L’ALLIANCE DE FAIT DE TROIS PAYS ARABES AVEC ISRAËL
Par Jacques
BENILLOUCHE
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Dans la guerre qui vient de s’engager entre
Israël et le Hamas, Benjamin Netanyahou n’a rien entrepris sur le plan
diplomatique et militaire sans en référer au préalable à ses trois alliés, ou
soutiens, dans la région : la Jordanie, l’Égypte et l’Arabie saoudite. Il
n’a pas voulu gâcher les liens étroits qu’il a mis du temps à nouer avec ces
pays arabes dits «modérés». Il a immédiatement
accepté la proposition de cessez-le-feu qui lui a été suggérée par l’Égypte,
certes plus par intérêt diplomatique plutôt que par intérêt sécuritaire sachant
que l’armée préférait d’abord «finir le
travail.»
Ces trois pays arabes ont trouvé le plus petit dénominateur commun qui
les unissait à Israël. Chacun, après avoir soulevé ses propres raisons, a écarté de ses
priorités le litigieux conflit israélo-palestinien pour trouver un consensus sur
les autres sujets. On en veut pour preuve l’annulation de la visite que devait
effectuer Mahmoud Abbas le 23 juillet en Arabie saoudite parce qu’il avait
compris que son cas était passé au second plan des préoccupations. Les trois pays ont en effet décidé d’axer leur
politique sur les nouveaux dangers qui les guettent : l’ennemi iranien, le
terrorisme international et l’islamisme radical.
Visées expansionnistes de l’Iran
Barack Obama salue le chef des services de renseignement saoudiens, le prince Moukrine ben Abdelaziz al Saud, à Washington |
Les Saoudiens redoutent l’influence croissante des chiites dans plusieurs
pays jusqu’alors épargnés. Pour eux
l’ennemi reste l’Iran avec sa politique de nuisance qui les a poussés à prendre
fait et cause pour la rébellion syrienne afin de faire tomber le régime d’Assad
soutenu par le Hezbollah. Les Saoudiens n’ont pas apprécié la retenue des
Américains face aux Iraniens. Wikileaks avait d’ailleurs révélé que l’ancien
chef des renseignements, le prince ben Abdelaziz al Saud Moukrine, avait ouvertement
exprimé ses craintes à propos de l’Iran mais il n’a pas été entendu par les
États-Unis qui ont continué leur politique d’approche avec les Iraniens.
Les princes sunnites saoudiens ont rejoint l’analyse d’Israël tendant à
considérer les mollahs iraniens comme des activistes dont les visées
expansionnistes sont une menace pour toute la région et pour le Royaume en
particulier. Face à l’implication de l’Iran en Syrie, l’Arabie a accru ses livraisons de missiles
portatifs sol-air aux rebelles. Les dirigeants saoudiens qui gèrent
la politique sécuritaire du royaume, ont ainsi pris langue avec les Israéliens
pour obtenir conseils et assistance.
Turki Al-Faïçal |
L’Arabie a facilité l’infiltration en Syrie d’agents arabisants du Mossad
chargés de recueillir des informations sur l’évolution et l’état des forces en
présence. Israël s’intéresse moins aux Syriens qu’aux miliciens libanais du Hezbollah
et à la brigade Abou Fadl el-Abbas, venue d’Irak pour se rapprocher des
frontières juives. L’ancien chef des services secrets saoudiens, le prince Turki al-Faïçal, avait
estimé que cette brigade représentait les «mâchoires
d’acier» de l’Iran et il craignait une répétition de ce qui s’était passé
en Irak et en Afghanistan, totalement vassalisés par les mollahs.
Coopération avec l’Égypte
Les
Israéliens voient d’un bon œil une coopération militaire avec l’Arabie dans le
cadre d’une complémentarité des moyens. Les Saoudiens ont accru leurs dépenses
militaires de manière significative, 67 milliards de dollars en 2013, le
quatrième plus gros budget militaire dans le monde. Par intérêt, Israël élude les
critiques concernant sa collaboration avec un régime autocratique. Il souligne
que les pays qui s’arment le mieux sont ceux qui résistent le plus au danger islamiste.
