LA 4ÈME ARMÉE DU MOYEN-ORIENT EST UN TIGRE
DE PAPIER
Par Jacques BENILLOUCHE
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Contretemps
Hakirya Tel-Aviv |
Il ne faut jamais mésestimer son ennemi, même
lorsqu’il a un genou à terre à la suite des sanctions américaines qui le
mettent au bord de l’asphyxie. La bête blessée peut être très dangereuse
surtout lorsqu’elle a peu à perdre. C’est pourquoi Tsahal, dont le rôle est de
faire face à toutes les éventualités, réactualise en permanence l'inventaire
des moyens dont dispose Téhéran pour se défendre. L'Iran est la quatrième armée du Moyen-Orient après Israël, la Turquie et l'Arabie.
Parade militaire |
Plusieurs années après la guerre destructrice
Iran-Irak, les experts israéliens se penchent sur l'état et le volume de
l'armement mis à la disposition des militaires iraniens. Les conditions
matérielles de l'ennemi sont décortiquées dans les sous-sols de la Kyria, le
Pentagone israélien, pour définir la stratégie à suivre afin d’éradiquer le
danger des forces iraniennes. Mais l'impression générale qui se dégage de cette
analyse démontre que, malgré les rodomontades de ses dirigeants, l'armée
iranienne n'a pas encore acquis les moyens de sa politique offensive, sauf sur
des petits théâtres d’opérations comme la Syrie où elle agit en tant que milice plutôt qu'en armée.
Elle reste une armée de fantassins, prête à défendre
ses frontières ou à envahir ses voisins plutôt qu'une armée dotée d'une
technologie de pointe. Elle excelle en Syrie mais au prix de la mort de
centaines de soldats et surtout de dizaines d’officiers généraux. Sans la présence des Russes qui sont intervenus en sauveurs, les
Iraniens auraient été défaits par les rebelles syriens et surtout par Daesh.
Enterrement de deux Gardiens |
L'embargo a contribué à freiner la modernisation de
troupes qui ont perdu 40% de leur arsenal durant la guerre avec l'Irak et qui
restent dotées, encore aujourd'hui, d'un matériel qui a subi l'usure du temps.
Par ailleurs la guerre et la révolution ont décapité une armée qui a éliminé ses
meilleurs chefs. Le chef d'État-major iranien, le général Mohammed
Hussein Baqeri, a sous son commandement 545.000 militaires d’active et
1.800.000 réservistes.
Mais les éléments les plus entraînés, les plus
inconditionnels, les plus dogmatiques, les plus nationalistes et les plus
loyaux envers le régime sont les Gardiens de la Révolution au nombre de 125.000
hommes répartis en quatre corps comprenant quatre divisions blindées et six
divisions d'infanterie. Ils représentent une entité complètement indépendante
de l'armée régulière avec son propre budget, sa marine, son armée de l'air et ses
forces terrestres. Les hautes autorités de l'État s'appuient sur cette colonne
vertébrale du régime. Mais ils manquent eux-aussi de matériel moderne depuis que les Américains ont appliqué les
sanctions à leurs comptes bancaires pour les empêcher de
s'approvisionner à l'étranger.
Le général Baqeri |
L'infanterie aligne 1.650
tanks incluant 100 tanks Zulfiqar, dérivés du T72-S, fabriqués sous
licence russe par les usines locales iraniennes. La majorité des chars est
composée de Chieftains anglais ou de M-60 américains qui datent du temps du
Shah. Des tanks russes T54, confisqués aux Irakiens, ont été intégrés et ont
été complétés par des achats auprès de la Chine et de la Corée du nord. Mais
l'origine occidentale de la majorité du matériel de base entraîne une forte
dépendance vis-à-vis de l'étranger. Les pièces détachées, indispensables à la
remise en état de ce matériel lourd, font l'objet d'un embargo partiellement
détourné par certains pays d'Afrique qui trouvent une source de revenus
exceptionnels dans la revente à l'Iran de matériel de récupération au rebut.
Cette difficulté d'approvisionnement permet d'avoir un doute sur la qualité de
la maintenance du matériel et a fortiori sur la fiabilité des tanks.
Après sa guerre avec
l'Irak, l'Iran s'était lancé dans une politique de réarmement auprès de
nouveaux fournisseurs et plus particulièrement la Russie, la Chine, la Corée du
nord, la Tchécoslovaquie et la Pologne. Les pays de l'Est lui fournirent alors
les chars Tiam de type MBT que certains voient comme une réplique du Merkava israélien, sans
que l'on puisse déterminer par quel canal la copie a pu s'effectuer.
