LE QATAR : UN PETIT ÉTAT QUI A TOUT D’UN GRAND
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le Qatar a toujours affiché son
ambition de devenir le leader arabe au Moyen-Orient et il n’hésite pas à axer sa
propagande pour remplacer l’Égypte et l’Arabie saoudite comme grande force
arabe dans la région. D’ailleurs la création de la chaine de télévision
Al-Jazzera en 1996 avait pour objectif d’accompagner et d’accroitre son influence
régionale. Il n’a pas le complexe du petit État peu peuplé depuis que le cheikh
Khalifa Al-Thani, destitué par son fils Hamad, a modernisé le pays grâce à ses
troisièmes réserves mondiales de gaz naturel. Cette manne a poussé le pays à se
rapprocher des Occidentaux, des États-Unis en particulier, seuls capables de
l’aider à réaliser son rêve de domination du monde arabe mais cela n’est pas du
goût de tous ses voisins.
Prince Hamad du Qatar |
Rivalité historique
avec l’Égypte
La région souffre de la rivalité historique
avec l’Égypte qui n’a jamais cessé dès lors où le Qatar a ouvertement pris
position pour les Frères musulmans. Elle s’était même exprimée du temps d’Hosni
Moubarak après sa décision de boycotter la conférence économique de Doha en
1997. Le leader égyptien n’avait pas accepté le rapprochement du Qatar avec les
États-Unis, Israël et l’Iran. Les relations ont fini par s’envenimer.
L’arrivée
au pouvoir des Frères musulmans avait été perçue comme une chance pour le Qatar
de se substituer à l’Égypte à la tête du monde arabe même si à l’opposé, la
Turquie lorgnait sur le même objectif. C’est pourquoi, le Qatar n’avait pas
hésité à financer à grands coups de dollars l’économie égyptienne en difficulté
après la chute de Moubarak face à des Américains frileux. Mais la destitution
de Mohamed Morsi a exacerbé les passions avec, à fortiori, le sentiment d’avoir
investi en Égypte pour rien.
Morsi reçu au Qatar |
Mais cette animosité avec l’Égypte
s’est étendue à tous les pays du Golfe et en particulier avec le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) hébergeant
des populations chiites contrairement au Qatar qui est peuplé de sunnites. L’affaire Youssef Al-Qaradawi, a été une nouvelle source de
discorde entre l’Égypte et le Qatar. L’Égypte a appelé le Qatar à lui remettre
le prédicateur octogénaire, l’accusant d’implication avec les Frères musulmans.
Dans ses dernières fatwas, il avait déclaré que le djihad en Égypte, contre les
militaires et les policiers égyptiens, pour soutenir les Frères et les faire
revenir aux commandes du pays est un «devoir pour tout musulman».
Les relations entre le Caire et Doha
frisent le froid sibérien. L’ambassadeur du Qatar vient d’être convoqué au
ministère égyptien des affaires étrangères car le Caire se plaint de «l’ingérence
de Doha dans ses affaires intérieures à la suite de critiques formulées
contre la répression des Frères» par le nouveau régime. Le Qatar contestait
en effet la décision de qualifier la confrérie des Frères musulmans d’«organisation
terroriste». L’ambassadeur égyptien au Qatar, en vacances au Caire, a de
son côté été retenu par son ministère.
Emir cheikh Sabah du Koweït |
Enfin, le roi Abdallah d’Arabie et
l’émir du Koweït ont cherché à jouer les bons offices, en vain, car la situation
restait bloquée. D’une part, les Qataris n’ont toujours pas assimilé l’éviction
de Morsi avec qui ils avaient des relations très étroites. D’autre part, les Égyptiens
critiquent le soutien sans faille de la chaîne de télévision Al-Jazeera au
profit des Frères musulmans qui, pour certains d’entre eux, ont d’ailleurs
trouvé un refuge politique au Qatar.
Une manne financière
Mais le Qatar est limité dans ses
ambitions car pays riche en gaz, il est très pauvre en ressources humaines au
point de dépendre de la main-d’œuvre étrangère. Il se distingue des autres pays
du CCG en s’appuyant uniquement sur les Américains pour faire pression sur les
autres pays de la région. Le véritable conflit avec ses voisins a été exacerbé
par le soutien officiel fourni par le Qatar aux mouvements islamistes, après
les 5 milliards de dollars transférés à Morsi pour soutenir son économie.
Ahmadinejad avec l'émir du Qatar en 2007 |
L’Égypte s’inquiète aussi de
l’attitude ambiguë du Qatar avec l’Iran. On se souvient que le Qatar avait
invité le président iranien Mahmoud Ahmadinejad à assister à une réunion du
Conseil de Coopération du Golfe (CCG) en 2007. De même le soutien offert au Hamas,
qui réchauffe la frontière du Sinaï, dérange le Caire.
