ISRAËL : BONNE SANTÉ ÉCONOMIQUE ET PAUVRETÉ
Par Jacques BENILLOUCHE
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Deux nouvelles contradictoires
viennent de tomber cette semaine et elles sont sans appel. En examinant les
coûts des aliments, des vêtements, des voitures et des locations
d'appartements, Tel-Aviv, qui était au 34ème rang il y a cinq ans, est
désormais la neuvième ville la plus chère du monde et la plus chère de l’OCDE. Par
ailleurs, l'agence de notation Standard & Poor's a relevé la note de la dette
souveraine d’Israël de A+ à AA- plaçant
ainsi Israël au niveau des grands pays occidentaux.
Ces informations sont
contradictoires parce que malgré la bonne santé économique du pays, la pauvreté
s’accentue pour atteindre des sommets jamais égalés. Et cela malgré la réalité
du miracle économique faisant d’Israël «une oasis au milieu du désert»,
ou une nation start-up fascinante. Tout cela est certes vrai mais, alors que le
taux de pauvreté d’Israël était de 13,8% en 1995, il atteint aujourd’hui 21%. Selon l’OCDE, Israël a le plus haut taux de
pauvreté parmi les pays développés. Un Israélien sur cinq et un enfant sur trois
vivent dans la pauvreté. Seul le Mexique dépasse l’État juif quant au nombre de
familles pauvres.
Les écarts de revenus se sont
accrus et depuis la révolution des tentes de 2011, la classe moyenne a aussi été
touchée. Les jeunes se précarisent et certains n’ont pas d’autre choix que de
s’expatrier vers les Etats-Unis ou Berlin. Selon le rapport du contrôleur de
l’État, la construction de nouveaux logements s’est ralentie sauf en
Cisjordanie. C’est ainsi que le prix des logements a augmenté en 5 ans de 55%
et les loyers de 30%. Le coût de la vie
progresse de telle manière que certaines familles, disposant de deux salaires,
ont du mal à finir le mois et basculent dans la pauvreté. Les familles monoparentales sont dans le désespoir.
Militant du Likoud fouillant les poubelles |
Et pourtant, en usant de la peur
face au danger arabe et iranien, Netanyahou pourrait être à nouveau réélu car
il peut se prévaloir du soutien des classes les plus défavorisées, en majorité
séfarades et orthodoxes, dont la seule préoccupation reste la sécurité face aux
populations arabes. Obnubilés par les risques sécuritaires, cette catégorie de la population est la seule à se sacrifier pour l’intérêt du pays alors que le
gouvernement la matraque économiquement. En fait, Israël
souffre du paradoxe d’avoir une économie très saine mais un niveau de pauvreté
de plus en plus croissant.
Israël est un pays qui consomme
beaucoup et qui fait marcher la carte bleue parce qu’elle permet les achats à
tempérament, étalés sur dix mois. Cela booste l’économie. Comme s’ils n’avaient
aucune confiance dans l’avenir, les Israéliens dépensent plus qu’ils ne
gagnent, séjournent à l’étranger deux ou trois fois par an avec la frénésie de profiter
du temps présent. Et plus ils consomment, et plus ils gavent les monopoles
alimentaires qui imposent leurs prix et leurs marges sans que les Israéliens puissent
faire un tri parmi les produits au prix prohibitifs.
Une grande complicité existe entre
le patronat, les hommes d’affaires et les hommes politiques puisque le
gouvernement a privatisé à tout va, en vendant les bijoux de famille et sans créer
de réelle concurrence, la seule à faire baisser les prix. L’industrie chimique
Agam et la société spécialisée dans les laitages, 80% du lait du pays, ont été bradées
à des Chinois qui bien sûr ont profité de l’aubaine pour maintenir les prix au
plus haut. En effet, les laitages sont 30% plus chers qu’à Paris et les prix
des autres produits alimentaires sont à l’avenant.
Benjamin Netanyahou est
responsable de l’essor de l’économie israélienne mais aussi de sa politique ultra-libérale
lorsqu’il était à la tête des finances en 2003. Avec ses privatisations, il a
désengagé l’État de certains secteurs, comme celui de la construction des logements
sociaux qui a été stoppée au détriment des jeunes couples et des nouveaux
immigrants. Alors, les jeunes émigrent aux Etats-Unis ou à Berlin où leurs
diplômes sont recherchés tandis que l’immigration se tasse. Un million d’Israéliens
vivent aux Etats-Unis et 48.000 à Berlin.
