LA FUITE
DES CERVEAUX ISRAÉLIENS
Par Jacques
BENILLOUCHE
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Chercheurs à Tsahal |
Si Israël ne prend pas garde, il finira par perdre la fine fleur de sa jeunesse qui ira chercher fortune sous d’autres cieux. Le sionisme a ses limites pour ces jeunes Israéliens qui ont du mal à faire leur place au soleil dans un pays qui ne s’occupe pas des jeunes. L’immobilier a atteint des sommets qui ne permettent plus aux jeunes couples d’acheter un logement parce qu’ils n’ont ni la première mise de fonds et ni les moyens financiers de s’engager dans un crédit à long terme. Moshe Kahlon a fait illusion en faisant croire qu’il allait réussir à dompter les promoteurs pour leur imposer une baisse drastique. Il n'a pas réussi parce qu'il n'a pas tenu sa promesse d'offrir des terres domaniales pour casser la hausse du marché de l'immobilier.
Alors les jeunes diplômés lorgnent
vers les Etats-Unis ou l’Allemagne d’autant plus que les Américains viennent d'édicter des nouvelles règles pour faciliter l’obtention de visas de travail aux Israéliens. Dans un premier temps,
les entrepreneurs qui investissent des capitaux pour créer des entreprises obtiennent
plus facilement le visa d’investisseur E2 puis ensuite les employés obtiennent
une autorisation de travail. C’est l’immense ouverture aux start-ups
israéliennes qui veulent cibler le marché américain plus attractif et plus
rémunérateur.
Cela risque d’amplifier le
mouvement d’installation d’Israéliens aux Etats-Unis. Déjà plus d’un million d'entre eux résident aux Etats-Unis, légalement ou de manière clandestine. Si le gouvernement ne se préoccupe pas de ce
fléau, beaucoup
d'autres pourraient bientôt les rejoindre devant les salaires attractifs et les
facilités d’intégration. En raison d’un coût de la vie élevé, plus de 20% par
rapport à la France et 30% par rapport à Milan, et en raison de bas salaires les
Israéliens quittent le pays en masse pour se construire une nouvelle vie plus
facile ailleurs. Les jeunes y trouvent plus d'opportunités pour réussir plus vite.
Les
statistiques sont révélatrices. Plus de 87.000 Israéliens sont devenus citoyens
américains, entre 2006 et 2016, ou résidents permanents légalisés alors qu’ils n’étaient
que 66.000 entre 1995 et 2005. Ces chiffres ne comprennent pas les «illégaux»,
ceux qui entrent avec un visa temporaire de touriste, d'étudiant ou de travail
et qui ne quittent plus le pays. Mais d’autres se sont installés en Europe et au
Canada.
Le
gouvernement semble passif devant cette fuite de cerveaux qui concerne les plus
talentueux qui sont happés par les meilleures universités et par les meilleures
entreprises. Les statistiques officielles révèlent que le taux d'émigration des
chercheurs israéliens est le plus élevé du monde occidental mais l’exode s’est amplifié
aux jeunes en général.
Tsahal
s’inquiète en priorité du départ d’anciens militaires formés dans ses rangs. L’armée israélienne perd chaque année des militaires qui profitent du savoir accumulé
pendant leur service pour quitter l’uniforme. L’État-major estime urgent d’endiguer
l’hémorragie technologique. Selon un haut responsable du ministère de la
défense : «Il y a des procédures sur les transferts de technologie et
d’expertise des soldats, mais elles sont dépassées dans l’écosystème dans
lequel nous vivons».
La réalité est loquace. La plupart des
fondateurs de start-up israéliennes viennent de l’unité 8200 ou d’autres
branches de l’armée spécialisées dans le développement de services de défense
informatique, de codes et d’algorithmes. Après leur service militaire de trois
ans, ils profitent de l’occasion de souffler pour voyager à l’étranger pour finalement
intégrer une filiale israélienne d’un groupe international.
Légalement
ils ne peuvent pas dévoiler ou exploiter les travaux qu’ils ont réalisés à l’armée
mais il existe un flou dans les frontières des domaines de haute
technologie. Le risque est grand de voir certains jeunes peu conscients qu’ils portent atteinte à la sécurité
du pays en exploitant des techniques secrètes.
Arie Warshel |
Après
les grandes vagues d’immigration, il semble à présent que les
spécialistes hautement qualifiés font le voyage inverse, vers des pays où ils
sont mieux payés. L’exemple le plus flagrant est celui de Arie Warshel et
Michael Levitt, prix Nobel de chimie. Originaire d’un kibboutz, Arie Warshel s’est exilé
depuis quarante ans aux États-Unis parce qu’il n’arrivait pas à trouver un
travail fixe à l’Institut Weizmann. Michael Levitt, originaire d’Afrique du
Sud, a fait son alyah puis a intégré l’université Stanford. Les deux ont acquis
la citoyenneté américaine.
Michael Levitt |
La télévision israélienne a diffusé un
reportage sur les spécialistes israéliens qui travaillent à l’étranger et qui
ont justifié leur départ parce qu’ils n’avaient pas obtenu un salaire digne de
ce nom ou parce qu’ils étaient au chômage : «En Israël, les loyers,
l’alimentation, tout est plus cher. Il y est difficile de trouver un emploi
bien rémunéré. De plus, aux États-Unis, il y a une autre atmosphère, plus
tranquille». Il est difficile d’accuser ces jeunes de rechercher la
simplicité et de vendre leurs principes pour du confort.
Mais les Etats-Unis ne sont pas les seuls à
attirer les Israéliens. L’afflux des Israéliens à Berlin a commencé au début
des années 2000 et s’est intensifié ces dernières
années. En 2012 ils étaient environ 10.000 à résider à Berlin, ils sont
aujourd’hui plus de 20.000 et le flux ne se tarit pas. Les musiciens et le
danseurs sont ceux qui ont le plus de débouchés dans une capitale où le coût de
la vie est relativement faible. Les Israéliens sont attirés par la facilité de
fonder un foyer, d’avoir un emploi stable et surtout de posséder un appartement
à Berlin.
Israéliens à Berlin |
Bien sûr, nous sommes loin du sentiment sioniste, mais les Israéliens
sont devenus, comme les autres Occidentaux, très matérialistes en faisant passer
leur intérêt personnel et celui de leurs enfants avant celui de la nation. Mais en perdant ses experts, Israël risque de manquer de professeurs pour la prochaine génération d’étudiants. La fuite de cerveaux est une bombe à retardement.
1 commentaire:
Cher monsieur Benillouche,
"En même temps", comme dirait notre Président, déplorer la fuite de quelques dizaines de milliers de "cerveaux", au moment où on apprend que l'ONU évalue à 68,5 millions le nombre de "personnes déplacées" dans le monde - dont on peut imaginer que quelques unes d'entre elles disposent aussi d'un cerveau - c'est peu, et, comme ne manquerait pas de vous le faire remarquer notre Président, c'est très "nouveau monde" !
Mais, si cela peut vous consoler, là où vos "cerveaux" devenus "très matérialistes" pourraient vite déchanter c'est dans le choix de leurs points de chute, les USA ou l'UE, qui sont le siège de guerres de civilisations - n'ayons pas peur des mots - qui ne les changeront pas beaucoup de ce qui se passe dans leur propre pays.
Très cordialement.
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