NUCLÉAIRE
IRANIEN : COMMEDIA DELL'ARTE
Par Jacques
BENILLOUCHE
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Etats-Unis, Europe et Iran |
Les négociations avec l’Iran sont un éternel
recommencement. La date butoir pour la signature d’un accord sur le nucléaire
iranien a été fixée au 24 novembre. Le secrétaire d'État
américain John Kerry a fait état de «graves divergences» dans ces
négociations. Usant de la méthode Coué, le ministre allemand des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a déclaré que les six puissances mondiales, le
groupe "5+1" comprenant la Chine, les États-Unis, la France, la Russie,
le Royaume-Uni et l’Allemagne, qui négocient depuis plus de huit ans, n’ont «jamais
été aussi proches» d'un accord mais restent «encore très éloignées sur
certaines questions». C’est une façon diplomatique de dire qu’ils avancent
à reculons.
Difficiles concessions
Les négociations ne pourront déboucher sur un accord que
si les deux parties font de sérieuses concessions. Or, elles traînent depuis des
années et les Occidentaux n’ont pas l’air de se rendre compte qu’il s’agit
d’une mascarade qui s’étire sans fin. Les mêmes doléances conduisent
aux mêmes blocages. Il est quand même étonnant que les Occidentaux soient
aussi naïfs ou crédules à la fois pour
croire à des simulateurs qui arrivent à les embobiner. L’Iran persiste à
refuser aux inspecteurs de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique)
l’accès aux sites nucléaires pour s’assurer que son programme nucléaire est
strictement pacifique.
À présent les Iraniens veulent imposer leurs trois conditions.
Ils ont précisé qu’ils ne signeront l’accord que si, au préalable, les
sanctions sont sinon annulées, au moins assouplies. Cela revient à leur donner
un chèque en blanc. Par ailleurs Rouhani refuse ce qu’il considère comme une
humiliation nationale le fait de démanteler totalement son programme nucléaire.
C’est pourquoi il exige de maintenir intactes ses capacités d’enrichissement de
l’uranium. Enfin l’accord doit spécifier clairement le droit de l’Iran de disposer
d’un nucléaire civil. Il n’y a rien de
nouveau dans les prétentions de l’Iran qui continue à mener en bateau les
puissances occidentales.
Il ne fait plus aucun doute depuis longtemps que ces
atermoiements, qui durent au moins depuis l’année 2008, ne visent qu’à gagner du temps. L’Iran est à
moins d’un an pour produire suffisamment de matière fissile pour construire sa
bombe dans ses usines secrètes. Les sanctions n’ont jamais réussi à le dissuader
sérieusement de continuer son programme. Israël estime que seule une menace
militaire ciblée et crédible peut modifier la volonté des Iraniens à poursuivre
leurs programme militaire.
Plan occidental
Usine de Fordow |
Les Occidentaux avaient proposé un plan visant à réduire
la production de plutonium de l’usine à eau lourde d’Arak, en vain. De même
l’usine de Fordo, nichée à même la roche, est protégée naturellement des
regards occidentaux. Le complexe de Fordo, près de Qom, abrite plus de 2.000 centrifugeuses utilisées pour l’enrichissement d’uranium à 20%. Ce site, est particulièrement bien protégé dans la mesure où il a été installé sous une montagne, avec une caserne des Gardiens de la Révolution. Autrement dit, l’accès y est difficile et les bombes anti-bunker seraient même inefficaces.
Bushehr |
Les Russes ont accepté d’arbitrer la situation en
proposant de fournir eux-mêmes le carburant pour l’usine nucléaire de Bushehr. Mais
l’Iran refuse de démanteler ses centrifugeuses arguant qu’elle a un contrat en
cours avec la Russie qui ne prendra fin qu’en 2021. La Russie propose un
compromis intermédiaire. L’Iran doit accepter de lui envoyer son uranium
faiblement enrichi pour le transformer en barres de combustible qui ne pourront
plus servir d’uranium pour les bombes nucléaires. En échange, l’Iran serait
autorisé à garder la moitié de ses centrifugeuses pour alimenter ses besoins
civils. L’autre moitié serait confiée à la surveillance des inspecteurs
nucléaires.
Mais Israël craint que cela ne permette à l’Iran de se
doter, en secret, de centrifugeuses plus perfectionnées dans une usine à l’abri
des regards occidentaux. De leur côté, les États-Unis estiment que rien ne
pourra être envisagé si l’AIEA n’a pas les mains libres pour procéder à ses
contrôles et ses vérifications. Mais ils n’envisagent pas pour l’instant et
dans l’état actuel de la négociation d’atténuer les sanctions unilatérales.
Radicaux iraniens
Ali Khamenei |
L’ayatollah Ali Khamenei est le véritable décideur en ce
qui concerne le programme nucléaire ; il ne peut accepter aucun compromis
sans s’exposer à une opposition de la part de ses éléments radicaux dont les
exigences sont au-delà des propositions occidentales. Netanyahou essaie de
persuader les membres du Congrès américain que les Iraniens trichent et qu’il
faut utiliser des mesures militaires qu’il réclame depuis plusieurs années.
