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mardi 2 juin 2020

Coopération sécuritaire : le choix risqué d'Abbas



COOPÉRATION SÉCURITAIRE : LE CHOIX RISQUÉ D’ABBAS

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            

        Pour l’instant Netanyahou, tiraillé entre la décision de Mahmoud Abbas de rompre la coopération sécuritaire avec Israël et les réactions de la droite nationaliste s’opposant au plan de paix de Donald Trump, maintient sa décision d’annexer les implantations de Cisjordanie. Pourtant la crise sanitaire, qui montre un rebond, et la crise économique, qui pointe à l’horizon, mettent cette question au second plan du gouvernement.



Forces palestiniennes
            Le président Mahmoud Abbas a déclaré que l'Autorité palestinienne ne serait plus engagée dans aucun accord signé avec Israël à la suite à l'engagement d'Israël d'annexer de grandes parties de la Cisjordanie. On ne connait pas encore les détails de la mise en œuvre de son annonce sachant que les accords d'Oslo ont justement créé l'Autorité palestinienne et régissent ses relations politiques, économiques et sécuritaires avec Israël. Pour l’instant le gouvernement israélien temporise en refusant de commenter cette décision certes brutale, mais qui était dans l’air depuis plusieurs mois.
            Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo est dubitatif : «Je ne sais pas exactement quoi faire de sa déclaration, mais je regrette qu'il ait décidé d'abroger ces accords». L'accord de coalition permet à Netanyahou de présenter au gouvernement une proposition d'annexion dès le 1er juillet. La communauté internationale dans son ensemble est opposée à cette mesure unilatérale et estime qu’une solution à deux États fondée sur les lignes de 1967 est le seul moyen de résoudre le conflit.  Ce n’est pas la première fois que Mahmoud Abbas lance des menaces ; il les a déjà proférées onze fois, c’est dire si cela ne devient pas une rengaine.
            Le président de l’Autorité prend des risques personnels car la coordination de la sécurité vise aussi en grande partie le Hamas, son principal rival. Il risque d’être débordé par les forces islamiques et même délogé de son poste. En effet, les forces israéliennes, déployées à travers la Cisjordanie, effectuent fréquemment des raids dans les villes et villages palestiniens pour traquer les militants du Hamas. Elles coordonnent aussi les opérations avec les forces de sécurité palestiniennes pour permettre les déplacements des hauts responsables voyageant en convois armés, et pour organiser les entrées et sorties via le passage avec la Jordanie voisine.
            Cependant Abbas a toujours été opposé à la violence et il est donc probable que ses forces continueront probablement à agir contre tout groupe armé, même sans coordination officielle avec Israël. Par ailleurs, démanteler l'Autorité palestinienne, qui gouverne et fournit des services de base aux zones fortement peuplées de la Cisjordanie, risquerait d’engendrer le chaos et de mettre des dizaines de milliers de fonctionnaires au chômage. Donc, il est fort probable que Abbas reviendra sur la suspension de la coordination de la sécurité. Israël n’a pour cela aucun intérêt à commenter ce qui peut paraître de l’esbrouffe s’il tient à laisser une ouverture à toute révision de la position d’Abbas.

Le roi Abdallah de Jordanie

            Tous les membres du gouvernement Likoud et Bleu-Blanc ont accepté le plan de Donald Trump, à quelques différences près. Reste à connaître les modalités précises de cette annexion qui, selon la plupart des experts, n’aura pas lieu. Une raison majeure en plus de l’opposition de l’ultradroite Yamina, le roi Abdallah de Jordanie s’est exprimé de manière ferme : «Si Israël annexait vraiment la Cisjordanie en juillet, cela conduirait à un conflit massif avec le Royaume hachémite de Jordanie. Je ne veux pas faire de menaces, mais nous envisageons toutes les options sachant que l'annexion pourrait également entraîner l'effondrement de l'Autorité palestinienne».
            Mais un autre élément majeur, d’origine interne, pourrait contraindre Netanyahou à surseoir à sa décision ; en effet tous les responsables militaires et sécuritaires israéliens ont fait part de leur réticence à toute annexion parce qu’elle aurait de graves répercussions sur le terrain, en particulier l’arrêt de l’échange de renseignements sur les groupes terroristes. On ne comprend pas l’urgence de cette annexion alors que le gouvernement est confronté à la grogne de la population qui souffre des conséquences du coronavirus. Il suffit de se promener dans les petits centres commerciaux pour constater la fermeture définitive de petits commerces par manque d’aide financière. De nombreux salariés ne perçoivent pas de salaires et vivent de leurs économies parce que leurs employeurs sont en difficulté et que le gouvernement les a oubliés. Dieu y pourvoira ! Et pourtant les caisses de la Banque centrale d’Israël débordent de devises.

