AFRIQUE NOIRE ET ISRAËL : DYNAMIQUE INVERSÉE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Faure Gnassingbé président du Togo |
Le sommet Israël-Afrique, prévu du 23 au 27 octobre 2017 à Lomé au Togo, a été reporté à une date ultérieure, sine die. D’après les premières informations, le gouvernement togolais a fait parvenir sa décision du report du sommet aux autorités israéliennes qui ont pris acte. Le sommet avait a pour thème «sécurité et développement» et visait non seulement le renforcement des liens de coopération entre Israël et l’Afrique mais aussi la renaissance de leurs relations historiques. Les raisons de ce report divergent selon l’une ou l’autre des parties. Pour les uns, il a été annulé à la suite de menaces de boycott par un certain nombre de pays et des pressions de la part des Palestiniens et des pays arabes. Les Israéliens plus indulgents expliquent que le président togolais a souhaité le report du sommet afin de «permettre d’optimiser les préparations et d’assurer la réussite de cet événement».
Il
est vrai que la situation au Togo est trouble. L’opposition togolaise a
organisé durant la semaine dernière deux jours de manifestations dans le pays
pour exiger le retour à la Constitution de 1992 et le vote de la diaspora. Le
projet de sommet perdait donc de sa dimension politique immédiate.
L’histoire diplomatique avec l’Afrique a été inconstante depuis la guerre de 1973 puisque tous les pays africains, à l’exception du Malawi, du Lesotho et du Swaziland avaient rompu leurs relations diplomatiques. Il a fallu attendre les années 1980 pour une reprise progressive des relations : le Zaïre en mai 1982, le Liberia en août 1983, la Côte-d’Ivoire en février 1980, le Cameroun en août 1980, et le Togo en juin 1987.
L’histoire diplomatique avec l’Afrique a été inconstante depuis la guerre de 1973 puisque tous les pays africains, à l’exception du Malawi, du Lesotho et du Swaziland avaient rompu leurs relations diplomatiques. Il a fallu attendre les années 1980 pour une reprise progressive des relations : le Zaïre en mai 1982, le Liberia en août 1983, la Côte-d’Ivoire en février 1980, le Cameroun en août 1980, et le Togo en juin 1987.
L’exacerbation
des problèmes économiques d’une part, et la croissance des préoccupations
sécuritaires d’autre part, constituent les deux évolutions majeures du
continent ayant créé les conditions d’une certaine sensibilité des pays
africains à l’offensive diplomatique israélienne. Dans le domaine des questions
de sécurité interne ou externe, Israël est perçu comme un recours crédible. La
situation économique africaine, marquée par l’impact des chocs pétroliers, la
chute des prix de certaines matières premières, la sécheresse, la crise
alimentaire, mais surtout la croissance de l’endettement et l’accroissement des
interventions, souvent vigoureuses, et du rôle des organismes financiers
internationaux (Fonds monétaire international, Banque mondiale), appelle des
stratégies étatiques de survie et de parade.
FMI Washington |
Et
c’est dans ce cadre qu’Israël jouit d’une perception qui s’est révélée
favorable à son retour politique. Dans un contexte où le thème de l’autosuffisance
alimentaire est devenu central, de nombreux dirigeants politiques africains,
convertis à un nouveau pragmatisme économique au nom de la survie économique,
si ce n’est politique, n’ont pas oublié, semble-t-il, les capacités
d’assistance qu’avait démontrées Israël dans les années 60. La réputation,
quasi mystique, de l’assistance technique israélienne dans le domaine agricole
est ici d’autant plus fonctionnelle que la mémoire collective associe
volontiers Israël aux années 60, années d’espoir et de volontarisme par
excellence.
Mais
cette représentation d’Israël comme détenteur de certaines technologies et d’un
savoir-faire pouvant aider à résoudre des problèmes économiques internes n’est
pas la plus fonctionnelle du nouveau réalisme pro-israélien, dans la mesure où
ces technologies peuvent s’acquérir indépendamment du recours à Israël. En
revanche, le contexte africain de survalorisation des ressources financières en
provenance de l’étranger donne une image autrement plus décisive et plus favorable
à un rapprochement politique avec 1’Etat juif. C’est la perception d’Israël
comme relais, guide ou appui, à l’heure où, par nécessité impérieuse, une
partie de plus en plus importante de l’Afrique se tourne vers Washington comme
bailleur de fonds d’importance et aussi comme capitale d’un pays jouissant
d’une influence certaine dans les organismes financiers internationaux. C’est à
ce titre que l’on peut parler d’une véritable stratégie de la carte
israélienne. Celle-ci repose sur l’image d’un pays considéré comme l’allié par
excellence des Etats-Unis et surtout disposant d’importants leviers d’action
sur le terrain américain.