Certes, il n’ y a pas de chômage
parce qu’il n’est pas indemnisé et que les salariés sont contraints d’accepter
tous les travaux pour survivre. Les employeurs en profitent pour proposer des
bas salaires quand il ne s’agit pas d’emplois précaires d’intérim. Les écarts
entre les bas et les hauts salaires sont les plus élevés de l’OCDE. Le secteur
dynamique de la nation start-up fait illusion car les emplois dans la haute
technologie n’occupent que 10% de la population avec des hauts salaires qui
font exception. Ces emplois sont boostés par les besoins militaires.
Constructions Amidar |
Jusqu’à l’arrivée de Netanyahou
aux finances en 2003, la pauvreté n’existait pas sous le régime travailliste
très protecteur. Les nouveaux immigrants recevaient un appartement social et
des conditions d’achat de véhicule, de meubles et d’appareils ménagers à des prix
compétitifs. Aujourd’hui ils sont abandonnés à leur sort, sans emploi parce
que leurs diplômes ne sont pas reconnus ce qui les pousse à retourner dans leur pays
d’origine. C’est valable pour les Russes aussi bien que pour les Français qui
constituent le plus fort contingent de l’alyah.
Sous l’alibi de la nécessité d’un
budget de défense, le gouvernement a beaucoup taillé sur les dépenses de santé,
d’éducation et sur les dépenses sociales au point que certains malades n’arrivent plus
à payer le ticket modérateur de leurs médicaments. Mais paradoxalement les
riches sont de plus en plus riches. Un signe ne trompe pas ; les nouvelles
plaques d’immatriculation des voitures révèlent le nombre croissant de véhicules
de haut standing aux prix double de ceux pratiqués en Europe.
Révolution des tentes en 2011 |
Malgré ces difficultés,
les Israéliens n’ont pas la culture de la contestation, a fortiori lorsque les syndicats sont faibles.
S’ils le faisaient, on leur opposerait la
situation sécuritaire qui exige de leur part une grande retenue et pas de grogne.
Mais certaines conséquences se
font déjà sentir avec une baisse importante de l'immigration qui n’est plus une alyah
de conviction sioniste mais une alyah de nécessité. Certes les arrivées de Russie et de Turquie sont en hausse entraînant une augmentation générale de 2% en 2017 mais
parallèlement, on note une baisse des nouvelles arrivées depuis les Etats-Unis et
la France. La hausse de 6% dans l’immigration depuis l’ancienne Union Soviétique,
représentant 13.192 personnes, compense en partie la baisse de 11% en
provenance des Etats-Unis qui ont amené 2.282 immigrants en Israël. L’Ukraine,
où l’économie s’est effondrée à la suite des disputes territoriales avec la
Russie après 2013, a fourni à Israël près de 6.000 nouveaux arrivants.
L’immigration de France, exceptionnelle
en 2015 avec 7. 328, était faussée par l’alyah fiscale de ceux qui ont pris la
nationalité israélienne uniquement pour récupérer leurs comptes bancaires
bloqués et qui sont retournés à leur pays d’origine immédiatement après,
faussant les statistiques. Depuis les chiffres retrouvent les normes
habituelles avec une chute de 26 % pour un total de 3.138 nouveaux venus
français en 2017. L’immigration de Grande-Bretagne a également diminué de 16 %
avec 459 olims. En 2018 la situation s’est aggravée couplée avec un nombre dramatique
de retours en raison des conditions économiques en Israël.
Pour masquer ces déconvenues, le
gouvernement infantilise la population avec la chanteuse Netta Barzilaï qualifiée
de «meilleure ambassadrice d’Israël». On est loin du high-tech et des
prix Nobel. Les intellectuels israéliens, les grandes consciences juives de la
diaspora des plus réputées sont aujourd’hui en rupture avec le pouvoir actuel.
Ronald Lauder |
Ronald S. Lauder, président du
Congrès juif mondial, d’ordinaire élogieux à l’égard d’Israël, loin d’être un «gauchiste»
au sens nationaliste israélien du terme, n’hésite plus à critiquer Netanyahou alors que
le pays a plus que jamais besoin du soutien des Juifs américains. Il regrette
les mesures discriminatoires à l’égard des Juifs libéraux au Kotel et «la
loi sur l'État-nation qui réaffirme à juste titre qu'Israël est un État juif,
mais nuit également au sentiment d'égalité et d'appartenance des citoyens
israéliens druzes, chrétiens et musulmans».
Il n’approuve pas la
mainmise des religieux orthodoxes qui régentent tout et il en tire des
conclusions sévères : «Dans plusieurs municipalités, des tentatives
ont été faites pour perturber la vie laïque en fermant des magasins de
proximité le jour du shabbat. Israël est un miracle. Les Juifs de la diaspora
se tournent vers Israël, admirent ses exploits étonnants et le considèrent
comme leur résidence secondaire. Cependant, aujourd'hui, certains se demandent
si la nation qu'ils chérissent perd son chemin».
En fait pour résumer, l’économie d’Israël va bien mais pas la
population. Le dernier mot restera à Isaac Herzog, directeur de l’Agence
Juive qui estime que : «Les Juifs de la
Diaspora s’éloignent d’Israël. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour
agir contre cette tendance qui nous divise de plus en plus».
8 commentaires:
La pauvreté, pour tout individu normalement constitué, est souvent un brevet d'incapacité de s'intégrer au système de productivité du temps présent !
Merci pour cette analyse socio-économique qui s'apparente à certains endroits à ce qu'il se passe ailleurs dans d'autres grandes villes ou capitales du monde, ne serait-ce qu'à Paris. l'imagination et créativité (chercheurs, intellectuels, startupiste...) s'échoue dans les méandres des politiques affairistes qui font leur ce qu'ils n'ont pas créé laissant le citoyen sur le bas côté. Vivement le retour des travaillistes !!
Netanyahu semble très bon sur la scène diplomatique et il a vraiment quelque chose à offrir dans le rapport de force entre les nations.
Il a lancé avec succès la start-up nation.
Mais son bilan sera pour toujours entaché de sa terrible indifférence aux populations dans la difficulté et à la promotion de l’éducation en particulier chez les Haredim et dans le secteur arabe.
Il semble que sa stratégie en tant que chef d’Etat est de garder Israël sous tension, sans paix, pour que réellement les israéliens demeurent une nation soudée.
Cette vision très tragique du destin d’Israël - et l’histoire des royaumes d’Israël et de Judée le rappelle sans arrêt - couplée au révisionnisme de Jabotinski- le pousse dans une démarche de plus en plus nationaliste.
Le problème c’est qu’il n’y a pas de vision structurée forte dans l’opposition, et les ennemis d’Israel s’accommodent aussi de la situation qui pensent-ils, les sert sur le long terme.
La classe moyenne, qui avait beneficie de bons emplois et de bons salaires, se retrouve éliminée par les systèmes automatises et les programmes d'ordinateurs. Avec les nouvelles technologies ce sera encore plus dramatique.
Cher monsieur Benillouche,
Mais à partir du moment où vos ponts ne menacent pas de s'écrouler, et où l'Aquarius n'a pas encore décidé de lâcher ses cargaisons de migrants dans un de vos ports, vous pouvez estimer que vous avez encore de la chance !
Très cordialement.
@gilbert brami
Pour tout individu normalement constitué, la capacité de s’intégrer au système de productivité dépend de la politique menée pour se faire.
Il apparaît selon l’article éclairant de Jacques, qu’une infime partie en bénéficie. La pauvreté est un fléau dû aux lois sociales pratiquement inexistantes qui laissent sur le bas-côté les plus démunis, tant matériellement qu’intellectuellement.
Un autre critère à ne pas négliger, de manière générale en Israël ou ailleurs, est celui de « l’événement » qui peut faire basculer un individu de l’aisance à la misère ( maladie, divorce, perte d’un emploi.... ).
Autrement dit, la fragilité de la vie....
Israël l'exemple parfait des contradictions du capitalisme. De bons indicateurs économiques et un nombre de pauvres qui augmente et qui soutiennent celui qui les rends et les maintient pauvre
Merci Jacques Benillouche pour cet article. Je dois reconnaitre que tu as raison dans ton analyse de ce qui se passe en Israël. Il faudrait pouvoir changer cela, mais comment ??? Trop à gauche c'est la fin d'Israël et trop à droite c'est mettre un frein à la liberté de jouir de son temps, de ses mouvements. Il y a de plus en plus de différences entre les riches et ceux qui peinent à gagner leur vie car les salaires sont très bas. Les jeunes ne peuvent plus acheter un appartement. Beaucoup doivent vivre chez leurs parents avec leurs enfants. Au lieu de diminuer, tout devient de plus en plus cher. Les soins médicaux ne sont pas ce qu'ils doivent être. C'est une médecine à 2 vitesses..... une pour les riches et une pour les pauvres. Les Bons médecins sont dans des cliniques privées ou partent à l'étranger. Ceux qui restent consacrent pas plus de 10 minutes à chaque patient, et les soins laissent à désirer. J'adore Israël, mais je suis triste de voir ce qui s'y passe et combien les mentalités y ont changé.
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