Les forces aériennes
comprennent 30.000 personnes et 479 avions de combat. Mais à peine 60% du
matériel américain reste en état de fonctionnement et 80% de l'aviation est en
fait d'origine russe. L'intégration des F-14 avec les Mig-29 crée une
hétérogénéité qui ne favorise pas l'efficacité de l'aviation. L'Iran détient
par ailleurs, en provenance d'Irak, quelques Sukhoï Su24-S âgés de plus de 25
ans. Les avions de transport et les hélicoptères sont en nombre limité.
Les
forces aériennes sont organisées en trois zones avec un commandement
indépendant. La zone ouest, couvrant la frontière irakienne ainsi que la région
de Téhéran, fait l'objet de la plus grande attention puisqu'elle abrite la
majeure partie des intercepteurs et des chasseurs-bombardiers. La zone sud
protège le Golfe persique avec des appareils P-3F de patrouille maritime. Cette
organisation montre cependant ses faiblesses et ses lacunes en particulier dans
la couverture radar du territoire iranien qui s'étend sur plus de 2.000
kilomètres. Les analystes militaires ont détecté un manque de communication et
d'organisation interarmées qui réduit l'efficacité des pilotes iraniens soumis
par ailleurs à une suspicion généralisée. Parce que les avions leur ouvrent des
tentations de fuite, ils ne se déplacent qu'accompagnés d'officiers de sécurité
chargés de prévenir les défections et de les éloigner de tout contact suspect.
Selon les experts
militaires, l'état de la marine est à l'avenant, certains le jugent lamentable.
Environ 18.000 personnes composent une marine basée à Bandar Abbas équipée de
trois sous-marins russes Kilo, trois frégates et deux corvettes, ces matériels datant de plus
de 40 ans, donc périmés. On ne connait pas de navires modernes et la
maintenance des anciens bâtiments laisse à désirer. L'Iran a bien annoncé en
2007 la sortie d'un nouveau navire de ses propres chantiers navals, le Jamaran mais il
s'agit d'une amélioration de la frégate lance-missiles Kaman, d'origine
française, acquise dans les années 1970 avec une technologie dépassée.
L'embargo a imposé la
restructuration des industries militaires qui ont pris de l'essor après la
fusion des complexes industriels de l'armée avec les moyens illimités des
Gardiens de la Révolution. Les pays de l'Est et la Corée ont fourni la
technologie balistique et le savoir-faire pour la fabrication d'armes de
destruction massive devant permettre à l'Iran de s'opposer à ses deux
principaux ennemis de la région : l'Arabie saoudite et Israël. Sa volonté de
contrôler le trafic maritime du Golfe persique et autour du détroit d'Ormuz a
été à l'origine du développement de systèmes balistiques de moyenne portée.
Le ministère de la
Défense contrôle plus de 300 usines de production militaire chargées de fournir
l'armée en munitions, en armements terrestres et en missiles. La Corée du nord
a construit le plus grand complexe à Ispahan pour la fabrication de chars, de
munitions et de carburant propergols pour missiles. La Chine s'est chargée
de développer à Semnam des usines de conception de missiles devant atteindre
une production annuelle de plus de mille unités. Ces unités industrielles donnent
l'illusion d'une autonomie dans le domaine des munitions et dans la réalisation
d'avions et de véhicules blindés mais ces projets n'ont pas encore atteint une
capacité de production conséquente.
Les budgets militaires
ont subi une forte croissance durant ces dernières années car l'Iran voulait
faire sortir ses forces armées aériennes de leur sous-développement. Des
progrès tangibles ont été relevés dans l'aéronautique en particulier grâce à la
fabrication de l’hélicoptère Shabaviz 2-75 dont seul le moteur est
importé. L'Iran avait annoncé la fabrication locale de deux nouveaux chasseurs
à réaction, le Saegheh censé remplacer l'Azarakhsh (l'éclair), mais la
construction à «échelle industrielle» n'est
pas encore confirmée. Deux autres avions ont été conçus, Dorna (Alouette) et
Partsu (Hirondelle), pour l'entraînement de ses pilotes.
Malgré les progrès
enregistrés par les industries iraniennes, les experts militaires sont unanimes
à affirmer qu'en raison des délais nécessaires à la conception et à l'industrialisation
des prototypes, les matériels de fabrication locale sont déjà périmés dès leur
sortie des chaînes industrielles. Ces systèmes, développés sur la base d'une
technologie des années 1990, sont obsolètes par rapport au matériel dont
disposent les voisins de l'Iran avec les F-15, F-16, F-35, Mirage et Rafale détenus indistinctement par Israël, l'Arabie saoudite, la Jordanie, le Bahreïn et les Émirats. Les avions
iraniens sont aveugles parce qu’ils ne disposent pas de radars perfectionnés et
sont inoffensifs sans bombes guidées au laser et au GPS. Les matériels de
fabrication locale sont incapables de se mesurer aux produits innovants de la
haute technologie israélienne et américaine. De là à penser que les Occidentaux
ont surévalué la capacité offensive de l'Iran, il n'y a qu'un pas qui pourrait
être franchi par les analystes militaires.