            Netanyahou n’est certes pas impressionné par les prises de position d’Abbas et du roi Abdallah. Il s’estime engagé auprès des organisations des implantations qui pourtant le lui rendent mal. Par ailleurs contractuellement, son projet d’annexion ne nécessite pas le feu vert de Benny Gantz. Il fait fi de la mauvaise humeur du roi de Jordanie qui sera mis devant le fait accompli et qui a précisé : «La paix avec la Jordanie est un intérêt essentiel non seulement pour Israël mais aussi pour la Jordanie. Je ne pense pas que cela va changer. L'annexion israélienne des territoires de la vallée du Jourdain et de la Cisjordanie pourrait conduire Jérusalem et Amman à une trajectoire de collision et même annuler les accords d'Oslo et l'effondrement de l'Autorité palestinienne».
            Effectivement, Netanyahou se fonde sur la prise de position de dirigeants arabes qui refusent de s’opposer à la décision israélienne car leur préoccupation première est l’Iran.  D'ailleurs, le président exécutif de l'OLP, Saëb Erakat, s’est élevé contre la position des États arabes modérés qui ont donné le feu vert au plan d'annexion : «Nous demandons des explications, les États arabes ne permettront pas la mise en œuvre du processus d'annexion». Cependant l'équipe de cartographie israélo-américaine, chargée de promouvoir le plan d'annexion, continue ses travaux.
            Les dirigeants de la Jordanie, l'Égypte, l'Arabie saoudite et les autorités du Golfe Persique, avertissent que l'application de l’annexion va créer une vague de violence et d'instabilité régionale et même mettre en péril l'accord de paix entre Israël et les Jordaniens. En revanche les États-Unis sont très déçus par l’opposition au projet Trump de la part du Conseil de Yesha regroupant les dirigeants des implantations de Cisjordanie. Ils sont de plus en plus frustrés par les critiques du plan de paix par des éléments de la droite israélienne adoptant une position du tout ou rien.
Conseil Yesha

            Face à cette opposition interne, Netanyahou est cependant conforté dans son projet par certains pays arabes. Un diplomate saoudien de haut niveau proche de MBS (Mohammed bin Salmane) a confirmé que l'Arabie saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes unis coordonnaient leur position informelle dans la mise en œuvre du plan d'annexion : «La position officielle arabe est contre toute décision qui porterait prétendument atteinte aux droits des Palestiniens à un État indépendant et à l'intérêt national palestinien. C'est un fait que, avec tout le respect que je dois aux dizaines de milliers de Palestiniens, vivant dans la vallée du Jourdain, les États arabes ne mettront pas en danger leurs relations avec l'administration Trump pour eux. Notre hypothèse de travail est que Trump gagnera les élections et continuera pour un deuxième mandat. Les Palestiniens n'ont pas réussi à profiter du gouvernement sympathique comme il l'était à l'époque d'Obama et persistent dans leur réticence».
            Un haut responsable égyptien de la sécurité a également ajouté que les dirigeants arabes modérés, dirigés par le président égyptien Sissi, le prince saoudien Ben Salman, le roi de Jordanie Abdullah II et les dirigeants du golfe Persique, «voient la lutte en Iran et l'empêchement de l'hégémonie iranienne chiite au Moyen-Orient. Plus que la question palestinienne, les États-Unis et Israël ont un grand poids dans la lutte contre l'Iran. Aucun dirigeant arabe ne mettra en péril le tissu d'intérêt à freiner l'expansion iranienne pour les Palestiniens».  
Ramallah quartie hupé de Masyoun

            C’est pourquoi Netanyahou estime que la cause palestinienne n'est plus aussi importante pour les pays arabes et qu’Abbas ne mesure pas le danger de voir le Hamas et les radicaux de Cisjordanie exploiter l'opportunité de se soulever, comme à Gaza, s’il persiste dans l'arrêt de la coordination de la sécurité avec Israël. Le premier ministre a même pris en considération une éventuelle flambée de violence palestinienne qu’il est sûr de pouvoir contenir. Il aime prendre des risques au moment où le gouvernement a d’autres chats à fouetter avec la crise économique et sanitaire. 
          En revanche, les États-Unis sont moins confiants car ils ont averti leurs ressortissants d'éviter la Cisjordanie et Gaza au milieu des pourparlers d'annexion. L'ambassade à Jérusalem désigne les postes de contrôle, les marchés et les installations gouvernementales comme des cibles d'attaques potentielles et demande à leurs citoyens de rester vigilants : «La violence peut survenir avec peu ou pas d'avertissement». Une mise en garde qui laisse réfléchir.

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