L’HISTOIRE DU NUCLÉAIRE ISRAÉLIEN
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
Au lendemain de la
publication de la biographie de Shimon Peres «No room for small
dreams» (pas de place pour les petits rêves), il nous a paru
judicieux de publier à nouveau l'histoire de l'idylle entre la France et Israël
qui a duré de 1956 à 1967.
Israël et la France ont constitué un véritable couple au vrai sens du
terme, avec ses dérives et ses turbulences. Ils sont passés par toutes les
phases : le flirt, l’idylle, l’amour fou, la passion, la querelle, la haine,
l’indifférence, la séparation, la réconciliation et le divorce. L’histoire de ce couple a progressivement pris l’allure d’un véritable
thriller.
Le
judaïsme au début du 20° siècle était extrêmement discret en France et les
90.000 Juifs qui y vivaient étaient peu pratiquants et très assimilés. La
France était alors une terre d’asile pour les Juifs de l’Est mais le paradoxe a
voulu qu’au moment où ils croyaient trouver en France une nouvelle terre
promise, ils ont dû faire face à une vague d’antisémitisme sans précédent qui
atteindra son paroxysme avec l’affaire Dreyfus.
Israël
doit sa création à cette affaire car elle joua le rôle de déclic salutaire. En
effet, l’éveil juif prit naissance avec l’affaire Dreyfus qui donnera
l’occasion au journaliste autrichien Theodor Herzl, sensibilisé et révolté par
l’accusation, d’exposer son rêve. L’Histoire ne dit pas si ce rêve aurait été
réalisé sans la révélation de cette affaire qui polluera systématiquement la
diplomatie française.
Le rêve sioniste, imaginé avec
beaucoup d’anticipation par Theodor Herzl, a été concrétisé par David Ben
Gourion le 14 mai 1948. Mais la France a apporté sa contribution minimum à la
création de cet État. En ce temps, l’allié principal était l’URSS qui apporta
son soutien psychologique et moral, ses dogmes et son idéologie et qui a confié
aux pays de l’Est le soin de fournir le soutien matériel en livrant des armes
et des munitions. L’URSS était alors impressionnée par la vivacité du
socialisme israélien dont l’application sur le terrain recueillait un succès
concret.
C’est
ce qui avait poussé Andreï Gromyko à déclamer son discours, en 1948, à la
tribune de l’ONU avec un magnifique vibrato. Sa déclaration n’a pris aucune
ride malgré les années : « Pour ce qui concerne l’État juif, son existence
est un fait, que cela plaise ou non. La délégation soviétique ne peut
s’empêcher d’exprimer son étonnement devant la mise en avant par les États
arabes de la question palestinienne. Nous sommes particulièrement surpris de
voir que ces États, ou tout au moins certains d’entre eux, ont décidé de
prendre des mesures d’intervention armée dans le but d’anéantir le mouvement de
libération juif. Nous ne pouvons pas considérer que les intérêts vitaux du
Proche-Orient se confondent avec les explications de certains politiciens arabes
et de gouvernements arabes auxquelles nous assistons aujourd’hui ».
La
France a eu du mal à digérer l’indépendance d’Israël au point de mettre
plusieurs mois à reconnaître le nouvel État. Les États-Unis et la Russie l’ont
fait, le 15 mai 1948, dès le lendemain de la résolution de l’ONU. Le président
Truman avait signé lui-même cette reconnaissance en rectifiant de sa propre
main «nouvel État juif» par «l’État d’Israël», dans une
courte lettre où les États-Unis reconnaissent le gouvernement provisoire comme
l’autorité de jure (de droit) et non de facto (de fait).
Les
relations diplomatiques avec la France ne seront établies que le 24 janvier
1949, sept mois plus tard, par une lettre conditionnelle, signée par un
fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères, dans laquelle une certaine
gêne est perceptible : «J’ai l’honneur de vous faire connaître que le
gouvernement de la République française a décidé de reconnaître le Gouvernement
provisoire d’Israël comme gouvernement de fait. Cette décision ne préjuge pas
de la délimitation définitive par les Nations-Unis du territoire sur lequel il
exercera son autorité».
