ERDOGAN : L’AMI QUI VOUS VEUT DU MAL
Par Jacques BENILLOUCHE
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Retour du Mavi Marmara |
En
ce mois de mai 2010, une flottille de bateaux, la «Flottille de la Liberté», avait été affrétée par l'organisation islamiste turque IHT avec
l’objectif de lever le blocus de Gaza. A l'intérieur du navire amiral, Mavi Marmara, des militants avaient attaqué à la barre de fer les commandos israéliens les contraignant à riposter en faisant 10
victimes turques. Le fil a été rompu à partir de ce moment-là et le dialogue
s’est transformé en invectives tandis que les échanges économiques ont été considérablement
réduits. Certes, la rupture diplomatique n’a pas été formelle puisque les
représentations diplomatiques ont été restreintes au niveau du deuxième
conseiller.
Mais
si sur le plan diplomatique la réconciliation a été de façade, sur le terrain les
hommes d’affaires avaient une réelle volonté de normaliser leurs relations
économiques jamais rompues et ils ont contribué, en silence, à rapprocher les
deux pays.
Représentant turc humilié dans une position inférieure par le ministre Ayalon |
La
Turquie est un pays dont l’économie demeure dynamique, avec un taux de
croissance autour de 4%, loin bien sûr des 10% des années 2009/10. Pour
soutenir son économie moderne, la Turquie a besoin d’hydrocarbures dont son
territoire est dépourvu et qui représentent un enjeu vital du point de vue
politique, économique et géostratégique. Elle reste donc dépendante des pays
susceptibles de les lui fournir. Deux pays l’alimentent en hydrocarbures, la
Russie dont les relations sont tendues, et l’Iran dont les ambitions régionales
créent une rivalité a fortiori lorsqu’Erdogan cherche à prendre le leadership
des pays musulmans.
La
découverte de gisements israéliens en Méditerranée orientale constitue donc une
opportunité pour la Turquie pour diversifier ses fournisseurs. Le processus
réel de réconciliation passe donc par la fourniture énergétique de la part
d’Israël. La Turquie a aussi besoin de haute technologie pour moderniser son
économie. Les perspectives d’échanges économiques entre les deux pays sont
indéniables. Or contre vents et marées, Israël maintient des relations
diplomatiques tandis qu’Erdogan continue de manier l’injure et les invectives. En
fait les dirigeants israéliens veulent constituer une « alliance de
revers » face aux États arabes.
Même
si les relations entre Ankara et Jérusalem sont entachées de crises
diplomatiques, les gouvernements israéliens ont toujours considéré avec un vif
intérêt leurs relations avec les Turcs qui sont dans une situation d’isolement
diplomatique relatif. La politique étrangère turque est instable, souvent
contradictoire, et Israël représente un moyen d’amoindrir cet isolement. Le
développement politique est freiné par le conflit israélo-palestinien qui
pousse Erdogan à refuser tout dialogue qui serait mal perçu dans le monde
arabe. Les Turcs oscillent donc entre avantages économiques et désavantages
géopolitiques.
Depuis
la chute de l’égyptien Hosni Moubarak, leader incontesté du monde arabe et
musulman, Erdogan cherche à le remplacer en l’absence d’un autre leader charismatique.
Mais il agit souvent de manière maladroite, voire déplacée. On se souvient de
l’attaque lancée en 2009 au sommet de Davos contre Shimon Pérès : «Vous
êtes plus âgé que moi. Vous parlez fort. Votre volume sonore est lié au fait
que vous devez vous sentir coupable. Vous tuez des gens. Je me souviens des
enfants qui sont morts sur la plage. Je me souviens que deux de vos anciens
Premiers ministres ont déclaré qu’ils étaient heureux de pénétrer en Palestine
sur des chars». C’était un mauvais moyen de défendre le monde
musulman et ses causes.
