LA REVANCHE PLANIFIÉE DE NICOLAS SARKOZY
Par Jacques BENILLOUCHE
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Il
est difficile de s’enlever à l’idée que le grand ordonnateur de la droite est
Nicolas Sarkozy. Il continue à peser sur la politique française alors qu’on le
croyait rangé des voitures. Il a en effet bien préparé sa revanche et a gagné
sur tous les plans. Il n’a pas admis d’avoir été éliminé de la primaire alors
qu’il avait un boulevard au sein de son parti «Les Républicains».
Il était tellement sûr de sa victoire qu’il avait accepté cette formalité
contraire aux principes du gaullisme. Il voulait prouver qu’il n’avait pas peur
du suffrage des gens du centre et pourtant ils ont pesé lourd dans la balance.
Les forces extérieures à son parti ont bien manigancé pour l’écarter de la
course au profit de son ancien premier ministre qu’il abhorrait et d’un vieux
cheval de retour qui avait peut-être la stature de président mais pas
l’expérience des magouilles politiques.
Mais
une fois choisi, François Fillon a voulu aller trop vite en effaçant l’existence
même de Sarkozy dans le parti. L’ancien président pouvait difficilement apprécier
cette précipitation alors qu’on ne lui avait pas donné le temps d’assimiler sa
défaite. Tous ses partisans ont systématiquement été éliminés de la
gouvernance. Il pensait que Fillon allait faire appel à lui et à son expérience
de vieux sage historique. Mais Fillon
était pressé de montrer son indépendance vis-à-vis de celui qui l’avait placé au
sommet du gouvernement en le traitant ensuite de collaborateur.
Alors Sarkozy a
préparé sa revanche dans son cabinet noir du 77 rue de Miromesnil, avec la
patience d’une victime expiatoire qui avait été ciblée par tous ses
concurrents. Lors des trois débats des primaires, il était effectivement seul
contre tous parce qu’il avait été désigné comme l’homme à abattre. D’ailleurs
son discours de départ marquait à la fois sa tristesse d’avoir à quitter le
pouvoir mais aussi l’ingratitude de ceux qui n’ont pas cessé de le flatter
servilement et qui l’ont ensuite jeté aux orties. Après l’épisode peu glorieux
de Copé, il avait rassemblé le parti, il avait réconcilié les factions, il
avait redonné le goût de la victoire à ceux qui l’avaient perdu. Mais après sa
défaite, quelques fidèles parmi les fidèles l’ont aidé à préparer sa revanche
en deux temps. Il lui fallait deux coups
pour éliminer les deux finalistes.
Le
ministère de l’intérieur dispose de dossiers noirs sur tous les dirigeants
français et de plusieurs officines douteuses. D’ailleurs le dossier de DSK avec
ses écarts sexuels était prêt pour le cas où Nafissatou Diallo n’était pas
intervenue pour mettre fin à ses rêves. Sarkozy a dirigé ce ministère avec une
main de fer et il comptait en son sein beaucoup d’amis dont plusieurs l’ont
suivi à l’Élysée. Il n’est certainement pas responsable lui-même d’avoir
manigancé les révélations mais ceux qui l’ont aimé ont facilement trouvé une
main infiltrée, ou un fonctionnaire inféodé pour y puiser les documents à
fournir au Canard enchaîné. L’hebdomadaire a ainsi été mis sur la voie
par un informateur bien intentionné qui a agi sur ordre.
Certains
ont suspecté Rachida Dati. Elle était devenue en décembre 2002 conseillère de
Nicolas Sarkozy, au ministère de l'Intérieur, puis avait été nommée conseiller
technique en avril 2004 lorsqu’il avait été nommé ministre de l'Économie, des
Finances et de l'Industrie. Deux postes où elle avait accès aux informations
sensibles à la fois privées et fiscales. Elle n’avait pas
masqué ses menaces dès juillet 2014 : «L'habit ne fait pas le moine. Que
François Fillon soit transparent sur ses frais, ses collaborateurs et Force
républicaine. Mais la théorie de la
bonne apparence dont se sert allègrement François Fillon n'autorise pas tout, y
compris des méthodes de voyous ! Ce
n'est pas de ma faute ni celle de quiconque si François Fillon a accepté d'être
humilié pendant 5 ans par Nicolas Sarkozy !»
La
gauche a été accusée à tort d’avoir été la source du Canard alors qu’on
ne voyait pas son intérêt, a fortiori puisque François Hollande n’était pas
candidat. A qui profitait donc le crime sinon à ceux qui avaient décidé de
sabrer la carrière de François Fillon. Lui, avait compris la manœuvre et ce qui
se tramait autour de lui. Après les révélations, il a tenu bon et n’a pas voulu
se retirer pour ne pas s’avouer vaincu et pour ne pas donner satisfaction à
celui qui avait manigancé son élimination de la course. Sarkozy, qui disposait
toujours d’une grande influence chez les Républicains aurait pu le
contraindre à démissionner pour laisser sa place à Juppé mais c’était sans
compter sur la balle qui était destinée au deuxième finaliste. Sarkozy n’a pas
levé le petit doigt, volontairement, et il n’a fait aucune déclaration officielle
pour appeler Alain Juppé à être le plan B. Lui aussi devait payer. Le silence
volontaire de Sarkozy avait convaincu le maire de Bordeaux qu’il n’aurait pas
le soutien du parti ni celui des cadres historiques, eux aussi déçus par l’élimination de leur gourou.