Le
Quai d’Orsay, dont certains membres étaient prêts à voter contre, refusèrent la
création d’un État juif. Dans une position médiane, il proposa que la France
s’abstienne lors du vote historique du 29 novembre 1947 à l'ONU. Le ministre
des Affaires étrangères, Georges Bidault, était assez sensible aux arguments de
son administration qui tenait à préserver les relations franco-syriennes et
franco-libanaises. Mais les pressions conjointes du nouveau président du
Conseil, Robert Schuman, et de l’ancien chef du gouvernement provisoire, le
très influent Léon Blum, feront basculer le vote de la France, en dernière
minute, au grand dam de certains diplomates du Quai d’Orsay, dont certains
n’auraient pas hésité à qualifier leur propre pays de «république bananière».
L’hésitation de la France pouvait se justifier alors. Elle jugeait d’un
mauvais œil les liens privilégiés d’Israël avec le bloc communiste qui
fournissait alors la majorité des armes utilisées contre le mandataire
britannique, l’allié qui avait permis la libération de la France. Par ailleurs,
l’État juif était pratiquement considéré, par son idéologie socialiste et par
l'application réussie de certains dogmes communistes, comme un satellite de
l’URSS, capable de déstabiliser la région et les intérêts occidentaux.
Le
danger d’être catalogué comme un pays du rideau de fer n’avait pas échappé au
visionnaire David Ben Gourion. Il saisit la première occasion pour opérer un
changement stratégique brutal en décidant d’appuyer les États-Unis contre la
Corée (1950-1953). Ce soutien sonna le glas des relations avec les pays de
l’Est et mit Israël dans une situation d’isolement dramatique au moment où les
besoins en armement devenaient vitaux. L’époque était déjà troublée, durant
l'année 1956, où la tension était vive avec l'Égypte parce qu'elle suscitait et
encourageait les raids meurtriers contre le
territoire israélien face à Tsahal qui manquait d’armes et de matériel militaire
lourd.
Le
problème algérien et Nasser vinrent à point nommé pour orienter une frange
politique française vers le soutien au sionisme. Certes les Français qui
montrèrent leur sympathie à Israël étaient en majorité socialistes ou juifs. Ces relations
privilégiées reposaient sur des liens personnels profonds entre socialistes
français et israéliens et donnèrent un élan particulier à l’alliance entre les
deux pays.
Vincent Auriol, premier président de la IV° République, sera l’instigateur
en 1954 de la signature d’un important contrat d’armement entre le jeune Shimon
Pérès et le ministre Catroux, préfigurant ainsi une alliance tacite contre
Nasser. Le président justifia ainsi sa décision : «En ce qui concerne la
question palestinienne, la donnée fondamentale pour nous est que nous ne
pouvions pas admettre la défaite d’Israël. Une victoire arabe se serait
traduite par un accroissement de l’agitation en Afrique du Nord. Un État juif
au centre du monde arabe était pour nous une garantie de sécurité et
d’équilibre».
Le colonel Nasser avait fait son coup
d’État le 23 juillet 1952 avec l’idée de devenir le champion du panarabisme
pour s’identifier à tous les problèmes arabes et au problème algérien en
particulier. Depuis 1954, les Français étaient embourbés dans la guerre
d’Algérie. Guy Mollet, président du Conseil, et Maurice Bourgès-Maunoury,
ministre de la Défense, étaient persuadés que le cœur du FLN était au Caire et
qu’en abattant Nasser, ils pouvaient mater la révolte algérienne. Les services
secrets israéliens et français, en contact étroit, échangeaient déjà des
informations sur les agissements des «terroristes».
Nasser, qui venait de renverser le
roi Farouk d’Égypte, chercha un moyen d’asseoir sa gloire précaire par un acte
de prestige symbolique en construisant le barrage d’Assouan. Mais le coût
exorbitant des travaux ne trouva pas de financement occidental, surtout en
raison de la faible solvabilité du pays. Ce refus l’incita, par provocation et
par vengeance, à nationaliser en juillet 1956 le canal de Suez et tous les
biens franco-britanniques. Il compléta ces mesures de rétorsion en offrant son
soutien aux rebelles algériens et en ouvrant ses mers et ses ports aux navires
soviétiques. Cela ne pouvait qu’exacerber le conflit avec les autorités
militaires françaises et anglaises.
Ce
camouflet calculé du leader égyptien conduisit les Anglais et les Français à
songer à des mesures militaires inéluctables. La France aurait bien voulu agir
seule mais elle n'alignait que quelques escadrilles de Mystère, à court rayon
d’action, inutilisables à longue distance. L’Angleterre n’était pas mieux lotie
car elle ne disposait pas de base proche de l’Égypte. Alors les deux grands
pays cherchèrent à camoufler leur impuissance militaire derrière un écran de
fumée diplomatique et des gesticulations.