A
nouveau, pour capter la faveur des pays arabes, Erdogan a choisi de défendre
ostensiblement la cause palestinienne en s’appropriant la mauvaise humeur du
monde musulman après la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme
capitale d’Israël. Il a aussitôt pris la décision de convoquer, le 13 décembre,
une réunion d’urgence à Istanbul des 57 membres de l’OCI (Organisation de
la coopération islamique) dont il est président. Il ne veut pas se satisfaire
d’une simple condamnation ou de sanctions mais il exige la reconnaissance de la
Palestine : «Quel genre de sanctions pouvez-vous imposer aux
États-Unis ? Nous attendons que les États-Unis rectifient leur erreur.
Nous reconnaissons Jérusalem-Est comme la capitale de la Palestine selon les
frontières de 1967. Ce sera dans le texte demain». Mais une déception
cependant pour lui, les Saoudiens et les Égyptiens ont
refusé d’assister à sa réunion tandis que les Émirats arabes unis n’ont été représentés
que par leur ministre des Affaires étrangères.
Erdogan
est dans sa logique lorsqu’il défend les causes musulmanes puisqu’il s’agit de
ses propres croyances religieuses mais il a en fait d’autres intentions. Il veut
raviver le passé de gloire de l’empire ottoman et restaurer
la position turque de leader du monde islamique. Il a compris qu’il devait
changer le monde arabo-musulman, gangrené depuis des décennies par des despotes
laïcs, des monarques dictatoriaux ou des autocrates théocratiques, et qui
aspire peut-être à un nouveau leader. Il n’a pas ménagé ses efforts pour mobiliser
ses ressources nationales pour aider les musulmans en danger, de la Somalie à
la Birmanie. Cette défense de la cause musulmane a renforcé sa réputation dans
son pays, en particulier auprès des conservateurs musulmans.
Ses opposants estiment que :
«Crier fort et proférer des menaces sans prendre de
mesures réelles ne coûte rien. Les Saoudiens, les Iraniens, les Turcs, tous
crient et profèrent les mêmes menaces depuis cinquante ou soixante ans
désormais, sans aucun résultat. Ce n’est que de l’hypocrisie Il peut crier
contre Israël aussi fort qu’il le souhaite, mais lui et les autres pays arabes ne
peuvent rivaliser sur le plan technologique et militaire. Cela montre que ces
déclarations des dirigeants n’ont aucune substance. Comme nous n’avons pas la
puissance financière et militaire, nous nous contentons d’affirmer notre
autorité morale». Ils remarquent que malgré les
gesticulations du Mavi Marmara, Erdogan n’a pas obtenu la levée du blocus de
Gaza. En fait Erdogan, en surfant sur le
problème palestinien, a démontré au contraire qu’il était incapable d’être
réaliste. Il ne fait qu’exploiter les émotions pour garantir sa popularité chez
lui et à l’étranger.
La
recomposition au Moyen Orient a modifié la place de la Turquie au premier rang
des pays sous la menace de l’URSS. Elle revêtait une importance particulière
pour l'OTAN et les Etats-Unis ce qui justifiait les aides très importantes
qu’elle recevait et l’indulgence à l’égard d’Erdogan. Le rapprochement entre
Israël et la Turquie représentait le maillon le plus important de cette
stratégie. En se rapprochant d'Israël, la Turquie mettait de son côté, en sus
des Etats-Unis et du soutien du Congrès américain, le puissant lobby
pro-israélien américain. Elle n’a rien gagné en soutenant ouvertement l'OLP et
n'a bénéficié d'aucun soutien du monde arabe, encore moins face à la politique
d'assimilation forcée subies par la minorité turque en Bulgarie.
Depuis le refroidissement des
relations avec Israël, la coopération entre les armées a pris un coup touchant en
particulier les visites réciproques entre académies militaires combattantes et entre quartiers généraux, les échanges de
personnels d'encadrement, les exercices militaires sur théâtre d'opérations, les
visites mutuelles d'avions de combat et de flottilles militaires dans leurs
ports et aéroports militaires.
Président en exercice de l’OCI, Erdogan
espère unifier le monde musulman derrière sa ligne de fermeté face la décision
américaine. Mais la tâche s’annonce difficile parce que le monde musulman est
profondément divisé et que plusieurs pays de la région, comme l’Arabie
saoudite, tentent de cultiver de bons rapports avec l’administration Trump sur
fond d’hostilité commune envers l’Iran.
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