Si les Africains savent depuis longtemps à quelle porte frapper à Paris ou à Londres, pour une aide plus importante ou une intercession en leur faveur auprès du FMI et de la Banque mondiale, ils se sentent perdus dans la capitale américaine. Israël peut être un relais pour accéder au cercle des investisseurs étrangers qui, pour des raisons évidentes, désertent l’Afrique. À travers ces images, Israël joue son offensive diplomatique en Afrique mais il est limité ce qui contraint le ministère israélien des Affaires étrangères à une action diplomatique sélective et à une concentration des ressources sur un nombre réduit de cibles africaines.
Si les Africains savent depuis longtemps à quelle porte frapper à Paris ou à Londres, pour une aide plus importante ou une intercession en leur faveur auprès du FMI et de la Banque mondiale, ils se sentent perdus dans la capitale américaine. Israël peut être un relais pour accéder au cercle des investisseurs étrangers qui, pour des raisons évidentes, désertent l’Afrique. À travers ces images, Israël joue son offensive diplomatique en Afrique mais il est limité ce qui contraint le ministère israélien des Affaires étrangères à une action diplomatique sélective et à une concentration des ressources sur un nombre réduit de cibles africaines.
Le
péril ou la menace djihadiste a fonctionné en faveur de 1’offensive
diplomatique israélienne. Nombreux en effet ont été les États subsahariens qui
ont montré un vif intérêt pour les renseignements rassemblés par le Mossad sur
les activités islamistes et sur la répartition spatiale des agents terroristes
en Afrique.
Israël
représente également un partenaire de poids sur le plan militaire et
sécuritaire. Il a vendu pour 223 millions de dollars d’armes aux pays africains
en 2013, à comparer aux 107 millions en 2012 et aux 127 millions en 2011. Mais
cela n’a pas empêché la quasi-totalité du continent à voter en faveur de
l’adhésion palestinienne à l’Unesco en 2011.
Cependant des ratés diplomatiques ternissent l’atmosphère. Le divorce est consommé entre
le Sénégal et l’Israël. Les relations diplomatiques entre les deux pays ont
officiellement pris fin. Le premier ministre Benjamin Netanyahou avait décidé de
ne pas renvoyer d’ambassadeur à Dakar et de couper définitivement les liens
diplomatiques. Il avait rappelé son ambassadeur à Dakar suite au vote de la
résolution de l’ONU condamnant la «colonisation juive en Cisjordanie».
Mais un grand changement est intervenu en Afrique. On assiste au développement ou à
la naissance, au sein des communautés musulmanes africaines, de tendances
islamistes radicales plus ou moins violentes. Cela a eu une incidence sur les
relations diplomatiques entre Israël et les pays africains à population
musulmane relativement importante. En effet, par-delà les rhétoriques
politiques et la distribution de pétrodollars, les rapports arabo-africains, et
par conséquent israélo-africains, vont de plus en plus se jouer dans l’avenir
sur un terrain plus politico-culturel dont le paramètre central sera l’islam. Il
est incontestable que l’appui financier au développement de l’islam au sud du
Sahara y est, à terme, l’investissement le plus rentable politiquement pour les
États arabes.
Mais
Israël a confirmé son retour sur le continent africain. Benjamin Netanyahou
avait promis en juin, au sommet de la Communauté économique des États d’Afrique
de l’Ouest (CEDEAO) au Liberia, un milliard de dollars pour un programme de
développement de l’énergie solaire. Le président rwandais Paul Kagamé accueilli
en juillet à Jérusalem en «excellent ami», avant que ce ne soit un
mois plus tard le Togolais Faure Gnassingbé. Le volume actuel des relations
commerciales entre Israël et le continent africain s’élève à environ 1,2
milliard d’euros, mais un grand potentiel existe dans les énergies
renouvelables, la communication, l’agriculture, la médecine.
Paul Kagamé à l'AIPAC |
Le
26 mars 2017 à Washington, Paul Kagamé avait monté les marches de la conférence
de l’AIPAC (The American Israel Public Affairs Committee), le lobby
pro-israélien le plus puissant au monde. Considéré par les organisateurs de
l’événement comme un «invité de marque qui saura porter les intérêts du
sionisme», chaque bribe de son discours était accompagnée par un tonnerre
d’applaudissements. Une véritable consécration pour un homme politique qui n’a
jamais caché sa fidélité pour les États-Unis et son soutien à Israël. Mais
l’invitation du rwandais à l’AIPAC recèle des enjeux bien plus importants. De
véritables intérêts géopolitiques, sécuritaires et économiques placent
désormais le continent africain dans l’objectif israélien.