Dès
le lendemain de la nationalisation, Français et Anglais envisagèrent une
riposte militaire et leurs États-Majors avaient achevé les préparatifs dès le
15 août 1956. À ce moment-là, il n’était pas question de mêler Israël à
l’opération car la France et la Grande-Bretagne répugnaient à se compromettre
avec le jeune État hébreu, dont la solidarité avec l'Occident était sujette à
caution en raison de ses liens avec le bloc de l'Est. Mais les Anglais,
embarqués par les États-Unis dans les méandres de la diplomatie, décidèrent de
faire marche arrière et renoncèrent à toute action militaire contre l’Égypte.
Les
Français se tournèrent alors vers Israël car des informations leur étaient parvenues
que le jeune et bouillant chef d’État-Major de 41 ans, Moshé Dayan, rêvait d’en
découdre avec les Fedayin qui traversaient la frontière Cependant le chef du
gouvernement, David ben Gourion, refusa d'autoriser Tsahal à lancer des
opérations militaires contre les terroristes au-delà de la frontière. Les
Français trouvèrent ainsi une oreille très attentive au sein de l’armée
israélienne et, pour l’amadouer, ils décidèrent de lui fournir l’armement qui
lui manquait.
Ainsi, bien avant la crise de Suez, avec la seule promesse d’aider les
Occidentaux, l’armée israélienne avait obtenu, du 11 avril à la mi-mai 1956, la
livraison de 24 chasseurs Mystère. Le 23 juin, de nouveaux contrats portaient
sur 200 chars, 72 Mystère, 10.000 roquettes antichars et 40.000 obus. Mais ces
contrats avaient été signés à l’insu du ministère français des affaires
étrangères. De cette période idyllique date le début de l’animosité avec le
Quai d’Orsay qui gardera rancune.
Le
ministre de la Défense Bourgès-Maunoury avait ainsi rapporté qu’en «raison
de nos litiges et nos chicanes avec le Quai d’Orsay, il fut convenu que, dans
la politique relative à Israël, l’Administration du Quai n’y serait en aucun
cas mêlée». Cette mise à l’écart avait été mal ressentie par le Quai
d'Orsay qui n’était pas très blanc. En effet, en 1945, il n’avait pas hésité à
aider le mufti de Jérusalem, allié des nazis et recherché par les Alliés, à se
réfugier en Palestine. Les diplomates français n’eurent donc de cesse que
d’obtenir leur revanche.
Alors que la France et la Grande-Bretagne s’organisaient pour contrer
Nasser, Israël préparait de son côté différents plans d’offensive pour mettre
fin aux attaques des Fedayin venus d'Égypte et de Gaza. Cependant Ben Gourion,
contrairement à une réputation surfaite de va-t-en-guerre, n’était pas partisan
de la guerre mais, s’il devait la subir, il était prêt à s'y engager à fond comme il l’a
démontré durant la guerre d’indépendance. Malgré les insistances de son chef
d’État-Major, il hésita à donner le feu vert à Moshé Dayan pour attaquer l'Égypte,
sauf s'il trouvait un arrangement avec les Français.
Le
28 septembre 1956 un bombardier français conduisit en France une délégation
secrète composée de Moshé Dayan, Shimon Pérès, Golda Meir et Moshe Carmel, le
ministre des transports, après une halte technique dans la base de Bizerte. La
gravité de la situation ne donna lieu, dans les souvenirs du chef de Tsahal,
qu’à un compte-rendu original de cette escale. Il s’était surtout souvenu d’avoir
reçu, «une bouteille de rouge, des fromages, un pain et un mètre de
saucisse» laissant ainsi accréditer que ses souvenirs culinaires restaient
les plus marquants. Il est vrai qu'il avait la réputation d'être un bon vivant.
Cette
visite brève eut une conséquence heureuse et fructueuse pour Israël puisqu’elle
permit à Moshé Dayan et Shimon Pérès d’obtenir toutes les livraisons d’armes,
de chars AMX et d’avions Mystère IV, tardant à se débloquer malgré la signature
des contrats. Le 1er octobre 1956, ils furent reçus dans l’appartement de Louis
Mangin, conseiller de Bourgès-Maunoury, parce que le chef d’État-major français
craignait que le secret soit éventé : «je ne peux pas recevoir dans mon
bureau le général Dayan, grand mutilé de guerre ; il porte un bandeau noir sur
l’œil gauche et il n’est pas facile à camoufler». Tandis que Pérès, Dayan
et même Begin de passage «par hasard» à Paris, s’affichaient
inconsciemment dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés, le Général Beaufre,
aidé de l’amiral Barjot, planifiait la campagne de Suez de 1956 qui prit le nom
de code «Kadesh». Le général Challe, qui se distingua plus tard en
Algérie, raccompagna Dayan en Israël ce qui leur permit de tisser, durant le
voyage de retour, des liens étroits de professionnels.
