LES TRAVAILLISTES, FONDATEURS
D'ISRAËL, SE BATTENT POUR EXISTER
Par Jacques BENILLOUCHE
Un
léger espoir renait chez les travaillistes avec la désignation de Merav
Michaeli à la tête du parti. C’est d’abord une jeune militante convaincue, 55
ans, qui n’a pas peur d’un combat que certains considèrent comme perdu
d’avance. Après Itzhak Herzog, fils de, Avi Gabbay millionnaire égaré chez les
socialistes, et Amir Peretz trop vieux pour capter l’attention de la nouvelle
génération, elle va récupérer un parti en friche, abandonné par ses meilleurs
éléments qui ont préféré d’autres cieux. Mais déjà certains soutiens jugent
que «la gauche radicale a pris possession du parti».
Ben Gourion - Golda Meir |
En
provoquant des législatives anticipées qui doivent se tenir le 23 mars 2021,
Benjamin Netanyahou a décidé de prendre le risque de précipiter les évènements
à un moment propice pour lui car les sondages lui assurent encore un score optimiste
à la tête d’une droite installée durablement en Israël. Dans ce contexte,
l’inexistence d’une opposition de gauche étonne, sinon inquiète. Les Travaillistes
ont été les pères fondateurs de l’État d’Israël. Ils ont régné sans partage,
sous différentes appellations, de 1930 jusqu’en 1977.
Israël
a été nourri au marxisme véhiculé depuis les pays de l’Est par les jeunes
révolutionnaires juifs qui, au début du siècle dernier, avaient choisi le
sionisme pour échapper à l’antisémitisme tsariste ou soviétique. Ils étaient
arrivés avec des théories qu’ils ont décidé de tester en réel dans un pays neuf
et ouvert à toutes les expériences. Ils ont donné une signification concrète à
des dogmes qui relevaient du rêve révolutionnaire en institutionnalisant le
communisme au sein du kibboutz alors que les Soviétiques peinaient à
l’appliquer chez eux.
Bâtiment de la Histadrout à tel-Aviv |
Dans
un pays qui manquait de tout, le syndicat unique Histadrout devenait alors le
plus grand employeur de l’État avec des entreprises de construction, des
services de santé, des compagnies industrielles et des groupes alimentaires.
Mais à l’image de ce qui se faisait en URSS, il fallait avoir la carte du parti
majoritaire pour travailler dans ses groupes, seuls pourvoyeurs d’emplois. Cependant,
si les dirigeants juifs historiques ont réussi la construction d’un pays bâti
de toutes pièces à partir de rêves, ils ont pêché en mettant à l’écart tout un
pan de la population défavorisée, dans une sorte de ségrégation anti-séfarade. La
moitié de la population, à quelques unités près, était écartée des centres de
décision dévolus aux ashkénazes grâce à un système politique sclérosé de listes
électorales constituées au sommet à la manière bolchévique.
En
1977, un homme a compris le malaise des Orientaux et l’a exploité à son profit.
En faisant venir à lui ces défavorisés, exclus des arcanes du pouvoir, en leur
proposant des postes auxquels ils n’avaient jamais espéré, Menahem Begin,
leader de la droite nationaliste, a gagné les élections de mai 1977, et a balayé d’un coup trente années de gouvernement socialiste. De cette période
date le déclin des travaillistes.
Begin dans sa cuisine |
Certains
Orientaux ont vite compris qu’ils pouvaient aussi voler de leurs propres ailes
en se tournant vers la religion. Ils ont créé en 1984 le parti orthodoxe Shass
qui les enferma dans l’obscurantisme et le dogmatisme mais qui donna une
nouvelle chance aux Travaillistes en réduisant la majorité du Likoud. Le
charismatique Yitzhak Rabin, chef d’État-major héros de la guerre des
Six-Jours, membre du Parti travailliste depuis 1973 et Premier ministre entre
1974 et 1977, est revenu en force en 1992 pour marquer durablement l’histoire
d’Israël. Le chef du gouvernement avait alors choisi la voie de la paix en décidant
de discuter avec ses ennemis. Les accords d'Oslo (1993) ont créé l'Autorité
palestinienne et ont cédé pour la première fois un contrôle partiel de
certaines zones de la bande de Gaza et de la Cisjordanie aux Palestiniens. Dans
la foulée, Yasser Arafat renonça officiellement au recours à la violence
et décida de reconnaître Israël.
Le
Parti travailliste a connu alors la parenthèse d’un nouvel âge d’or. Mais au
lendemain de l’assassinat de Rabin et de la seconde Intifada, les problèmes
sécuritaires ont repris le dessus et ont éloigné peu à peu des arcanes du
pouvoir des Travaillistes jugés peu efficaces pour combattre l’activisme
palestinien. On entre alors dans une ère de domination de la droite avec un
Ariel Sharon conquérant qui, en intégrant certaines de ses nouvelles têtes
jeunes et dynamiques, pousse un peu plus le Parti travailliste vers le déclin
irréversible.
Ofir Pines-Paz |
D’autres
militants se décidèrent alors à quitter définitivement la vie politique pour
rejoindre le monde des affaires où les règles étaient plus souples et la
réussite uniquement conditionnée par l’efficacité. Ofir Pinès Paz fit son
diagnostic dramatique : «Je quitte aujourd'hui mes fonctions à la Knesset
car il n'y a pas de parti que je pourrais représenter et à qui je pourrais
servir de porte-parole. Il n'y a pas de groupe parlementaire auquel je pourrais
appartenir et il n'y a pas de leader». Le député Daniel Bensimon, ancien
journaliste à Haaretz, déclara alors que «le départ d'Ofir Pinès est
le signe que le parti travailliste est arrivé au département des soins
intensifs, et qu'il fallait maintenant que quelqu'un vienne en urgence lui
prodiguer le remède nécessaire à son rétablissement. Il faudrait une
refondation totale du parti afin qu'il puisse encore attirer des électeurs».
Chefs travaillistes |
Enfin, le départ de Yossi Beilin sonna le glas d’une éventuelle remontée des Travaillistes.
Cet homme de gauche avait été associé au pouvoir du temps où les socialistes
conduisaient la politique d’Israël. Son nom restera associé aux accords d’Oslo
de 1993, aux pourparlers de Taba en 2001, à l’initiative de paix de Genève
conjointe avec certains dirigeants palestiniens et au processus de paix
israélo-palestinien en général. Ces figures historiques représentaient pour l’Occident
des symboles du camp de la paix, aujourd’hui inaudible, tandis que le moral des
troupes restait en berne. Alors les militants, découragés par l’inconséquence
de leurs dirigeants, ont fini par s’orienter ailleurs, d’autant plus que les
luttes personnelles internes avaient remplacé le débat d’idées pour amener le Parti
travailliste à sa désintégration lente.
À
partir de 2001, la déroute systématique du Parti travailliste aux élections l’a
marginalisé pour le transformer en parti d’appoint dans des coalitions de
droite, avec Ariel Sharon puis du centre avec Ehud Olmert. La création de
Kadima au centre, intégrant des personnalités de gauche marquantes ou
historiques comme Shimon Pérès lui a donné le coup de grâce. Au lieu d’analyser
les vraies raisons de leur déclin, les Travaillistes ont attribué leur défaite
à une dérive centriste, sinon droitière, de l’électorat israélien alors
qu’existe toujours un socle inébranlable de militants socialistes inconditionnels
qui ont été abandonnés à leurs convictions.
j'ai été élue pour m'assurer que ce patient pourra tenir sur ses jambes |
Pourtant
le parti ne manque pas de talents qui, étouffés, vivent dans le souvenir des
victoires passées tandis qu’aucun leader charismatique n’arrive à faire vibrer
la masse disciplinée de ceux qui, naguère, ont mené Rabin à la victoire. En
l’absence de stratégie de reconquête, un boulevard s’ouvre à la droite qui peut
continuer à occuper le terrain dans l’atonie complète de l’opposition. Le
déclin de la gauche explique l’érosion en Israël du camp de la paix à la
Knesset. Les Travaillistes avaient soutenu les processus de paix et le souffle
d’optimisme, auprès d’une population qui espérait une fin rapide des
hostilités, est retombé quand les Palestiniens rejetèrent quelques années plus
tard une proposition de Barak de céder 93% de la Cisjordanie.
Ceux
qui avaient cru à la paix ont été désabusés et furent convaincus que les
Palestiniens n’avaient pas de volonté de cosigner un accord même imparfait.
Alors, des bataillons d’électeurs de gauche ont paradoxalement rejoint en masse
le camp nationaliste, le seul selon eux à garantir la sécurité si la guerre
devait perdurer. Les conséquences négatives pour le processus de paix moribond
se font sentir et le déclin des travaillistes risque de sonner le glas d'un
accord de paix. Cette inexistence politique des Travaillistes permet à Benjamin
Netanyahou de camper sur une position d’attente sachant que le pouvoir ne
risque pas de lui échapper. Il n’a pas besoin de faire de propositions aux
Palestiniens et encore moins d’expliquer la politique qu’il compte suivre au
Proche-Orient.
Ces
élections anticipées se joueront sur les thèmes de la politique sécuritaire et
du programme nucléaire iranien et accessoirement sur la pandémie. Benjamin
Netanyahou sait que ses adversaires pourront difficilement l’atteindre sur un
terrain qu’il domine et qui trouve un large consensus auprès des électeurs
inquiets de la situation du pays. Bien qu’une grande frange d’Israéliens soit fortement excédée par
les mesures économiques qui abaissent leur pouvoir d’achat de manière
drastique, le Parti travailliste reste une force modeste.
Les Travaillistes ont suivi une nouvelle cure d’opposition dans l’attente du
leader qui fera vibrer les militants. Mais la nomination d’une femme à la tête
du parti donne une petite lueur d’espoir. D’ailleurs les sondages ont réagi
immédiatement en leur permettant de dépasser le seuil électoral pour la première fois depuis de longs mois. Mais l’avenir du parti se trouve dans une orientation
sociale-démocrate pour récupérer des électeurs partis au centre ou au Likoud, Meretz faisant son travail de gauche historique. Le parti
travailliste fait partie du paysage politique et de l’Histoire glorieuse du pays, il est indispensable
qu’il continue à exister pour infléchir les politiques de droite du gouvernement.
4 commentaires:
Analyse d'une clarté limpide.
Hélas, l'émergence chez les travaillistes d'une réelle personnalité capable d'entrainer les foules et de récupérer les transfuges n'est pas pour demain !
Et que de vaisselle cassée d'ici là !!!
Les travaillistes ne sont pas prés de revenir au pouvoir par la grande porte électorale car leur image est associée à un risque ou à un programme "surprise "d'abandons territoriaux supplémentaires post accords d'Oslo ce que le peuple israélien ne veut pas en grande majorité car c'est ce contre quoi implicitement ou non il vote depuis leur perte de pouvoir au profit de la droite. Toute personnalité politique meme au centre qui se prononcerait clairement en ce sens perdrait une chance de gouverner. (Ex Livni, Barak ,Olmert -meme en situation de corrompu condamné.). Le fait est incontournable depuis un bon nombre d'années indépendamment de ses préférences de parti.
Le mouvement travailliste qui, jusqu'à Golda Meir et Rabin, avait fait un travail magnifique pour assurer la défense et la survie d'Israël. A présent les travaillistes s'alignent sur les divers Gauches mondiales ou la rêverie se substitue à une Sécurité qui pourrait mettre en danger le pays
L'érosion du parti travailliste s'explique surtout par l'acceptation de l'ultra-libéralisme comme mode de fonctionnement de l'économie. La gauche française a subi la même érosion et pour la même raison. Les hommes politiques sont l'expression des forces économiques dominantes des sociétés où ils évoluent.
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