ISRAËL ET LES ETATS-UNIS DIVERGENT SUR LA SYRIE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Assad et ses généraux |
En
revanche Israël, qui n’a jamais pris position officiellement dans le conflit
syrien, préfère le régime séculier d’Assad à un pouvoir islamiste chiite.
L’Arabie saoudite a aussi précisé qu'elle opterait pour une Syrie russe
plutôt qu'une Syrie iranienne. Mais l’effondrement de Daesh a radicalement
changé les contours du Moyen-Orient ; l’armée syrienne, les Turcs et les
Kurdes se disputent à présent les nombreuses terres occupées par l’organisation
terroriste sunnite. Al Assad, qui avait été contraint de se réfugier dans son réduit
alaouite créé par la France après la Première Guerre mondiale, contrôle à
présent deux tiers de la Syrie. Mais c’est sans compter sur la Russie, alliée
aux forces iraniennes, qui a des visées stratégiques nouvelles.
Cependant, l’alliance russo-iranienne est superficielle et contre-nature. En effet, rien
n’unit la Russie et l’Iran, l’une dictature laïque et l’autre fondée sur
l’islamisme radical. Il est donc difficile de prévoir les bases sur lesquelles ces
deux pays peuvent envisager une coopération quelconque. Une certitude cependant,
la Russie tient à l’existence du régime d'Assad, sans aucun complexe quant à son
caractère dictatorial, pourvu qu’il maintienne sa loyauté absolue envers
Moscou.
Tout
n’a pas été idyllique entre l’Iran et la Russie puisque, à l’avènement de la
révolution de 1979, l’Iran avait rompu ses liens avec l’Urss qualifiée alors de
«Satan». D’ailleurs de 1980 à 1988, la Russie avait aidé
l’irakien Saddam Hussein dans sa guerre contre les Mollahs. Les relations
russo-iraniennes ne se sont bonifiées qu’à la dissolution de l’Urss lorsque la
Russie avait construit, en 1992, le réacteur nucléaire iranien à Bushehr.
Poutine a poursuivi dans la même voie en signant des accords dans les domaines
militaire et énergétique, par intérêt, car les deux pays ont été soumis aux
sanctions de l’Occident pour ensuite se retrouver dans la même coalition
militaire.
Bushehr |
Les
relations entre la Russie et l’Iran n’ont pas été de tout repos en raison des
conflits d’intérêts. En 2015, alors que la Russie se débattait pour organiser un
cessez-le-feu, Téhéran poussait ses milices chiites à le violer car les
Iraniens voulaient uniquement accaparer le pouvoir militaire dans la région. De
son côté, la Russie recherche à présent une autre voie ; elle veut mettre
fin à la guerre si elle est assurée de garder pour longtemps ses bases navales
et aériennes au nord-ouest de la Syrie. Mais cela n’efface pas leurs divergences sur
l’avenir de la Syrie. La Russie veut maintenir le régime séculier d'Assad sans
se soucier de son aspect dictatorial, sous réserve qu’il reste loyal vis-à-vis
d’elle et qu’il continue à se fournir en armement russe.
Mais
l’Iran a d’autres prétentions car la Syrie fait partie de son projet chiite
prévoyant que le sud de la Syrie, incluant une partie de Damas, reviendrait
sous le contrôle du Hezbollah et des milices afghanes et irakiennes, avec le
concours des Gardiens de la révolution. Par ailleurs, l’Iran n’a pas abandonné ses visées sur
Israël et sur le Golan et a donc besoin d’une route vers le Liban à travers l'Irak
et la Syrie. Sa vision politique repose donc sur une Syrie sous mainmise des
religieux chiites après neutralisation des cheikhs alaouites. D’ailleurs, pour
montrer leur implication dans la région, les Chiites n’ont pas hésité à
organiser à Damas, capitale du monde sunnite, des cérémonies chiites en public.
La
Russie se rend compte ainsi tardivement que son intervention en faveur d’Assad
a généré un règlement de compte entre les Chiites et l'organisation sunnite.
Malgré
son alliance, la Russie se méfie du Hezbollah, marionnette entre les mains de
l’Iran. Elle cherche donc à renforcer les forces syriennes et préfère convaincre les milices fidèles au régime Assad de rejoindre l’armée régulière ;
cela permettra de sécuriser le contrôle russe des zones conquises par les
rebelles modérés et par Daesh afin d’empêcher l'Iran de s’en saisir. À cet
effet, la Russie a créé, armé et entraîné deux nouvelles brigades syriennes
pour contrecarrer l’influence du Hezbollah qui, sournoisement, a pris le
contrôle de quartiers entiers d'Alep et de Damas puis a établi des bases
permanentes islamiques le long de la frontière avec le Liban sous le contrôle
des Gardiens de la révolution.
Cependant, tant que l’éradication de Daesh n’est pas terminée et que les Kurdes remportent des succès, la coopération des Russes et des Iraniens est toujours nécessaire. Il est vrai que les Russes évoluent puisqu’ils envisagent, par intérêt pétrolier, un compromis avec les Kurdes qualifiés par l’Iran «d’agents de l'ennemi sioniste et une menace pour l'accomplissement du Projet chiite».
Cependant, tant que l’éradication de Daesh n’est pas terminée et que les Kurdes remportent des succès, la coopération des Russes et des Iraniens est toujours nécessaire. Il est vrai que les Russes évoluent puisqu’ils envisagent, par intérêt pétrolier, un compromis avec les Kurdes qualifiés par l’Iran «d’agents de l'ennemi sioniste et une menace pour l'accomplissement du Projet chiite».
En
fait la Russie, mesurant le danger d’un Iran entreprenant, n’hésite plus à porter
indirectement atteinte aux forces loyales à l'Iran. Dans cet esprit, elle a mis
en place une coordination avec Israël et renforcé ses relations avec l'Arabie
Saoudite, deux pays ennemis de l’Iran. La visite à Moscou du roi Salman a été surprenante
quand on sait que l'Arabie Saoudite soutient l'opposition syrienne. Cela
explique aussi pourquoi la Russie ferme les yeux sur les bombardements
israéliens contre des bases du Hezbollah en Syrie. Les Russes sont pragmatiques
et s’intéressent à l’après-guerre. Ils sont conscients que seuls les pays
riches pourraient participer à la reconstruction de la Syrie, à savoir l'Arabie
Saoudite et les États du Golfe et d'une certaine mesure Israël.
Lors
de la conférence d'Astana, la Russie, l'Iran et la Turquie avaient discuté de
l'avenir de la Syrie. Les Russes avaient déjà proposé de superviser
l'évacuation du Hezbollah de Syrie. Dans un premier temps, le Hezbollah serait
concentré dans une zone définie puis ensuite, ses miliciens retourneraient au
Liban avec toutes les risques de déstabilisation pour ce pays. Aujourd’hui,
les conséquences sont claires ; le régime syrien n'a pas été renversé et
s’est au contraire consolidé tandis que l'option de le remplacer est caduque, a fortiori aux yeux
d’Israël. Même si les Occidentaux sont certains que la Syrie ne sera jamais une
démocratie, ils récusent toute idée de la transformer en un émirat islamique.
D’ailleurs, l'Arabie
Saoudite et Israël ont déjà confirmé aux Russes qu'ils préféreraient voir une
Syrie russe plutôt qu'une Syrie iranienne. Mais sur ce point, les Etats-Unis et
Israël divergent. Les Américains ne semblent pas avoir tiré les
conséquences de la chute des dictatures irakienne, libyenne, tunisienne et même
égyptienne qui ont été remplacées par des régimes islamistes.
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