Mais aucune décision ne fut arrêtée lors de cette rencontre car les
dirigeants à Paris étaient décontenancés par l’équipe de «jeunots »
israéliens conduite par Moshé Dayan, 41 ans, et le gamin Shimon Pérès, 33 ans alors
que l’État-Major français comptait des vieux militaires illustres, bardés de
médailles, qui s’étaient distingués durant la Seconde Guerre Mondiale. Les
Français exigèrent donc d’avoir la caution personnelle du premier ministre
israélien.
Le 21
octobre 1956, en fin d’après-midi, Christian Pineau, ministre français des
affaires étrangères, reçut un coup de téléphone du cabinet du chef du
gouvernement lui enjoignant de se rendre seul, avec sa voiture personnelle
banalisée et sans chauffeur, à Sèvres, près de l’aérodrome militaire de Villacoublay,
proche de Paris, dans le pavillon d'un couple de Juifs français, les Elgozy. À
son arrivée, il est introduit dans la salle à manger bourgeoise où un repas
simple sans protocole lui était servi par la maîtresse de maison. Il trouva
attablés autour d’un potage, non seulement son collègue Maurice
Bourgès-Maunoury, ministre de la Défense, mais aussi quatre israéliens de
premier plan, David Ben Gourion, Moshe Dayan, «le borgne qui fait peur aux
arabes», comme on disait à l’époque, Golda Meir et Shimon Pérès. Le
premier ministre israélien venait d’atterrir secrètement à quelques kilomètres
du pavillon tandis que Guy Mollet, le chef du gouvernement les rejoignit un peu
plus tard.
Une
atmosphère pesante régnait parmi les convives. Le potage avalé, Ben Gourion
dévoila, devant ses interlocuteurs français médusés, sa vision de l’avenir. Ils
attendaient sa caution pour l’expédition militaire de Suez mais ils assistèrent
à un véritable cours de sciences politiques où il excellait d'ailleurs. Il leur
dessina, pendant plus de vingt minutes précieuses, le Grand Israël, Eretz
Israël, taillé dans un Proche-Orient remodelé à sa convenance. Le résumé de ses
propos a été divulgué bien plus tard par Moshe Dayan lui-même, et aujourd’hui
par Shimon Peres. Il révèle un aspect essentiel du personnage qui contredit la
mythologie bâtie autour de lui.
Au
lieu de prendre une posture de va-t-en-guerre, qui lui collait abusivement à la
peau, Ben Gourion se montra à Paris circonspect quant à une action militaire
immédiate. Il s’agissait soit d’une stratégie justifiée par la position de
force où il se trouvait ou bien alors, d’une réelle retenue devant les risques
qu’il faisait courir à son peuple. Il estimait à juste titre que le conflit
avec Nasser concernait d'abord la France et la Grande-Bretagne qui avaient été
spoliées par des nationalisations. Israël n'était pas concerné par le Canal de
Suez. Par ailleurs, il avait déjà obtenu toutes les armes qu’il avait
réclamées. Il avait donc annoncé à ses interlocuteurs médusés qu’il n’était pas
prêt à faire la guerre à l’Égypte. Ce n'était pas un caprice de sa part mais,
en tant que visionnaire pragmatique, il avait conscience des limites de son
armée et des intérêts immédiats d’Israël. Certains pensent qu'il s'agissait d'une tactique conseillée par Shimon Peres.
Mais
il avait finalement cédé et les observateurs politiques se sont perdus en
conjectures. Rien n’avait transpiré à l’époque du débat secret qui s'était
engagé entre la France et Israël. Le journaliste de la presse française qui
faisait autorité à l’époque et qui était très introduit dans les milieux
politiques, Hubert Beuve-Méry, avait laissé filtrer quelques interrogations
explicites : «Quels sont les mobiles du revirement israélien ? Quand on
connaît la détermination du cabinet israélien, on peut penser que de sérieuses
assurances ont été données au chef du gouvernement de Jérusalem».