Au-delà
de la participation de Kagamé à la conférence de l’AIPAC, l’État israélien voit
beaucoup plus loin. L’Afrique est désormais au cœur d’une stratégie
géopolitique de haute importance. Comme jamais auparavant, Israël espère
regagner une place de choix au sein de la diplomatie des États du continent
afin de légitimer sa posture internationale et rassembler le soutien de pays
autrefois hostiles. Aujourd’hui, cette diplomatie de la «conquête africaine» se décline sur plusieurs formes : mise en place de projets de
rapprochement culturel, activation de programmes économiques de hauts niveaux,
accélération de l’aide au développement.
Netanyahou a réuni les Africains en 2016 à l'ONU |
En
marge de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2016, Benjamin
Netanyahou avait regroupé à New York une dizaine de chefs d’État africains afin
d’accélérer le rapprochement entre l’Afrique et Israël. Selon Netanyahou cette
rencontre avait été un véritable succès : «L’Afrique est un continent qui
monte. Après de nombreuses décennies, je peux dire qu’Israël revient en Afrique
et que l’Afrique revient en Israël».
Grâce
à ses relais en Afrique de l’Est, notamment celui de Kagamé au Rwanda, mais
également ses contacts dans le Makhzen marocain, Israël entend à la fois
renforcer ses leviers géopolitiques dans la corne africaine et pénétrer les
réseaux de l’ouest du continent. D’ailleurs, les derniers mois ont été marqués
par des avancées diplomatiques considérables. En juillet 2016, Netanyahou avait
entrepris son premier voyage en Afrique qui l’a mené en Ouganda puis au Kenya,
suivie par l’Éthiopie et le Rwanda. Sa visite succède au très lointain voyage
d’Yitzhak Shamir en 1987, soit 30 ans auparavant.
Stagiaires du Mashav en Israël |
Une
tournée historique qui a consolidé des liens économiques et politiques forts
avec les pays de l’Afrique de l’Est. Accompagné d’une délégation de 80 hommes
d’affaires, le déplacement avait été marqué par le lancement de plusieurs
projets de développement économique, particulièrement dans le domaine agricole
et technologique. Un autre levier au
cœur de la stratégie diplomatique du gouvernement Netanyahou est Mashav
: l’agence israélienne pour la coopération internationale et le développement a
mis en place un ensemble de programmes de coopération internationale
exclusivement orientés vers l’Afrique, afin d’apporter des solutions concrètes
aux défis du continent, notamment dans la sécurité alimentaire et les
changements climatiques : Microfinance d’entreprises, jeunesse et
innovation, technologie et d’internet.
Tout
ce travail de fond, basé sur une coopération triangulaire entre les secteurs
public et privé israélien et les gouvernements africains vise à construire un
réseau de partenaires fiables, qui sauront, lors des prises de décision dans le
système international, apporter un soutien symbolique ou réel à Israël. À long
terme, Israël souhaite obtenir le statut de membre observateur au sein de
l’OUA qu'il n'a pu obtenir car selon Arie Avidor, ancien ambassadeur israélien au Sénégal : "un tel statut doit être approuvé au consensus de tous les membres. Il recevait tout au plus, lorque le sommet de l'OUA (Organisation de l'Unité Africaine) avait lieu dans un pays ami, une invitation comme invité spécial, privilège du pays organisateur".
Forte aujourd’hui de ses échanges
économiques avec plusieurs pays du continent, Israël entend s’affirmer
davantage dans le domaine de la sécurité et l’agriculture en Afrique de
l’ouest.
Mais
à propos du report du sommet Israël-Afrique, prévu du 23 au 27 octobre 2017 à
Lomé au Togo, Arie Avidor a donné sa propre explication : «J'ai été longtemps payé pour le savoir : il n'est
pas de resserrement possible des liens avec l'Afrique sans relance du processus
de paix au Moyen-Orient. Mais allez expliquer ça à qui vous savez ...».
1 commentaire:
Arie Avidor avait raison, mais il est aujourd'hui hors du coup, et Bibi de meme.
Les pays africains sont travailles par le chiisme iranien par l'intermediaire de la communaute libanaise tres importante en Afrique.
Je ne serai pas enormement surpris que dans les prochaines annees, Israel sera mis au ban des organisations internationales par l'aide actif des pays africains.
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