Une autre grande lacune
subsiste et elle pourrait être la faille exploitée par les Israéliens. L'Iran
n'a pas de système défensif élaboré et il compte sur ses missiles, insuffisants
selon les experts, pour assurer une sécurité totale. Les nombreux projets qui
ont permis la mise au point des missiles Nazeat, Oghab et Shahin ainsi que le
Fadjir, qui a reçu le baptême du feu entre les mains des combattants du
Hezbollah, ont une efficacité limitée en cas d'offensive massive d'envergure.
Mais les projets qui
éveillent le plus l'attention des Israéliens concernent la fabrication de
nouveaux missiles dont les techniciens étrangers connaissent parfaitement les
spécifications puisque la technologie provient de la Chine, de la Corée du nord
et de la Russie. Le Shahab-3 est inspiré du missile coréen No Dong et
dispose d'une portée de 1.500 km. Le Shahab-4, dérivé du SS-4 à carburant
liquide de l'ex-URSS, dispose d'une version lanceur de satellite et d'une
version militaire avec une portée de 4.000 kms. S'agissant des missiles, le
doute subsiste sur les réelles capacités des Iraniens à disposer d'engins à
combustible solide, plus difficilement détectables. L'Iran a annoncé les tests
réussis du missile Sejjil dont la portée est de 2.000 kms, pouvant donc atteindre
Israël, mais les expérimentations ne
donnent pas pour l'instant une crédibilité assurée à cette force de dissuasion
iranienne.
L'Iran sait que, même
s'il acquiert des chasseurs évolués de quatrième génération, la formation de
ses pilotes s'étendrait sur plusieurs années et c'est pourquoi certains
stratèges israéliens ne veulent pas attendre et conseillent d’attaquer l’Iran contre
l’avis de l’État-major et des principaux services sécuritaires qui ont mesuré la réalité du danger. Les Israéliens ont évalué l'indigence
d'une défense aérienne iranienne basée uniquement sur des missiles périmés,
mais ils n'excluent pas le risque de pertes militaires sensibles qu'ils sont
obligés d'intégrer dans leur scénario en cas d’une éventuelle frappe
israélienne de masse. Ils s'inquiètent en revanche d'une riposte par tirs
désordonnés contre les villes et les civils malgré leurs nouveaux engins
d'interception. Ils envisagent donc tous les scénarios pour éviter les risques
de bombardements du type de ceux qu'ils ont subis avec les Scud irakiens, à
lanceurs mobiles. De récents progrès ont été réalisés pour protéger les villes grâce
aux systèmes anti-missiles Dôme de fer, Arrow et Fronde de David..
Arrow-3 |
Les analystes militaires pensent que le programme
nucléaire reste le danger principal parce que les centres sont entourés de
mystère et que l'état d'avancement des recherches est encore nébuleux, bien que
des transfuges aient apporté des informations précieuses. La surmédiatisation
des tests de missiles iraniens sol-sol entre clairement dans la stratégie de
dissuasion iranienne mais est surtout destinée à la propagande interne du
régime. L'Iran est conscient de l'écart technologique auquel il doit faire
face, mais laisse planer le doute sur ses réelles capacités techniques. Pour
cela, il fait illusion en étalant sa puissance militaire qui n'a rien de comparable à celle de Tsahal.
Sans que l'on sache s'il s'agit d'une stratégie, Tsahal relativise le danger iranien
immédiat bien qu’en 2018 l’armée iranienne ait été placée au 21ème rang mondial
devant l’armée saoudienne qui consacre 77 milliards de dollars par an de budget
militaire face aux 16 milliards de dollars pour l’Iran. Mais l’argent n'est pas le seul critère pour
juger des capacités des forces militaires d'un pays qui dépendent de la qualité
de l'entraînement des forces armées. En effet, l’énorme somme d'argent dépensée par Riyad chaque année
signifie que le pays possède l’une des armées les mieux équipées de la région
mais son échec à vaincre les milices yéménites soulève des doutes sur
l'efficacité des forces armées saoudiennes.
Il en est de même de l’Iran qui a
une forte capacité de nuisance avec ses mercenaires chiites et ses fantassins mais il
peut difficilement se mesurer à une armée dotée des meilleurs armements
technologiques ce qui donne à certains experts occidentaux l’impression que l’Iran
est un tigre de papier. Cela explique le calme dont fait preuve le général Gadi
Eizenkot et son équipe qui ne semblent pas pressés d’en découdre dans l'immédiat avec l’Iran mais plutôt avec ses affidés chiites en Syrie et au Liban.
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