Sur le plan israélien, malgré le
soutien de Qatar au Hamas et ses bonnes relations avec le Hezbollah, les
dirigeants israéliens ont maintenu un contact direct avec l'émirat. En Janvier
2007, dans ses derniers mois en tant que vice-premier ministre, Shimon Peres avait
effectué une visite de haut niveau à la capitale de Doha. La ministre des Affaires étrangères Tzipi
Livni avait également rencontré l'Émir du Qatar lors d'une conférence de l'ONU
en 2008. En Avril 2008, Tsipi Livni avait visité le Qatar pour assister à une
conférence et rencontrer l'émir, le premier ministre et le ministre du pétrole
et du gaz. Lorsque le Qatar a été désigné pour accueillir la Coupe du Monde de
la FIFA 2022, sa première réaction fut d’autoriser Israël à participer au
tournoi s’il était qualifié.
Israël et le Qatar
En 2010, le Qatar a offert à deux
reprises de rétablir les relations commerciales avec Israël et de réinstaller la
mission israélienne à Doha sous réserve qu'Israël permette au Qatar d'envoyer
des matériaux de construction et de l'argent à Gaza pour aider à la
réhabilitation des infrastructures. Israël avait longtemps hésité au motif que
les approvisionnements qataris pouvaient être utilisés par le Hamas pour
construire des bunkers et des positions fortifiées. Par ailleurs Israël a tenu à rester neutre dans la compétition entre le Qatar et l'Égypte même lorsque le Qatar avait
rompu ses relations avec Israël en 2009 à la suite de l’opération «plomb
durci» contre Gaza.
Cependant des relations secrètes ont
toujours été maintenues au plus haut niveau. Ainsi l’émir du Qatar s’était
rendu en visite secrète en Israël, en mars 2010, et avait été reçu par Tsipi
Livni, chef de l’opposition. La télévision israélienne avait filmé l’évènement
et avait rapporté, officiellement, qu’il s’agissait d’aborder l’aide que pouvait
fournir Israël en matière d’agriculture. Mais il est certain que le problème de
l’Iran avait été discuté. Par ailleurs le Qatar aurait contribué en 2013 à une opération
israélienne visant permettre le transfert en Israël des derniers Juifs
yéménites. 60 Juifs fuyant Yémen avaient été autorisés à passer de
Doha sur un vol à destination d'Israël.
Derniers juifs du Yémen |
La stratégie à long terme du Qatar
est qualifiée de dangereuse pour la région en raison des relations troublées qu’il
entretient avec les autres pays du CCG. Il ne s’agit pas de pays monolithiques sous
prétexte qu’ils sont dirigés par des monarchies féodales et des émirs anachroniques. Leur seul point
de convergence reste leur richesse en pétrole et en gaz. En fait ils se
distinguent par leurs profondes divergences.
Le Qatar est le vilain petit canard
qui barbote avec l’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis
et Oman. Il remet en question sans cesse les conflits territoriaux avec ses
voisins. Il a d’ailleurs porté devant la Cour Internationale de Justice son
conflit avec le Bahreïn au sujet des îles Hawa avec à la clef une brouille de
plus de dix ans. De même un problème frontalier avec l’Arabie saoudite a
provoqué la mort de 2 soldats qatari, poussant le Qatar à suspendre l’accord de
1965 sur la délimitation des frontières entre les deux pays.
Isolement du Qatar
président tunisien au Qatar |
Enfin les pays du CCG se plaignent
que la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera diffuse une image négative de
leurs pays. Le soutien affiché ouvertement par le Qatar aux islamistes de Tunisie
et de Libye, sous couvert de «Printemps arabe», n’a pas été apprécié. L’Égypte
se plaint qu’une action d’envergure est entreprise dans le pays pour restaurer
le pouvoir des Frères alors que le Qatar est le seul pays du CCG à entretenir des
relations étroites avec l’Iran chiite, l’ennemi juré de l’Arabie saoudite. Le
Qatar veut se positionner en leader régional crédible en se rapprochant des
grandes puissances internationales. Il est accusé de vouloir profiter de
l’affaiblissement de certaines grandes puissances arabes de la région en
exploitant sa manne financière pour faire de l’ombre à l’Arabie saoudite même s’ils
se sont tous réunis dans une opposition au régime de Bachar Al-Assad.
Devant tant d’attitudes
inconciliables, il est probable que le Qatar s’oriente vers une
rupture des relations avec certains pays du CCG, les Émirats arabes en
particulier, entraînant une perte de crédibilité et un éclatement du CCG. C’est
peut-être l’objectif recherché par le Qatar qui veut rebattre les
cartes au Moyen-Orient avec l'illusion de confondre les succès sportifs avec la
realpolitik. Le Qatar veut en fait jouer dans la cour des Grands avec le risque de se trouver dans la situation de la grenouille de la Fontaine :
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages:
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs
Tout petit prince a des ambassadeurs
Tout marquis veut avoir des pages.
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