LA RÉALITÉ DES FORCES DE SÉCURITÉ PALESTINIENNES
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Forces palestiniennes |
A chaque
fois que des troubles interviennent dans les territoires, la question des
forces de sécurité palestiniennes se pose. Dès le départ, la population palestinienne avait fait une mauvaise interprétation de leur rôle, car elle pensait qu’elles
devaient contribuer à «la résistance à l’occupation». Mais les Palestiniens avaient oublié que les forces étaient dépendantes des investissements
massifs des bailleurs de fonds et qu’elles devaient surtout créer des espaces
sécurisés dont, certes, profitaient aussi les Israéliens.
L’Autorité palestinienne, de son côté, a exploité ces forces pour garantir le statu quo qui l’intéressait plus que toute autre solution. On peut situer trois périodes distinctes dans l’évolution des forces de sécurité : 1993-1999, 2000-2006 et après 2007.
Durant
la première période des Accords d'Oslo (1993-1999), ces forces avaient
pour but de renforcer les nouvelles institutions étatiques mais elles n'ont pas échappé à une bureaucratie gonflée. En fait, elles se sont mises dès le début à
la disposition d’un système de gouvernance personnalisé au service de Yasser
Arafat et de son réseau complexe de corruption et de mécénat. Elles ont servi à neutraliser les opposants aux accords d’Oslo. Les 9.000 recrues
de la «force de police forte» prévue dans l'accord du Caire
de 1994, sont devenues près de 50.000 agents de sécurité en 1999 qui se sont
espionnés les uns les autres et qui ont consolidé l'autoritarisme en bloquant
les mécanismes du système politique palestinien. Au lieu de servir de
matrice et de modèle pour restructurer des forces de sécurité gangrenées par la
corruption et le sectarisme, les forces ont défendu la corruption et le
favoritisme et ont été à la base de la division des Palestiniens.
Au
cours de la deuxième Intifada (2000-2006), Israël avait détruit
l'infrastructure de sécurité de l'Autorité palestinienne parce que ses forces
de sécurité avaient directement participé au soulèvement. Un vide
sécuritaire s’était donc installé qui avait exacerbé la concurrence
intra-palestinienne. Cela avait poussé l’AP, en juin 2002, à présenter son plan
de réforme de 100 jours pour créer «un appareil de sécurité
reconstruit et recentré contre ceux qui sont engagés dans la terreur afin de
démanteler les capacités et les infrastructures terroristes».
Cela
était clairement énoncé; Israël n'était pas la cible. Les forces palestiniennes ont été forcées de combattre
le terrorisme, d’emprisonner les suspects, de collecter toutes les armes
illégales, de fournir à Israël une liste de recrues de la police palestinienne
et enfin de rapporter auprès des États-Unis les progrès réalisés. Cela avait confirmé l'interprétation que la réforme de la sécurité palestinienne «était
un processus au service des intérêts de la sécurité nationale d'Israël et
les États-Unis».
Police palestinienne en action |
Les
donateurs occidentaux ont accompagné cette réforme par la création du Bureau de
coordination de l'Union européenne pour le soutien de la police palestinienne
(EUPOL COPPS) et du Coordinateur de la sécurité des États-Unis (USSC). Constituée par le Conseil de l’UE, le 14 novembre 2005, la Mission de police de l'UE pour
les territoires palestiniens avait pour mission la formation de la police civile
palestinienne ainsi que le renforcement de la justice pénale et de l’État de
droit. À terme, elle avait comme objectif le renforcement de l'ordre public dans
les territoires palestiniens. La phase opérationnelle de la mission avait débuté le
1er janvier 2006 et est toujours en cours.
Dans
la troisième période après 2007, il s’agissait de réinventer les forces de
sécurité palestiniennes par le biais de la formation et de l'achat d'armes. L’objectif
non avoué consistait à neutraliser le Hamas et sa branche armée, qui avaient pris le pouvoir à Gaza, et aussi de réprimer
les criminels en menant des campagnes de sécurité, en particulier à Naplouse
et à Djénine. Par référence au général américain Keith Dayton qui a
dirigé le processus de «professionnalisation et de modernisation» de
l'establishment militaire de l'Autorité, les forces ont été appelées «forces
Dayton» qui ont renforcé la prédominance des intérêts sécuritaires
israéliens au détriment des Palestiniens.
