Adossée à la rambarde de la grande terrasse qui surplombait la mer, elle faisait face aux trois couples qui sirotaient leur café, dans le calme du soir qui tombait. Intrigués et vaguement choqués, ils lui avaient demandé de déployer sa thèse : l’éternelle recherche du paradis sur terre avait de tout temps trouvé dans les deux moteurs amis de l’humanité, l’histoire, la religion, ses pires ennemis.
Sauf que l’histoire n’existe pas. Dixit quelques grands noms :
Valéry : «L’histoire est l’étude des faits morts. Elle fait rêver,
enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs. Elle justifie ce que l’on
veut». Saint-Augustin : «le passé c’est non pas le passé
mais la présence du passé». Cocteau : «L’histoire est sage, assise
avec l’ennui des sages/ Elle a sur ses genoux un livre repoussant / / Elle
mouille son doigt et tourne des images / Poisseuses de taches de sang».. L’histoire enferme dans un récit
contradictoire réinventé, les protagonistes du conflit israélo-palestinien. L’histoire
nourrit l’opposition d’un autre temps entre les tenants d’une Europe intégrée et
ceux du détricotage de la construction européenne. De même, l’appel à
l’histoire veut justifier l’effroyable destruction de l’Ukraine. L’histoire
devient prétexte. Reconstruction de la vie morte, l’histoire vient percuter,
perturber la vie réelle.
Paul Valery |
La religion, ensuite. Elle aussi constituant majeur, incontournable,
de la vie de la société. Qui apporte à chacun une possibilité de réponse,
apaisante, aux mystères de toute nature qui environnent l’existence des hommes.
Mystères de la vie, d’avant la vie, d’après la vie. Mystères de l’univers,
grand et petit. Qui offre à chaque homme une option de spiritualité et de
morale. Qui rejoint et explique le récit historique en lui appliquant sa
vision, sa structuration. Constituant qui, cependant, engendre une variété de
valeurs de discours, selon les lieux et les époques. Et qui, passant de la
conduite de vie individuelle à l’ordonnance de la vie collective, génère des
différences.
Ouvrant très rapidement à des oppositions. Devenant la cause
constante, directe ou justification indirecte de conflits politiques, des
drames, des guerres qui, au cours des siècles, sur tous les continents,
ensanglantent la société humaine. Catholicisme conquérant qui accompagne de sa
malédiction la destinée millénaire juive, qui contribue à l’effacement sur la
terre de civilisations entières. Confrontation par les armes et le sang entre Protestants
et Catholiques. Domination, effacement puis résurgence de l’islamisme, pour
culminer dans le temps actuel avec un train de massacres, conquêtes, terrorisme
généralisé. Enfin conduisant à la série des génocides et à l’ultime absolu de
la Shoah. Voie riche, ouverte aux besoins de spiritualité des hommes, la
religion se transforme, quand elle devient ordonnatrice de la vie publique, en
instrument du malheur des hommes.
La durée de la démonstration avait dépassé celle de la dégustation
du café. Jonathan interrompit le temps de la réflexion silencieuse qui
s’ensuivit. Par cohérence, faisons appel à un ennemi supposé de notre santé
mais ami de nos pupilles, nous avons mérité un digestif. Sans rancune, la
future architecte, destructrice de notions établies, fut associée à cette
réaction régénératrice. Acceptant de facto de débattre avec les convives de l’acceptation
ou de l’inversion de son inversion de concepts.
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