Mais un
nouveau danger menace la région en pleine déstabilisation. Les pays arabes modérés se trouvent
donc contraints de se liguer contre l'État islamique en Irak et au Levant
(EIIL) qui vient d’émerger, bousculant tout sur son passage avec ses méthodes criminelles
et sa cruauté sanguinaire. Le roi Abdallah a demandé aux forces armées de se
tenir prêtes pour une confrontation. Il a ordonné de prendre «toutes les mesures nécessaires pour
protéger le royaume contre les menaces terroristes. Cela signifie une
mobilisation générale des unités militaires pour un haut niveau de
préparation». Mais il sait qu’il ne pourra pas s’opposer à eux tout seul.
Sachant que
ses soldats, manquant d’expérience, risquent d’être débordés, il a souhaité que
les troupes égyptiennes volent à son secours en cas de besoin. L’Égypte a
immédiatement mis sur pied un commando expéditionnaire pour aider l’Arabie à renforcer ses défenses
frontalières. Ces mesures font suite aux
renseignements fournis aux Saoudiens faisant état de combattants d’Al-Qaeda se
dirigeant vers la frontière saoudienne pour prendre le contrôle du point de
passage Arar à la frontière irakienne. Les Saoudiens ont aussi appris que deux avions cargos, au départ d’Iran,
déversaient tous les jours 150 tonnes de matériel militaire à l’aéroport
militaire de Bagdad démontrant ainsi la synchronisation opérationnelle étroite
entre le commandement iranien à Damas et à Bagdad.
Rapprochement avec Israël
Sous couvert
de guerre contre le terrorisme, l’Arabie saoudite a opéré un rapprochement avec
Israël tout en renouant avec Mahmoud Abbas, l’oublié du «printemps arabe». Elle est à présent prête à accepter le schéma
américano-israélien pour la création d’un État palestinien croupion. Mais
malgré le dialogue engagé par les Américains, l’Iran reste la bête noire de la
dynastie wahhabite, rejoignant en cela le sentiment d’Israël, tout en diabolisant les Frères musulmans, soutiens
indéfectibles du Hamas. Ce retournement brutal à l’égard d’une organisation
jadis portée au pinacle fait les affaires d’Israël qui voit soudain les deux
plus grands pays arabes, l’Égypte et l’Arabie, s’associer pour s’opposer
ouvertement aux maîtres de Gaza.
prince Mohamad Ben Nayef |
En fait ce
revirement spectaculaire est le fait du nouveau chef des renseignements
saoudiens, le prince Mohamad Ben Nayef, ministre de l’intérieur, qui a adopté
une politique de poigne de fer contre le terrorisme : «le terrorisme doit être considéré comme une forme de crime et combattu
avec des méthodes policières impitoyables». Il a été félicité par les
agences de renseignement occidentales pour son programme de lutte contre le
terrorisme. C’est lui qui a favorisé l’inscription du Hamas sur la liste des organisations
terroristes avec le Front Al-Nosra de Syrie et l’État islamique en Irak et au
Levant (EIIL), avec deux organisations chiites, les rebelles Houthis du Yémen,
et naturellement le Hezbollah libanais déguisé en diable iranien.
Prince Walid Ben Talal |
Le prince de
sang royal Walid Ben Talal n’a pas caché la connivence de fait entre l’Arabie
et Israël. Il s’est rendu en visite
publique en Cisjordanie pour rencontrer Mahmoud Abbas, après avoir reçu un
blanc-seing d’Israël ce qui formalise de facto ses rapports avec l’État juif.
Cette visite avait été précédée par les rencontres publiques de Monaco et de
Davos. Le 10 décembre 2013 Turki Ben Faysal avait dialogué avec Tsipi Livni
ministre israélienne de la justice ainsi que le président israélien Shimon
Pérès à Davos en février 2014. On parle même d’une visite secrète aux
Israéliens faite par l’ancien chef du renseignement saoudien, le Prince Bandar
Ben Sultan.
Turki et Livni |
Signes prémonitoires
Ces visites
représentaient des signes officiels prémonitoires d’une évolution des rapports
avec Israël. Concrètement d’ailleurs une société israélienne G4S a obtenu le
contrat de la sécurité du pèlerinage de la Mecque. Il est évident que
contrairement au Qatar, l’Arabie a fait le choix d’Israël contre l’Iran dans le
cadre d’une croisade conjointe. Le prince saoudien Al Walid Ben Talal Ben Abdelaziz, avait mis les pieds
dans le plat
dans une
interview accordée à la chaîne Bloomberg : «L’Arabie Saoudite, les Arabes et les musulmans sunnites approuvent une
attaque israélienne contre l’Iran pour détruire son programme nucléaire. Les
sunnites appuieraient une telle attaque car ils sont hostiles aux chiites et à
l’Iran».
