996, le maire de l’île de Kalymnos était venu sur les rochers pour y planter le drapeau grec. Immédiatement après, deux «journalistes» du quotidien populiste turc Hürriyet arrivés en hélicoptère sur cet îlot y ont planté un drapeau turc. La marine grecque est intervenue pour enlever ce drapeau et le remplacer par un drapeau grec pour affirmer la souveraineté grecque sur ces rochers. En réponse, l’armée turque a envoyé un commando sur un autre rocher à proximité. La presse des deux pays a outrageusement exploité l’événement en évoquant la possibilité d’une «guerre des Falkland» entre la Grèce et la Turquie.



            Par hasard, au même moment, la Turquie se trouvait en plein milieu d’une crise politique où Tansu Çiller, alors premier ministre, était confronté à la difficulté de former un nouveau gouvernement. De manière provocatrice, elle s’est emparée de cet incident pour créer une exaspération nationaliste encouragée par la presse. En Grèce non plus, la situation politique n’était pas stable. Après le retrait d’Andréas Papandréou, après des luttes internes, l’aile modérée du PASOK s’était emparée de la direction du parti et avait formé son premier gouvernement sous la direction de Costas Simitis.
            Lorsque la crise d’Imia/Kardak a éclaté, le gouvernement Simitis s’est trouvé prisonnier des attitudes nationalistes habituelles du PASOK. Mais l’escalade s’était arrêtée là, grâce à l’intervention du président américain Clinton le 31 janvier. Il était clair que les deux pays avaient connu une grosse frayeur et que cet événement montrait la fragilité du statu quo. Les relations bilatérales étaient alors entrées dans une nouvelle phase de détente.  En effet, depuis 1996, les autorités turques soutiennaient l’idée que certaines zones de la mer Égée n’ont pas un statut clair et veulent inclure ce problème dans le conflit plus général de la mer Égée. Pour la Grèce, il n’y a qu’un seul conflit égéen, celui concernant le plateau continental et son règlement doit être confié à La Haye.
Hulusi Akar

            Mais le conflit vient d’être réactivé par le chef d’État-major turc Hulusi Akar qui a effectué le 29 janvier 2017 une visite surprise à l’îlot Kardak à l’occasion du 21ème anniversaire de l'incident militaire qui avait amené les deux pays au bord d'un conflit armé. La plaie ne semble pas être refermée.
            Ce nouveau réchauffement est un prétexte car la raison se trouvait ailleurs. Les relations sesont à nouveau tendues en raison de la demande d’asile politique de huit soldats turcs putschistes. Une manifestation de force a donc été organisée avec la présence des chefs de la marine et de l’aviation lors d’une visite proche des îlots Kardak en Mer Égée. Pour donner une dimension dramatique, les Turcs ont affirmé qu’un navire militaire grec a tenté d’empêcher le navire transportant Hulusi Akar de se rapprocher des deux îlots. Une photo a été diffusée montrant Akar sur un navire près des îlots tandis qu'un bateau de patrouille grecque naviguait à ses côtés.

            La Turquie procède en fait à un chantage à la guerre car un tribunal grec a refusé d'extrader huit soldats pro-putschistes qui ont fui vers la Grèce après la tentative de coup d’État du 15 juillet, qui a tué 248 personnes et blessé plus de 2.200 autres. Les responsables turcs ont durement critiqué la décision jugée hautement politique parce qu’elle ignore les traités bilatéraux et internationaux. La Turquie prétend que, par ce refus, la Grèce soutient en fait le terrorisme. Le tribunal a jugé que les hommes, qui ont fui vers la Grèce par hélicoptère, ne pouvaient pas être assurés d'un procès équitable et pourraient subir des tortures en cas d’extradition.
Quartier du Phanar Istanbul

            En fait, les deux pays souffrent de relations controversées à propos des eaux territoriales de la mer Égée, de la question de Chypre, du statut des Turcs de Thrace occidentale qui font partie de la République hellénique et enfin du statut du Phanar grec. Le Phanar est un quartier historique de la vieille ville d'Istanbul où se situe le siège du Patriarche de Constantinople. Le Phanar veut être assimilé à un Vatican orthodoxe mais il n’a aucune autonomie territoriale ni aucun pouvoir politique, même si le patriarche exerce une certaine influence internationale sur la gestion spirituelle des Églises des sept conciles, et rivalise avec le patriarcat de Moscou pour la primauté synodale de l'ensemble des Églises orthodoxes. Toutefois, cette juridiction n'est pas reconnue par le gouvernement turc, qui la considère comme un simple évêché local, et qui ne reconnaît officiellement que le patriarche orthodoxe turc, non-canonique.
            La Turquie a dénoncé le verdict contre les mutins et a menacé de suspendre son accord avec la Grèce sur le traitement des migrants.  Les deux parties n’ont aucun intérêt à envenimer la situation car elles ont tiré des dividendes économiques et politiques de leur rapprochement. La Grèce et l'Union européenne comptent sur la Turquie pour empêcher des centaines de milliers de migrants de traverser la mer Égée. De son côté la Turquie a besoin du soutien grec pour devenir une plaque tournante de l'énergie entre la Russie, l'Asie centrale et en Europe. Ils craignent un blocage dans un accord de paix pour Chypre, divisée depuis 42 ans entre un sud chypriote grec et un nord occupée par les Turcs.
            Erdogan, qui prépare un referendum pour s’octroyer plus de pouvoir, recherche quelques opérations nationalistes pour redorer son blason. Mais il fait déjà face à plusieurs conflits qui le dépassent. La guerre contre les insurgés kurdes et les conséquences du coup d’État perpétrés par des islamistes. Il aurait trop à perdre de l’extension d’une épreuve de force dans la mer Égée. Le même raisonnement est valable pour la Grèce qui a d’autres chats à fouetter.


1 commentaire:

  1. Tant qu'à faire, il vaudrait mieux annexer ces territoires à Israël et appeler le tout Kiryat Ima... En faisant un acte d'une telle audace, on fera oublier les problèmes du gaz entre Israël et l'Europe, dans l'eau de laquelle le gaz se mélange très mal et on oubliera la fumée des cigares et les bulles de gaz du champagne rosé. Après tout une bonne guerre forme la jeunesse et l'éternité d'Israël doit être prouvée au monde entier.

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