SYRIE : OÙ SONT PASSÉS LES INDIGNÉS GAUCHISTES?
Par Jacques
BENILLOUCHE
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Le débat sur la Syrie ne fait pas recette auprès des professionnels de la contestation.
Les neuf morts de la flottille de Gaza, qui avaient cherché la provocation
armée, avaient mobilisé les médias du monde entier. Les marches et les manifestations
dans les rues occidentales avaient ameuté les bonnes consciences et réveillé
tout ce qu’il y avait de militants et de bien-pensants. Or, des dizaines de
milliers de morts syriens ne suffisent pas à mobiliser les gauchistes et leurs
amis "anti-impérialistes".
Donne
faussée
Le paradoxe tient au fait qu’ils se
disent à la fois contre le régime de Damas mais aussi contre toute intervention
occidentale qui pourrait venir au secours d’une population massacrée. Alors ils
se taisent et se terrent en attendant le malheureux mort palestinien, victime
de Tsahal, qui les encouragera à s'indigner et à vibrer comme avant, du temps où les
communistes massacraient en silence derrière le rideau de fer et où les féodaux
arabes asservissaient leur peuple pour entasser les pétrodollars.
Leur silence est tout à fait explicable
puisque la donne est faussée dès le départ. A l’origine, le régime baasiste de
la dynastie Assad s’était autoproclamé anti-impérialiste ce qui excitait le
militantisme d’extrême-gauche alors qu’en fait, il s’était paré d’un
nationalisme exacerbé, doté d’une bonne dose d’antisionisme. Il a éradiqué la royauté pour mettre en place une dictature similaire.
Sigle du parti Baas |
Les
rivalités régionales et la lutte permanente contre le sionisme leur font
oublier la montée d’un islamisme pur, dur et parfois sanguinaire. Ils ne
veulent pas d’ingérence parce qu’ils prétextent que la population soutient en
majorité le régime syrien, à quelques exceptions près. Ils feignent d’ignorer
que Bassar Al-Assad survit grâce à une équipe de collaborateurs prostrés, cyniques et corrompus,
n’hésitant pas souvent à conspirer, non pas pour le bien du peuple mais pour
leur intérêt personnel.
Pour ces
militants qui se croient mandatés pour défendre les faibles et les opprimés,
manifester contre Assad équivaudrait à soutenir Israël et les impérialistes occidentaux. Ils prétendent ne pas vouloir agir car ils
craignent l’inconnu et le chaos qui pourraient succéder aux assassinats
actuels. Pourtant, ils n’ignorent pas que le régime d’Assad les a bernés en
n’ayant jamais appliqué les mesures anti-impérialistes qu’ils prônaient à
longueur de discours, de programmes, de motions et de pétitions. La dynastie
Assad s’est éloignée du socialisme, dès son accession au pouvoir, pour engager uniquement des réformes libérales.
Manifestation gauchiste pro-palestinienne |
Idéologie
bafouée
L’idéologie
originelle du Baas n'est plus qu'un lointain souvenir. En effet la doctrine
combinait le socialisme arabe, le nationalisme panarabe et la laïcité. Un
programme qui avait enflammé au départ les révolutionnaires occidentaux de
salon qui savaient utiliser l’arme de la parole et l’enfumage politique. En fait,
les Assad ont vite supprimé toute référence socialiste à leur régime et ont
donné un coup de canif à la laïcité en imposant un président musulman dans la
constitution.
Le socialisme
a été rangé dans l’armoire des souvenirs du pays puisque le régime décida de
choisir le libéralisme, auréolé par l'alibi de la création de plusieurs partis qui ne
faisaient d’ailleurs qu’illusion. En revanche, il généra une caste de nouveaux
riches qui s’organisèrent pour dépouiller les richesses du pays en entassant des fortunes dans les coffres des banques occidentales. Les gauchistes
pouvaient difficilement se reconnaitre dans un tel magma d’idées
contradictoires et pourtant, ils continuaient à lever haut le flambeau de la
solidarité avec un peuple qu’ils ne sentaient pas opprimé par ses propres dirigeants.
Manifestation pro-Assad |
Au
lieu de combattre l’impérialisme, le régime syrien singea les régimes féodaux
et anachroniques arabes. Le népotisme d’une famille régnante, la corruption élevée
au rang d’institution et le développement d’une police pléthorique donnaient au
pays sa véritable caractéristique impérialiste avec ses sous-produits : l’inégalité,
l’oppression et la domination par un petit clan.
Malgré
ces réalités, les gauchistes et consorts ne s’avoueront pas vaincus. Les morts
syriens entrent dans le décompte de l’action de l’impérialisme sioniste et leur
silence d’aujourd’hui n’est en fait que l’expression la plus ignoble de la
lâcheté. En fait, ils sont fidèles aux idées constitutives de leur mouvement. Ils restent en admiration pour un régime qui tient tête aux États-Unis
et qui est anormalement soutenu par la Chine et la Russie. Ils gardent, avec
nostalgie, la réminiscence du culte soviétique et de la révolution culturelle maoïste
qui ont fait les beaux jours des années 1960.
Alors, dans la pure tradition de l’époque noire, les gauchistes et les
anti-impérialistes refusent de «s’indigner» en attendant, en bons
militants disciplinés et intoxiqués, le signal qui leur imposera de se trouver au premier rang des
manifestations antisionistes. Mais il est encore trop tôt de pleurer les morts syriens car la chair arabe n'est pas encore cotée à l'argus du monde civilisé.
Alain Badiou, philosophe et maoïste médiatique |
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