SYRIE : RHÉTORIQUE MILITAIRE ET PRAGMATISME
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Quand une affaire n’est pas traitée à chaud, elle se dégonfle car, au-delà de la rhétorique militaire, les parties mettent de l’eau dans leur vin et le pragmatisme finit par entraîner un équilibre de la terreur en Syrie. Le problème n’est pas de trouver des cibles pour des frappes militaires mais de définir les bons moyens pour minimiser les risques qui ne manquent pas dans cette région.
USS Arleigh Burke |
Le destroyer lance-missiles américain USS Arleigh Burke, a pris la route du Moyen-Orient le 11 avril 2018, depuis sa base navale du Norfolk en Virginie. Plusieurs jours de navigation permettre de ramener les esprits à la raison. Et pendant ce temps, les Russes et les Syriens ont eu le temps de prendre des mesures de protection pour leurs soldats, leurs missiles et leurs avions, dans des bases communes, pour limiter l’impact des frappes. Les troupes syriennes se sont intégrées aux Russes pour assurer leur survie. Le problème pour les Américains est donc d’éviter de toucher des cibles russes, voire de tuer des «conseillers» étrangers. A force d’être imminentes, les frappes occidentales perdent de leur effet dissuasif.
Certes les infrastructures syriennes, abritant des fabriques d’armes chimiques, ont été repérées par les commandos israéliens infiltrés en Syrie. Les bases aériennes qui approvisionnent en armement chimique sont connues à l’instar de la base militaire d’Al-Chaayrate, près de Homs. Elle avait été déjà visée l’an dernier par 59 missiles Tomahawk qui ne l’ont pas empêchée de continuer à fonctionner. De leur côté les Israéliens avaient ciblé le Centre de recherches et d'études scientifiques de Syrie (SSRC) près de Masyaf, dans la région de Tartous, censé fabriquer du gaz sarin ainsi que la base aérienne T-4. Ils ont encore dans leur viseur l’aéroport militaire de Doumair, à quarante kilomètres de Damas, d’où partent les avions qui sèment la mort chimique.
L’inaction de Trump qualifie son attitude d’esbrouffe
pour intimider ses adversaires. Il sait qu’il ne peut pas frapper la Syrie sans
éviter une attaque frontale avec la Russie qui dispose de deux bases aériennes
équipées de défenses sophistiquées, Tartous et Hmeimim, dont les batteries S-400
sont redoutables. Par ailleurs, dans ces bases, la Russie a réussi à installer
des systèmes de brouillage des communications qui neutralisent les drones
américains et israéliens. Le destroyer USS Donald Cook, équipé de
missiles Tomahawk, se trouve déjà en Méditerranée en même temps que l'Aquitaine,
une frégate française multi-missions (FREMM) équipée de missiles de croisière.
Un sous-marin britannique serait lui aussi dépêché sur zone pour participer à une
éventuelle opération.
Frégate Aquitaine |
L’hésitation américaine s’explique par la volonté des
Occidentaux de légitimer politiquement leur action puisque la situation est
bloquée au Conseil de sécurité. Emmanuel Macron semble jouer un rôle
modérateur : «En aucun cas les décisions que nous prendrions
n’auraient vocation à toucher des alliés du régime ou s’attaquer à qui que ce
soit mais bien à s’attaquer aux capacités chimiques détenues par le régime». On
explique cependant les délais de réactivité américaine par les contraintes de
planification technique sachant aussi que sur le plan politique, l’Onu freine toute
avancée en dépêchant en Syrie une équipe de l’Organisation internationale sur
les armes chimiques (OIAC) qui n’est cependant pas chargée de désigner l’auteur
de l’attaque chimique.
Si Trump cherche une légitimité juridique à ses frappes
pour ne pas qu’elles soient illégales au regard du droit international, alors
il est fort probable qu’il sera contraint de surseoir à ses projets. Certes
Nikki Haley, ambassadrice à l’ONU, a brandi la menace : «Nous en
sommes arrivés au stade où justice doit être faite aux yeux du monde. L’histoire retiendra que c’est à ce moment que
le Conseil de sécurité a fait son devoir ou a démontré son incapacité totale à
protéger le peuple syrien. Quoi qu’il en soit, les États-Unis répondront».
Les Israéliens
n’ont jamais tenu compte des contingences juridiques car ils s’estiment en état
de légitime défense. Mais les Américains hésitent car, sans mandat du Conseil
de sécurité de l’ONU, ils seraient accusés de violer la Charte des Nations Unies
même si Bachar El-Assad s’assoit sur ce formalisme. Trop de juridisme tue. Il est vrai que l’intervention américaine en
Irak en 2003, lancée de manière unilatérale sans l’aval de l’ONU, est encore
dans les mémoires. Mais la situation de catastrophe humanitaire justifie aujourd'hui une
intervention militaire et la légitime du fait de l’utilisation permanente d’armes
chimiques. Dans ce domaine Washington devrait pouvoir compter
sur le soutien de ses alliés français et britannique.
La question se pose de savoir
pourquoi Assad utilise les armes chimiques. En fait, elles sont plus
destructrices et moins coûteuses et leur effet politique est immédiat. Ainsi,
les groupes armés ont immédiatement accepté de négocier et les combattants
fuient en masse les zones de combat pour se diriger vers le nord, dans les
zones kurdes. Le gaz a un effet de persuasion convaincant car il sert d’exemple
avec ses souffrances longues, et une mort lente par asphyxie. Par ailleurs
Assad, qui mise sur l’avenir, veut limiter les destructions matérielles causées
par les bombes ou les missiles tandis que le chlore ne coûte rien. On en trouve
partout puisqu’il sert au traitement de l’eau. C’est l’arme efficace du pauvre
avec effet politique immédiat. En effet le 8 avril, le groupe Jaïch al-islam
dont les miliciens ont été soumis au gaz, a rapidement demandé à négocier directement
avec Damas et non pas avec Moscou comme c’était le cas jusque-là.
En fait Assad a compris que les «lignes
rouges» n’étaient que théoriques et qu’avec leurs frappes, les Occidentaux
craignent d’être à l’origine d’un embrasement généralisé qu’ils veulent éviter. Rhétorique et pragmatisme caractérisent l'action américaine.
2 commentaires:
Excellent article documenté. Loin des imprécations et de l’approximation ainsi que des théories de café de commerce. Surtout continuer comme cela, ce type de journalisme est éclairant.
Les puissances respectueuses du droit international que sont les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, n'ayant pas reçu d'aval de l'ONU, s'apprêtent à violer le droit international, au nom d'un "droit moral", pour punir Bachar el Assad, sans preuves, d'avoir violé le droit international.
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