LES RELATIONS S’ENVENIMENT ENTRE L’ÉGYPTE ET L’ARABIE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Al-Sissi et le roi Salman |
Rien ne va plus entre
l’Égypte et l’Arabie saoudite. Leurs relations s’aggravent et ajoutent aux
troubles de la région qui n’a pas besoin de ces querelles de dirigeants pour
continuer à se décomposer. Les différences de stratégie politique s’affichent
au grand jour. Les signes de malaise entre ces deux pays datent de 2015,
lorsque le président Sissi a commencé à jouer à l’équilibriste avec sa
politique étrangère fluctuante. Une querelle avait éclaté à l’occasion du
Sommet de Sharm el-Sheikh du 29 mars 2015 qui avait mis en évidence les
divergences de points de vue entre les 22 membres de la Ligue d’une part et
entre le roi Salman et le président al-Sissi d’autre part.
Ouverture de la réunion de la Ligue le 29 mars 2015 |
Pour Ryad il fallait axer
la priorité pour contrer l’influence grandissante de l’Iran au Moyen-Orient
tandis que l’Égypte et la Jordanie concentraient leurs efforts pour lutter
contre le terrorisme. L’Arabie fait passer Daesh au second plan face à la
menace d’extension du pouvoir chiite au Yémen, menaçant la géopolitique de la
région. Au sommet de la Ligue, le président al-Sissi avait demandé la lecture
publique d’une lettre écrite par Vladimir Poutine, provoquant la colère du
ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud al-Fayçal, qui en avait
vivement critiqué le contenu. Dans cette lettre, Poutine se prononçait contre
les attaques menées par les Saoudiens au Yémen. Saoud al-Fayçal avait alors accusé
Poutine d’hypocrisie car «la politique de Moscou est la cause majeure des
atrocités endurées par le peuple syrien».
Saoud Al Faycal |
Les observateurs
politiques avaient estimé que l’absence de représentants de l’opposition
syrienne à cette réunion entérinait le rapprochement de l’Égypte avec la
Russie, qui soutient Bachar al-Assad. Le président Sissi avait alors été accusé
de vouloir devenir le nouveau Gamal Abdel Nasser, dont la force militaire
reposait largement sur les armements soviétiques. Pourtant le président
égyptien avait opté pour une politique de diversification des fournisseurs
d’armes, illustrée par les achats effectués auprès de la France et de l’Allemagne
tandis que les États-Unis suspendaient le gel de la livraison d’avions F-16.
L’Arabie saoudite n’était
plus obsédée par les Frères musulmans et elle se concentrait désormais sur les
menaces grandissantes que représentent Daesh et l’Iran. Une autre source de
désaccords entre Saoudiens et Égyptiens a été la proposition faite par le président
égyptien aux vingt-deux membres de la Ligue arabe d’établir une force conjointe
d’intervention ce qui avait créé la suspicion parmi plusieurs pays qui n’entrevoyaient
pas la finalité réelle de cette proposition.
Barrage Al-Nahda en Ethiopie |
Aujourd’hui
les relations égypto-saoudiennes se sont détériorées sur les plan politique,
économique et médiatique. La presse égyptienne s’acharne contre la monarchie
des Saoud. Elle accuse l’Arabie de financer le barrage d’eau al-Nahda en Éthiopie,
pour réduire la part de l’Égypte dans l’eau du Nil. Le quotidien égyptien El
Anbaa Al Dawlia s’est permis de qualifier le roi d’Arabie de «traître»
en avançant trois raisons. D’abord, il a désobéi aux conseils de son frère en
suspendant la livraison de pétrole à l’Égypte. Ensuite le Conseil de
Coopération du Golfe a condamné l’Égypte en s’abstenant d’évoquer le Qatar au
sujet d’un attentat à la bombe dans une église au Caire. Enfin, le monarque
saoudien a envoyé son conseiller pour superviser le processus de construction
du barrage Al-Nahda en Éthiopie, sans consulter l’Égypte, méprisant ainsi les
droits de l’Égypte dans l’eau du Nil.
Youssef al-Qaradawi |
Le
quotidien égyptien a aussi qualifié de «diable», Youssef al-Qaradawi, religieux
salafiste habitant au Qatar et grand soutien des Frères musulmans, qui avait qualifié
le gouvernement d’Al-Sissi de gouvernement issu d’un coup d’État. Les noms
d’oiseaux ont ainsi fusé par presse interposée. Le quotidien égyptien gouvernemental
El-Watan avait aussi accusé l’Arabie saoudite d’avoir soutenu les groupes terroristes
et extrémistes, actifs au Moyen-Orient. En conséquence, la suspension des
accords entre l’Égypte et l’Arabie Saoudite est quasi-totale, sauf en ce qui
concerne les projets à haute référence religieuse avec Al-Azhar.
Mohammed Ibn Salman |
Plus grave encore, la majorité la majorité
des investissements soutenus par l’entourage de Mohammed ibn Salman ont été
annulés. Ministre de la Défense et
deuxième dans l'ordre de succession, le fils préféré du monarque saoudien
concentre de nombreux pouvoirs entre ses mains. La fourniture de pétrole a donc
été suspendue par l’Aramco ce qui est interprété par les Égyptiens comme un
moyen de pression inadmissible. Sous des prétextes fallacieux, les autorités
saoudiennes ont imposé un embargo temporaire sur l’importation de nombreux
produits alimentaires en provenance d’Égypte. Une politique d'étranglement économique est en marche.
Enfin le vote égyptien sur le projet de résolution russe au Conseil de Sécurité en faveur de la Syrie, contre l’Arabie saoudite, a remis en cause les 17 accords signés en avril dernier entre l’Égypte et l’Arabie concernant entre autres, la renonciation à la souveraineté sur les îles de Tiran et Sanafir en faveur l’Arabie Saoudite. L’intention de l’Égypte de normaliser ses relations avec l’Iran, l’envoi de pilotes égyptiens en Syrie pour lutter contre le terrorisme et la tenue de négociations secrètes avec l’ancien président yéménite Ali Abdullah Saleh, qui se bat aux côtés des Houthis contre les forces saoudiennes au Yémen, ont donné le coup de grâce aux relations qui sont au bord de la rupture.
Israël voit d'un mauvais oeil cette rupture car sa stratégie sécuritaire dans la région était fondée sur un front commun avec ces deux pays pour contrer l'hégémonie iranienne. Certains le voient déjà intervenir en bons offices entre ces deux frères devenus ennemis.
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