Il
ressort des mémoires des différents acteurs que Christian Pineau, dès la fin de
l’intervention de Ben Gourion, avait été volontairement écarté de la réunion et
envoyé à Londres pour informer les Anglais que les Israéliens hésitaient ou
refusaient de donner leur accord à une intervention militaire. En fait, le
président du Conseil français voulait éloigner le représentant du Quai d’Orsay
pour entreprendre une autre négociation, encore plus secrète que la première.
Il s’agissait d’un secret dans le secret, si secret que le ministre des
affaires étrangères, pourtant réputé ami d’Israël, en avait été exclu. À vrai
dire, le Quai d’Orsay, de réputation pro-arabe, était visé.
Dans le dos du chef de la diplomatie française, occupé à Londres à
persuader Anthony Eden d’agir sans l’aide d’Israël, les dirigeants israéliens
David Ben Gourion, Moshe Dayan, Golda Meir et Shimon Pérès discutaient avec Guy
Mollet, président du Conseil, Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la Défense
et Maurice Challe, chef d'État-major des armées, de coopération nucléaire mais
aussi de stratégie militaire. Ben Gourion connaissait la faille de la
couverture aérienne de son pays et il fit part à ses interlocuteurs de ses
inquiétudes sur la protection des villes israéliennes.
Lors de la réunion de Sèvres, Ben Gourion s’était laissé persuader, le
21 octobre, de lancer les paras de Dayan dans le Sinaï en échange d’un
engagement de la France de donner la bombe nucléaire à Israël. Mais sachant que
les gouvernements français de la IV° république étaient instables, Ben Gourion
avait exigé des français un document car il tenait à garder une trace écrite.
C’est donc sur des simples feuilles fournies par l’hôtesse que le «protocole
de Sèvres» a été ratifié. On croyait ces feuillets perdus à jamais mais il
est confirmé que les Israéliens avaient gardé un exemplaire ainsi que Christian
Pineau. Il n’est pas établi que ce protocole ait eu une valeur juridique
puisqu’il n’avait pas reçu les sceaux du ministère mais il représentait un
document symbolique qui a d’ailleurs été exploité plusieurs années plus tard,
lors d'une situation dramatique, face à Couve de Murville au Quai d'Orsay.
L'accord secret, en sept points tenant sur
trois feuillets manuscrits, précisait que les Israéliens prendraient
l'initiative du déclenchement de la guerre dans le Sinaï puis que les Français
et les Britanniques interviendraient quelques jours après. En échange, les
Israéliens avaient obtenu des Français une couverture navale et aérienne de
leur territoire. Plusieurs avions français, peints aux couleurs israéliennes,
mais pilotés par des aviateurs français, ont été envoyés en Israël avec pour
mission de n’intervenir que pour défendre le territoire, sans engager de
missions d’attaques. Le gouvernement français acceptait par ailleurs de livrer
des avions à réaction à Tsahal (Mystère II, Mystère IV, Vautour) et des chars
légers AMX-13 et de développer une coopération nucléaire.
Ben
Gourion avait accepté de donner sa caution personnelle à l’expédition éclair
qui devait mener les troupes israéliennes, le 29 octobre, sous la conduite du
général Dayan et d’un jeune colonel de 28 ans, Ariel Sharon, jusqu’au Canal de
Suez avec la protection aérienne franco-anglaise. L’opération n’ira pas à son
terme car le président Eisenhower, à peine élu et soumis à la menace nucléaire soviétique, préféra faire plier les Alliés en les obligeant à évacuer l’Égypte. Cet
incident confortera les Français dans la décision de fabriquer leur propre
bombe atomique en y associant leur nouvel allié Israël.
L’expédition de Suez n’a jamais eu l’aval du ministère français des
affaires étrangères qui avait été mis en dehors des secrets des préparatifs. «Surtout pas un mot au Quai d’Orsay» avait imposé le ministre de la
défense. En revanche les industries militaires des deux pays avaient trouvé une
source de coopération par la volonté d’hommes français et israéliens qui
partageaient la même affinité politique socialiste, a fortiori lorsque le
souvenir de la Résistance restait encore vivace dans les esprits.
L'idylle franco-israélienne dura plus de dix ans dans l'intérêt des deux
pays, alors dirigés par des socialistes, à la fois pour le développement des
échanges commerciaux et pour la collaboration des industries de haute
technologie. Cette proximité avec la France donna à Israël une grande assurance
face aux injonctions russo-américaines de l'époque. L'entente se poursuivit
pour atteindre son apogée à l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle qui
décida cependant d'y mettre fin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire