LES PALESTINIENS DEVIENNENT PRAGMATIQUES
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le premier ministre palestinien |
Nous
l’avons souvent écrit que la politique de la chaise vide n’est pas dans
l’intérêt des Palestiniens car, chaque jour qui passe réduit d’autant l’espace
qui leur serait alloué pour un éventuel État palestinien. Mahmoud Abbas vient
d’évoluer puisqu’il se dit enfin prêt à des négociations directes avec Israël,
le jour où Israël doit se prononcer sur l’annexion de la Cisjordanie. Même s’il
est profondément opposé au «plan du siècle» de Donald Trump, son intérêt
est de présenter des contre-propositions écrites pour montrer sa bonne
volonté.
Jeunes des implantations |
Son refus systématique ne faisait pas évoluer sa cause et ne pouvait pas
changer la donne. Son obstination à revenir aux frontières de 1967 n’était plus
réaliste. Il savait pourtant qu’il avait des alliés dans ce processus, l’Union
européenne, l’Onu, la Russie et dans une certaine mesure les Américains qui
souhaitaient résoudre cet abcès de fixation au Proche-Orient pour mieux régler le
problème de l’Iran, de l’Irak, de Daesh et des islamistes qui ne désarment pas.
Les
Américains ont toujours dit que leur plan du siècle n’était pas définitif et qu’il était
amendable par les deux parties à une table de négociations. Les Palestiniens feignaient
d’ignorer cette possibilité et pensaient que leur refus allait briser la
détermination de Donald Trump. C’était mal connaître le président américain qui
avait martelé que tout était sur la table. Même quelques quartiers de
Jérusalem-Est et de sa périphérie de la capitale, habités uniquement par des Arabes,
sont négociables.
L’AP a enfin compris qu’elle
devait présenter des contre-propositions réalistes, avec quelques concessions
territoriales, qui ont été adressées au quartet international, composé des États-Unis,
des Nations Unies, de l'UE et de la Russie. Il semble que le nouveau premier
ministre, Mohammed Shtayyeh, qui fait preuve de beaucoup de pragmatisme et de
convictions, soit le maître d’œuvre de la réponse à la proposition américaine. En fait, Saëb Erekat prétend que le plan remis au quartet contient les mêmes propositions que par le passé. Est-ce une volonté de minimiser le rôle du premier ministre ?
Avi Berkowitz à droite conseiller de Kuchner |
Le
premier ministre adjoint et ministre de la défense, Benny Gantz, qui avait
rencontré l'envoyé américain Avi Berkowitz et l'ambassadeur américain en
Israël, David Friedman, a été suffisamment mis dans la confidence pour préciser
que la souveraineté n’était pas forcément applicable après le 1er juillet en
raison d’éventuelles négociations. Cela avait irrité Netanyahou qui avait
précisé que «les négociations avec les États-Unis sur l'application de la
souveraineté israélienne en Judée-Samarie ne dépendaient pas du parti Bleu-Blanc».
Le
premier ministre palestinien a donné quelques pistes dans son texte remis au
Quartet : «Nous sommes prêts à avoir notre État avec un nombre d'armes
limité et une force de police puissante pour faire respecter la loi et l'ordre.
Nous sommes prêts à accepter la présence d'une tierce partie mandatée par l'ONU
ou l’Otan pour s'assurer du respect de l'accord de paix concernant la sécurité
et les frontières». Il accepte en outre «des modifications mineures des
frontières qui auront fait l'objet d'un accord mutuel, sur la base des
frontières d'avant la guerre de juin 1967. Le transfert de territoires se
ferait d’égal à égal en termes de taille et valeur».
En
acceptant de négocier directement avec les Israéliens sans intermédiaire, les
Palestiniens mettent Netanyahou au pied du mur. Un refus de sa part le mettrait
en difficulté vis-à-vis de Donald Trump et des Européens. De son côté, Benny
Gantz a estimé que toute annexion devrait attendre que la pandémie du coronavirus
soit terminée ce qui laisse du temps aux négociateurs : «Un million de
chômeurs ne se soucient pas de l'annexion». Une excuse bien à propos.
Michelle Bachelet |
Comme
si elle voulait faire pression sur les deux parties, la Haut-Commissaire de
l'ONU aux droits de l'Homme Michelle Bachelet a dénoncé « l'illégalité
du projet d'annexion sachant que les ondes de choc dureront des décennies et
seront extrêmement préjudiciables à Israël, ainsi qu'aux Palestiniens. Il est
encore temps de revenir sur cette décision. L’annexion est illégale. Point
final».
En Israël et aux États-Unis on
s’agite après ces prises de positions puisque le gouvernement israélien semble
vouloir assouplir sa position. La date du 1er juillet
n’est plus impérative. L'envoyé spécial américain Avi Berkowitz et
l'ambassadeur David Friedman travaillent ensemble pour trouver la bonne formule
agréée par les deux parties. L’état d’avancement des discussions a poussé Brian
Hook, représentant spécial des États-Unis pour l'Iran et conseiller principal
du secrétaire d'État, à les rejoindre au retour du Golfe. Il a informé
Netanyahou sur l’accord global des États-Unis avec les Émirats arabes unis et
l'Arabie saoudite.
Brian Hook et Netanyahou |
En conséquence, il n’est pas
impossible que Netanyahou module sa position d’annexion de la Cisjordanie. Cela
justifie d’ailleurs la mission en Jordanie confiée au directeur du Mossad,
Yossi Cohen, pour apaiser les inquiétudes jordaniennes face au projet. Il a
prévenu le roi Abdallah que l’annexion de la vallée du Jourdain n’était plus
d’actualité et que le projet concernait dorénavant seulement les trois blocs
d’implantations les plus proches de la ligne verte.
Hook a su convaincre Netanyahou
en lui faisant miroiter une rencontre avec des hauts personnages du Golfe avec
à la clef plus d’informations sur l’Iran, ce qui explique la soudaine dérobade du premier ministre : «Nous sommes engagés
dans un processus compliqué aux ramifications politiques et
sécuritaires. Je ne suis pas en mesure de divulguer les détails pour le
moment. Nous avons dit que cela arriverait à partir du 1er juillet. A partir de
cette date, mais pas nécessairement».
Mahmoud Abbas a immédiatement décidé
de suspendre la dissolution de l'Autorité palestinienne et de renoncer à
déclarer un État palestinien auprès des instances internationales. Il a voulu
contrer les divisions au sein des dirigeants palestiniens à Ramallah car les
rivalités sont apparues au grand jour. Son premier ministre Mohammed Shtayyeh a ouvertement refusé d’être mis à l’écart de la
discussion internationale car il se positionne en véritable challenger. Après
s’être fait remarquer pour sa bonne gestion du Covid-19, il s’est imposé comme l’émissaire de la contre-proposition au plan
Trump. Grâce à son anglais parfait, cet économiste de 62 ans est
devenu le nouveau visage de l’autorité
palestinienne.
Au départ il avait pris une
position extrême en demandant à l’AP de couper les liens avec les États-Unis et
Israël en cas d’annexion. Mais c’était une posture pour amadouer les dirigeants
du Fatah car même s’il est très populaire, il a besoin du soutien de toutes les
personnalités clés du comité central du
Fatah dont une partie craint ses ambitions politiques. Il ne fait plus mystère
de sa volonté de remplacer Mahmoud Abbas. Il a préparé le terrain en incluant
dans son gouvernement des personnes de tous horizons, y compris de la bande de
Gaza, de Jérusalem et de la vallée du Jourdain pour atténuer les conflits au
sein de la direction palestinienne. Il est très adroit et très capable de
contourner les différences politiques grâce à sa personnalité publique efficace.
Il dépasse à présent Abbas dans les sondages.
Shtayyeh a gravi les échelons
dirigeants depuis l'époque de Yasser Arafat. Il est un économiste professionnel
avec une expérience dans des postes importants et des cycles de négociations
avec Israël. Il a toujours eu la confiance de ceux au-dessus de lui. Cependant,
il a besoin à présent de s’imposer au sein du Fatah, dans la branche politique ou armée.
Jibril Rajoub |
Abbas conserve son emprise sur
la sécurité, les relations étrangères et les affaires financières de l'AP ce
qui semble être la faiblesse de Shtayyeh dans la compétition pour succéder à
Abbas. Ses opposants incluent Jibril Rajoub et Tawfiq Tirawi qui bénéficient
d'un soutien au sein du Fatah et des groupes armés à Ramallah et à Naplouse.
Leur lacune reste la perspicacité financière du Premier ministre.
Il doit compter avec Mahmoud
Al-Aloul, 70 ans, nommé par Abbas comme son adjoint dans la direction du Fatah ;
l’œil de Moscou du président. Il espère que les plus jeunes candidats le
soutiendront pour être leur prochain président. Cependant, sa grande influence
à Naplouse ne suffit pas.
En fin de compte, à moins
qu'Abbas ne rejette Mohammed Shtayyeh, les Palestiniens et les Israéliens
feraient bien de se souvenir de son nom dans les prochains jours. Bien que son
chemin vers le siège de l'Autorité palestinienne à Ramallah ne soit pas facile,
il est membre de la deuxième ou de la troisième génération du Fatah. Il a insufflé
un esprit de négociation qui lui donne la légitimité de succéder à Abou Mazen.
Netanyahou, quant à lui, est
préoccupé par la date du 3 novembre, celle des élections présidentielles américaines.
La Maison Blanche aussi, qui a envoyé en Israël des poids lourds pour faire
pression sur les Israéliens afin que la question de l’annexion soit réglée
avant cette date. La réélection de Trump est compromise et il lui faut impérativement un succès au Proche-Orient pour redorer son blason et gagner une chance de garder son poste.
1 commentaire:
très intéressant!
une question M. Bénillouche: Les palestiniens deviennent pragmatiques ou cherchent-ils à gagner du temps en espérant la défaite de Trump en novembre? (Rappelez vous la reprise des négociations contre l'arrêt de la croissance des implantations! les négociations n'ont pas eu lieu, au bout de 4 ans, il leur fallait 4 ans de plus!)
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