Mecque |
C’est
suffisamment clair pour qu’Israël considère à présent les Saoudiens comme des
amis dans le cadre des recompositions géopolitiques dans la région. Et pourtant
les Iraniens font tout pour être conciliants avec les Saoudiens. Le ministre
iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, avait essayé de
rassurer : «Le règlement de la
question du nucléaire iranien est dans l’intérêt de tous les pays de la région
et ne se fait aux dépens d’aucun pays de cette région. Soyez rassurés, cet
accord sert la stabilité et la sécurité de la région»
Jordanie
La Jordanie a aussi mesuré le danger qui menace ses frontières bien qu’elle
ait montré une certaine neutralité dans le conflit syrien. Elle avait même
tenté, en vain, une médiation avec Bachar Al-Assad. La nouvelle donne l’a engagée
à mettre deux couloirs aériens à la disposition de l’aviation israélienne. À
tout moment, les drones israéliens peuvent donc pénétrer librement dans
l’espace aérien jordanien pour observer la situation au nord de la Syrie. Elle a
été informée par les Israéliens de la détérioration de la situation à ses
frontières en raison de la progression des djihadistes qui se rapprochent du
plateau du Golan.
Deux couloirs aériens ont été ouverts, l’un depuis le sud de la Jordanie à
partir du désert du Néguev et l’autre au nord d’Amman, permettant aux
Israéliens d’éviter de survoler le sud-Liban. C’est un grand privilège qu’a
octroyé le roi Abdallah II qui craint une déstabilisation de son pays suite à
l’afflux de centaines de milliers de réfugiés syriens. Les Israéliens l’ont
assuré qu’ils lui prêteraient main forte en cas d’attaque car ils sont
convaincus que la chute de la Jordanie serait un risque mortel pour eux.
Netanyahou et Abdallah de Jordanie |
Benjamin Netanyahou s’était
rendu, le 16 janvier 2014, en visite surprise auprès du roi Abdallah II. Cette
réunion n’était pas la première puisque le premier ministre avait déjà effectué
trois visites à Amman durant l’année 2013. Il tenait à lui proposer un accord pour la
résolution du problème palestinien à travers la création d’une confédération
entre la Jordanie et une entité évaluée à maximum 50% de la Cisjordanie. Cela
réglerait ainsi la création d’un État croupion qui n’aurait de viabilité
qu’adossé au royaume de Jordanie. Par ailleurs, en attribuant la garde des
Lieux Saints musulmans au roi de Jordanie, le problème de Jérusalem, pierre
d’achoppement de toute négociation, serait en partie résolu. La Jordanie
entérinerait ainsi la souveraineté d’Israël sur toute sa capitale, exceptés les
Lieux Saints musulmans et peut-être quelques quartiers totalement arabes qui
seraient cédés aux palestiniens via la Jordanie.
Égypte
Israël a connu une paix froide avec le régime de Mohamed
Morsi. Les accords de Camp David de 1979 n’ont pas été rompus et aucun incident
n’est venu perturber les relations israélo-égyptiennes. Ce traité de paix, le
premier signé par Israël avec un pays arabe, a été la pierre angulaire de la
sécurité régionale depuis trois décennies. Mais le régime de Morsi fut à tout
point néfaste pour la sécurité d’Israël en raison des liens étroits
qu’entretenaient les Frères musulmans avec le Hamas, leur allié idéologique. Les
centaines de tunnels de contrebande ont été utilisés pour transférer des
produits alimentaires et de l’essence mais surtout du ciment, de la ferraille,
des armes de toute nature prélevées dans les stocks libyens et des fusées et
roquettes en provenance directe d’Iran. Un stock de 10.000 missiles a ainsi été
constitué aux yeux et à la barbe d’Israël.
Tunnels entre l'Egypte et Gaza |
L’arrivée des militaires au pouvoir a mis fin à l’euphorie des tunnels. La
maladresse des Frères musulmans, qui ont cherché à utiliser Gaza comme base
arrière pour la reconquête du pouvoir, a incité Al-Sissi à détruire la presque
totalité des tunnels et à fermer le terminal de Rafah pour maintenir un
bouclage sévère de Gaza afin d’interdire la traversée de combattants vers le
Sinaï.
