SLATE : APRÈS ISRAËL, LA SYRIE JOUE
AUJOURD'HUI LA CARTE KURDE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Temps et Contretemps
Cet article avait été publié
dans Slate le 4 août 2012. Il revient à la une de l’actualité à la suite de l’assassinat
à Paris de trois femmes kurdes tuées
d'une balle dans la tête, dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013, au centre
d'information du Kurdistan, rue Lafayette.
L'ennemi de
mon ennemi est mon ami. Jérusalem et aujourd'hui Damas s'inspirent de cet adage
et soutiennent le nationalisme kurde contre la Turquie.
Les kurdes sont un peuple d'origine
indo-européenne réparti dans la région du Kurdistan, à cheval pour son
malheur sur quatre pays puissants: la Turquie (12 millions), l'Iran (7
millions), l'Irak (6 millions) et la Syrie (2 millions). Ils se battent depuis
des décennies pour obtenir une indépendance légale ou au moins, une autonomie
et des droits culturels dans la région où ils vivent et s'opposent ou se sont
opposés ainsi directement à l'Irak, l'Iran et surtout la Turquie. Ils sont
ainsi devenus une carte pour les adversaires de la politique turque: Israéliens
depuis quelques mois et aujourd'hui syriens.
C'est le coup de froid en 2010 entre la Turquie et
Israël qui a fait changer d'attitude et même d'alliance à l'État hébreu. Quand
en juin 2010, ces mêmes kurdes avaient été pris dans un étau turco-syrien et
avaient subi la destruction de quatre villes du nord, entrainant la mort de
plusieurs centaines d’entre eux. Ni Israël, ni l’occident n’avaient réagi.
Mais lorsque les relations avec Tayyip Erdogan ont été
rompues et que la Turquie a changé d'alliance et est devenue clairement hostile
et agressive envers Israël, les Israéliens ne se sont pas privés de montrer
leur pouvoir de nuisance et ont commencé à soutenir matériellement les groupes
d’opposants qui n’ont pourtant pas toujours été les amis de l’État juif. Le
Mossad avait ainsi été accusé d’avoir participé à l’enlèvement d’Abdullah
Öcalan, leader du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), à Nairobi en 1998.
Les israéliens n’avaient pas alors apprécié qu’Öcalan s’allie soudain avec le
Hezbollah et la Syrie contre Israël et contre les kurdes. Ils avaient aussi
rendu service à leur allié turc.
Au Proche-Orient, les désalliances
et alliances se font très vite. Des instructeurs israéliens avec du matériel
israélien opèrent maintenant aujourd'hui au Kurdistan irakien à la fois contre
l'Iran et contre la Turquie. Pour faire face aux attaques du PKK, l’armée
turque a même demandé à son gouvernement de nouveaux matériels notamment israéliens
comme des roquettes antichars «Spike», des missiles «Barak-8»
pour la marine et des blindés «Namer» pour le transport de troupes. Mais
la rupture entre Jérusalem et Ankara a rendu cela impossible. C'est précisément
ce que cherchait Benjamin Netanyahou. Montrer à Ankara que son hostilité envers
Israël a un prix.
L'ennemi de mon
ennemi...
En fait, les relations entre Israël et les kurdes sont
anciennes: elles datent de 1958. Dans le cadre d’une alliance avec le Shah
d’Iran, Israël avait alors armé et entrainé les kurdes du nord de l’Irak pour
les aider dans leur lutte contre le gouvernement de Bagdad. Le soutien, limité
à l’origine, devait se transformer, en 1963, en aide massive acheminée par
l’intermédiaire de l’Iran et en envoi de conseillers techniques militaires. Les
officiers kurdes reçurent directement, dans les montagnes du Kurdistan, des
cours dispensés par des officiers israéliens.
Les kurdes se sont montrés reconnaissants en 1967,
durant la Guerre de Six-Jours, puisqu’ils s’étaient révoltés contre l’Irak pour
empêcher l'armée irakienne de participer activement à la guerre contre Israël.
En remerciement, l’État juif avait équipé les kurdes avec tout le matériel
russe récupéré après la guerre, sur les armées égyptienne et syrienne. C'était
il y a 45 ans...
La Syrie entre dans le
jeu
C'est maintenant au tour de Bachar el-Assad de
chercher à exploiter le conflit entre la Turquie et le PKK pour sauver son
régime. Le président syrien a décidé d’utiliser les troupes kurdes contre
Erdogan en les laissant passer en masse depuis l’Irak pour venir consolider les
positions de rebelles kurdes déjà installés au nord de la Syrie. Il les a même
autorisés à opérer le long de la frontière turque.
Le président syrien a ainsi évité que la minorité
kurde du nord de la Syrie rejoigne la rébellion syrienne et a même pu, au cours
des derniers jours, récupérer ses troupes du nord devenues inutiles pour les
envoyer consolider le front sud et combattre à Damas et Alep. Enfin, il a créé
un nouveau point de fixation contre la Turquie qui doit faire face à une
nouvelle menace à sa frontière méridionale.
Selon des sources sécuritaires israéliennes, les
troupes du nouveau «Conseil Suprême Kurde», qui ont uni leurs
combattants et leur armement, ont déjà pris le contrôle de deux villes
frontalières syro-turques: Afrin et Aïn Al-Arab. Elles ont maintenant la
possibilité de lancer des raids contre la Turquie et de rêver à l’autonomie du
Kurdistan syrien. Le peuple kurde peut espérer exploiter la révolution syrienne
à son profit.
Paradoxalement, les israéliens et les syriens ont
aujourd'hui des intérêts presque communs. Ils verraient les uns et les autres
avec intérêt la création d’un foyer national kurde autonome. Cet embryon d'État
se constituerait forcément au détriment de la Turquie et de l'Iran.
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