Rohani fait face de son côté à un dilemme. Soit il garde tous ses moyens nucléaires,
contre vents et marrées, et il maintient l’Iran dans la pauvreté et la crise
économique ; soit il accepte des concessions sérieuses qui permettraient à
l’Iran de réintégrer les grands de
l’économie mondiale avec un programme nucléaire pacifique.
Khamenei et Rohani |
Mais les chances de parvenir à un accord d’ici au 24
novembre sont réduites. Il y a trop de divergences pour aboutir en si peu de
temps. Les Européens sont plus réalistes puisqu’ils sont persuadés qu’un accord
est «physiquement impossible et qu’aucun progrès significatif n’a été
réalisé». Ils ajoutent que : «Même si on arrive à un accord
politique, les annexes techniques ne seront pas prêtes. Or dans notre esprit
rien ne sera agréé tant que tout ne sera pas agréé, y compris les annexes».
John Kerry, fidèle à ses rêves
moyen-orientaux, reste confiant dans ses tractations avec Mohammad Javad Zarif sous l'égide de la négociatrice
européenne Catherine Ashton. Il essaie de faire intervenir par téléphone les pays
arabes et la Turquie pour convaincre
l’Iran.
Alors pour sauver les apparences, on ne recherche plus
qu’un accord a minima, un nouvel accord intérimaire pour se donner, encore une
fois, un délai supplémentaire pour continuer de négocier les détails d'un
règlement complet. Cela est conforme à la stratégie des petits pas de l’Iran
qui depuis une dizaine d’années ne cherche qu’à gagner du temps.
Le nouveau Congrès américain, contrôlé par les
Républicains, est favorable à un nouveau train de sanctions contre l'Iran. Un
échec des négociations de Vienne fragiliserait à la fois le président Obama et le
président iranien Hassan Rohani qui joue une grande partie de sa crédibilité
dans le succès de cette ouverture vers les grandes puissances.
Conséquences israéliennes
Netanyahou intervient peu pour ne pas être accusé de gêner les négociations. Mais lui et les dirigeants de certains pays arabes du
sud du golfe Persique, l’Arabie saoudite en particulier, s’opposent à un accord
nucléaire dans les conditions actuelles. Les dirigeants arabes veulent que
l’Iran reste isolé du monde occidental car la propagation des pensées
révolutionnaires iraniennes dans la région les inquiètent. Ils savent qu'ils ne
pourront jamais rivaliser avec un Iran nucléaire.
Pour Netanyahou il faut se
passer de tout accord nucléaire avec l’Iran, même si cet accord assurerait, en
partie, la sécurité de certains pays. Il souhaite que le Congrès américain entrave tout processus de conclusion d’un accord nucléaire éventuel avec la République
islamique d’Iran. Il fait tout pour empêcher l’allègement des sanctions
imposées à Téhéran. Mais malgré l’influence des lobbies pro-israéliens, le
président Barack Obama dispose d’une grande liberté d’action dans ce domaine
car il sait que c’est un moyen d’ouvrir les portes aux investisseurs et hommes
d’affaires américains qui n’attendent que cela pour reprendre leurs activités économiques
et commerciales en Iran.
Un accord nucléaire avec l’Iran ne mettra pas
définitivement fin aux inquiétudes des dirigeants américains. Si l’Iran et les États-Unis
ont des points de vue qui se rejoignent sur la lutte contre les djihadistes de Daech,
ils ont des positions radicalement opposés au sujet de la Syrie et du Hezbollah
libanais. Les États-Unis n’ont pas réussi à rassurer les Israéliens qui ne
décollent pas de leur exigence d’interdire à l’Iran de se doter de l’arme
atomique. Les dirigeants israéliens estiment que l’ennemi commun pour Washington
et Jérusalem doit être cherché dans le programme nucléaire de la République
islamique d’Iran.
F35 l'avion furtif |
Barack Obama songe au lendemain de l’accord nucléaire
global avec l’Iran. Il offrira des compensations à Israël à savoir la vente de
plus d’armements sophistiqué aux Israéliens et une marge de manœuvre plus large
à Benjamin Netanyahou au sujet de la bande de Gaza et de l’avenir de la question
palestinienne.
3 commentaires:
Je pense également qu'il faut arrêter de rêver et vouloir négocier alors que les Iraniens avancent vers la bombe,ne me parait pas sérieux mais je voudrais me tromper !
C'est vraiment une farce cette histoire !!
Les USA sont vraiment à l'ouest et les iraniens doivent mourir de rire entre eux !!!
Votre "commedia dell'arte" m'a fait irrésistiblement penser à cet autre Congrès de Vienne de 1815 où l'Europe avait été charcutée - le mot n'est pas trop fort - pour punir la France des conquêtes napoléoniennes. Et tous les soirs ce n'étaient que fêtes somptueuses et bals, "Le Congrès s'amuse" a-t-on retenu.
Gageons que cette fois-ci il n'y aura pas de bals, pourtant si le sujet n'était aussi angoissant, voir les Occidentaux roulés dans la farine par l'Iran pourrait prêter à rire.
Il est difficile d'imaginer que d'ici au 24 novembre un traité sérieux pourrait être signé. Mais peut-être verra-t-on un changement en janvier où le nouveau Congrès américain s'installera au Sénat car certains pensent que les Républicains seront nettement moins favorables à s'en laisser conter par l'Iran.
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