L’Égypte qui respectait à la lettre les accords de 1979 a
été autorisée par Israël à transférer au Sinaï des troupes combattantes, des
tanks supplémentaires, des avions et des hélicoptères pour s’opposer aux
djihadistes d’Al Qaeda qui semaient la terreur au nord du Sinaï et qui organisaient
des attentats contre les civils israéliens frontaliers. La coopération fut
alors totale entre les services de renseignements. Cela explique pourquoi les
Israéliens tiennent aujourd’hui à la médiation égyptienne pour la conclusion
d’un cessez-le-feu rejeté en bloc par le Hamas.
En fait les Égyptiens traînent des pieds car ils rejoignent la stratégie
israélienne consistant à affaiblir le Hamas pour donner plus de poids à
l’Autorité palestinienne encore conciliante. Affaiblir certes, mais non pas
détruire le Hamas car il s’agit de maîtriser la montée des islamismes radicaux
qui lorgnent vers le pouvoir à Gaza. La détérioration des relations du Caire
avec Gaza a entraîné une approche égyptienne qui diffère de celle de 2012,
lorsque le président égyptien d’alors, Mohamed Morsi, avait tout fait pour
négocier un cessez-le-feu après seulement
huit jours de combats.
Relations sécuritaires
Les relations sécuritaires avec Israël tendent à se consolider car une
augmentation des attentats a été constatée depuis le départ de Morsi. Les images
des 25 corps des policiers égyptiens froidement abattus le 19 août 2013 suite à
une embuscade près de la frontière avec Gaza, ont particulièrement choqué. Signe des temps, Israël a alors utilisé ses
drones pour aider l’armée égyptienne dans une frappe qui a éliminé cinq
militants islamistes.
L’Égypte est la première à attendre d’Israël qu’il élimine le danger
terroriste car elle est souvent l’objet d’attaques sanglantes. Vingt et un
soldats de l’armée égyptienne ont été tués le 19 juillet dans une attaque
perpétrée par des hommes armés contre un point de contrôle militaire à 630 km à
l’ouest du Caire. Il s’agit de l’une des attaques les plus meurtrières
enregistrées en Égypte depuis la destitution en juillet 2013 du président
Mohamed Morsi.
Les militaires
israéliens sont très inquiets de la récente montée en puissance de certains
groupes terroristes opérant à quelques kilomètres de sa frontière. Le pouvoir
égyptien a donc aujourd’hui tout intérêt à coopérer avec l’État hébreu dans sa
lutte contre ces activistes. La coordination de la sécurité israélo-égyptienne
a été développée pour contrer la menace commune des djihadistes dans le Sinaï. Selon
des sources militaires, «la coopération
des deux pays dépasse tout ce dont on a pu rêver sous Moubarak». Dans une
interview au quotidien Haaretz, le
général israélien Nadav Padan, commandant la division Edom, attribuait les
attaques dans le Sinaï à des groupuscules djihadistes «affiliés au réseau terroriste international d’Al-Qaïda et recevant de l’aide logistique et
matérielle de la part des Comités de Résistance Populaire à Gaza». Il
expliquait ainsi le nécessaire combat du régime installé à Gaza. Israël ne
pouvait qu’approuver.
2 commentaires:
Très interessant et documenté, bizarre que les organes d'information français ne proposent jamais d'analyse à leurs lecteurs en plus de l'émotion immédiate qui déchaîne les passions.
En ce qui cocerne l'article, qu'Israël n'oublie jamais cependant que ces pays arabes "modérés" ont une opinion publique et un clergé profondément antisémites et anti israëliens, et qu'une fois le Hamas durablement hors de course, ces sentiments reprennent le dessus, surtout si Bibi continue à faire du surplace sur la question palestinienne. Qu'en pensez-vous M. Benillouche ?
Vos articles sont très bien conçus. Vous développez des thèses sur le Proche Orient, absolument uniques et criants de vérité. Kol tov Jacques encore une fois bravo!
Continuer, c'est rare, croyez-moi de voir des développements aussi clairs, nets et concis que les vôtres, mon cher.
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