Il
fallait que Fillon et Juppé paient leur traîtrise de ne pas avoir laissé le
champ libre au grand chef. Juppé ne sera donc pas président alors que sa
désignation lui aurait ouvert un boulevard. Et Fillon paiera la note en se
faisant battre dès le premier tour pour redevenir un simple militant. Mais
punition suprême, il termine sa campagne sous le joug de l’ancien président.
Les Sarkozistes reviennent en force pour aider Fillon à poser son genou à
terre. Ils reprennent les rênes du parti pour le forcer à faire faire
allégeance à Sarkozy qui l’a mis en tutelle par Baroin interposé. La victoire
de l'ancien président est totale. Les militants n’ont pas voulu de lui, alors le parti
disparaîtra dans les cendres de la traîtrise.
Les Sarkozistes avec Fillon |
La
jouissance de Sarkozy vient de ce que François Fillon, flanqué de François
Baroin, va être contraint de faire du Sarkozy avec le retour des Sarkozistes
dans la campagne. D’ailleurs, Juppé qui n’était pas tombé de la première pluie
avec senti les manipulations qui se tramaient contre lui. Il a donc
immédiatement confirmé qu’il refusait d’être un recours pour la droite et a
dénoncé le gâchis : «Cette élection est perdue. Sarkozy a tenté
de nous manipuler en cherchant à contrôler le parti et à caser Baroin. Moi, je
n'ai pas une bonne opinion de Baroin. Il n'a pas d'idées et il ne travaille pas». Le choix de François Baroin comme «responsable du rassemblement politique» conforte l’idée des grandes manœuvres en coulisses depuis l'explosion de
l'affaire Fillon le 1er février 2017. Il est devenu le nouvel homme fort imposé
de l'équipe de campagne. Tous les
frondeurs du parti feront taire leur voix, même Georges Fenech et Nadine
Morano. Rachida Dati est aussi rentrée dans le rang. Elle se dit «pleinement engagée pour que la droite gagne» l'élection présidentielle.
Mais
Fillon donne à peine l’impression d’être entré dans le rang. Il compte uniquement
se servir des Sarkozistes pour remonter la pente et figurer au deuxième tour et gagner.
C’était le seul moyen de neutraliser le pouvoir de nuisance des fans de
Sarkozy. Une fois élu, il mènera seul sa barque, sans ceux qui lui auront donné
une nouvelle vie car Fillon et Sarkozy se détestent et, même durant les crises
dans leur famille politique, ils n’ont jamais cessé de se combattre. Dans sa
stratégie personnelle pour abattre les deux candidats, Sarkozy avait conseillé
à Juppé de grossir ses doléances pour devenir le plan B alors que cela le
mettait hors course face à des exigences jugées disproportionnées : le
parti entier devait le soutenir, Fillon devait se retirer de lui-même en le
désignant comme remplaçant, Sarkozy devait «cesser de faire le
con». Au lieu de s’allier à Juppé, Sarkozy a préféré jouer la carte
du Titanic pour sombrer avec le parti qui l’avait renié, avec ses candidats et avec
ses espoirs. À ce stade, tous les scénarios sont possibles mais la guerre des
chefs laissera des traces qui auront du mal à cicatriser.
3 commentaires:
Et si l'hypothèse du dossier Fillon envoyé au Canard était ailleurs que dans l'entourage de Sarkozy?
Macron a été ministre de l'économie et à ce titre avait donc accès aux dossiers de Bercy.
Pourquoi vos soupçons ne portent pas vers lui sachant que Fillon était donné vainqueur à l'élection présidentielle et était donc son principal adversaire?
Je suis donc opposée à l'idée que le crime ne profiterait pas à la gauche lorsqu'on sait que Macron est le dauphin de Hollande et que ses ministres un à un rejoignent le prétendant.
Bien cordialement
Cher monsieur Benillouche,
Difficile de commenter un pareil article, assise sagement devant son ordinateur, quand on ignore tout des "cabinets noirs" et autres "officines douteuses" dont il est question ici.
Cependant il me semble que les grands oubliés de votre article sont ces quatre millions de Français qui se sont déplacés vers les urnes de l'élection primaire. Contre toute attente, il ont récusé l'un et l'autre des combattants auxquels la victoire avait été successivement promise, pour jeter leur dévolu sur un troisième personnage, détesté des deux autres, auquel personne n'avait pris garde, jusqu'à ce que son éclatante victoire sans appel, inflige à ses adversaires une humiliante défaite.
Toutes les manoeuvres qui s'en sont suivies n'ont servi à rien et n'ont pas été très glorieuses, ni pour Juppé, ni pour Sarkozy. Peut-être même ont-elles contribué à confirmer François Fillon comme le chef et candidat unique et incontesté de la droite française à l'élection présidentielle de 2017 !
Quant au parti LR censé représenter cette même droite, il est tellement divisé et fracturé, qu'on peut logiquement se demander s'il se remettra un jour de cette primaire catastrophique tant est maintenant béant le gouffre qui sépare ses élites de ses électeurs.
Très cordialement.
A lire votre article, l’on est pas étonné de voir la Droite « s’étriper » autour d’intérêts étroits chez les uns et les autres ; d’ailleurs il en est de même de la Gauche ; ces deux courants classiques et d’équilibre du champ politique français, semblent avoir perdu de leurs vertus patriotiques et surtout lorsqu’on voit certains de leurs responsables, s’acoquiner avec les milieux islamistes afin de quémander leur voix, comme si l’islamisme croirait au jeu démocratique.
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