Les
Israéliens se sont constamment opposés à l'USSC parce qu'ils étaient convaincus que
tout Palestinien armé était une menace pour eux. D’ailleurs en mai
2010, le général de division israélien Avi Mizrahi avait publiquement averti
qu'un service de sécurité palestinien formé professionnellement n'était pas
dans l'intérêt d'Israël : «C'est une force entraînée, équipée et
éduquée par les Américains. Cela signifie qu'au début d'une bataille, nous
paierons un prix plus élevé, une force comme celle-là peut fermer une zone
urbaine avec quatre tireurs d'élite ; ce ne sont plus les militants de Djénine
mais une force d'infanterie Ils ont des capacités d'attaque et nous ne nous
attendons pas à ce qu'ils abandonnent si facilement».
Général Avi Mizrahi |
Malgré
les réticences israéliennes, les forces de Dayton ont été accusées d'être une
extension des efforts d'Abbas pour écraser la dissidence politique en
Cisjordanie. Elles ont été accusées d'avoir participé à la torture de
responsables du Hamas, emprisonnés après des rafles en Cisjordanie, et de sous-traiter
la sécurité d’Israël.
La
sécurité palestinienne emploie la moitié des fonctionnaires avec un budget d’un
milliard de dollars couvert à 30% par l’aide internationale. Ce budget représente plus que le budget de
l'éducation, de la santé et de l'agriculture réunis. Le secteur est composé de
83.276 personnes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, y compris 312
généraux de brigade, dont 232 pour l'Autorité palestinienne et 80 pour le
Hamas. C’est véritablement une armée «mexicaine» puisque, par comparaison, toute l’armée américaine ne comporte que 410 généraux de brigade.
Même
dans les moments les plus critiques, la coordination de la sécurité n’a jamais
cessé. En ce qui concerne la collaboration sécuritaire, elle a atteint les
objectifs d’Oslo consistant à institutionnaliser les arrangements de sécurité
allant jusqu’à l'arrestation de policiers palestiniens recherchés par Israël et
bien sûr jusqu’au partage de renseignements entre Tsahal et les forces de
sécurité de l'AP. Mahmoud Abbas n’a jamais mis en application ses menaces de
suspendre la coordination sécuritaire bien que plus de 60% des Palestiniens s’y
opposent parce qu’ils pensent que les forces de sécurité n’ont pas été formées
pour combattre Israël mais pour faire respecter la loi et l’ordre.
De toute façon, rien ne changera dès lors que les services de sécurité
bénéficient d'arrangements institutionnels et d'un réseau de collaboration.
Ils profitent du statu quo qui est le privilège de l'élite politique,
économique et sécuritaire palestinienne. Le président de l’AP est entré dans ce jeu. La coordination de la sécurité est une réalité qui a même été soulignée
par Donald Trump : «J'applaudis la coordination de la sécurité de
l'Autorité palestinienne avec Israël. Ils s'entendent incroyablement
bien. J'ai eu des réunions, et lors de ces réunions, j'ai été très
impressionné et un peu surpris de voir à quel point ils s'entendaient bien. Ils
travaillent ensemble magnifiquement».
Certains
nationalistes palestiniens veulent appliquer des mesures significatives
pour améliorer le sort de la population en mettant un terme à
l'intervention de l'appareil policier dans les questions politiques, en réduisant le budget sécuritaire, en acceptant de dissoudre l’appareil actuel pour le
remplacer par des fonctionnaires professionnels et patriotes capables de lutter
contre le népotisme politique. Ils craignent qu’une éventuelle annexion de la
Cisjordanie ne transforme l’AP en sous-traitante de Tsahal. Une partie des
fonds sécuritaires devrait, selon eux, servir à lutter contre la pauvreté
et le chômage qui sont les nouvelles insécurités qui guettent les
Palestiniens.
Hamas Gaza |
Mais il est improbable que Mahmoud Abbas et ses amis démantèlent
une structure qui leur est dévouée grâce au financement qu’elle reçoit. C’est d’ailleurs un point qui sépare le Hamas
du Fatah. Le Hamas conçoit son bras armé, les Brigades Ezzedine el-Kassem,
comme un outil pour éradiquer Israël alors que le Fatah utilise ses forces
armées à des fins de politique intérieure. L’unification des deux clans risque donc d’être
difficile, au moins sur ce point.
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