UNE ALTERNATIVE A LA FRAPPE CONTRE L’IRAN
Par Jacques BENILLOUCHE
Les dirigeants israéliens s’inquiètent, à juste titre, des retombées sur la population israélienne d’une frappe contre les usines nucléaires iraniennes. Si l’Iran ne dispose pas de lanceurs pour ses ogives nucléaires, ses fusées Shahab à charge conventionnelle de 750 kg sont en mesure de toucher des quartiers de Tel-Aviv. On ne spécule pas, bien sûr, sur les dégâts occasionnés par une éventuelle bombe nucléaire. Alors ils songent à agir de manière plus sournoise et plus camouflée contre le programme iranien. Après le virus Stuxnet et l’assassinat ciblée de savants, des actions mystérieuses et sanglantes ont touché l’Iran à quelques jours d’intervalle. Il ne peut nullement s’agir d’accidents car deux explosions simultanées ont eu lieu dans des bases militaires, à 40 kms à l’ouest de Téhéran, tandis que le marchand d’armes du Hamas, Al-Mabhouh, fait un émule puisque le fils d’une haute personnalité iranien a été assassiné à Dubaï.
Groupes dissidents iraniens
Les explosions, qui ont eu lieu dans les villes de Melard et de Bidganeh, sont attribuées à des actions de groupes iraniens dissidents qui ont agi contre des entrepôts des Gardiens de la Révolution où sont stockés les matériels de lutte anti-émeutes. La première explosion, à Moadarres, a détruit un stock de balles en caoutchouc, de munitions et de gaz lacrymogènes tandis que la seconde a fait exploser un dépôt d’armement dans un camp militaire. La cause accidentelle ne peut être soulevée alors que le magistrat iranien, Hussein Garussi, a confirmé les faits sans donner de détail.
Attentat du MEK |
Le sabotage, qui ne fait aucun doute pour les services sécuritaires occidentaux, est attribué au groupe dissident Oghab-E-Iran (l’aigle de l’Iran). Ce groupe d’opposition a été créé en 2008 par Mehdi Rohani, ancien général des forces aériennes iraniennes, exilé à l’étranger avec plusieurs de ses officiers. Téhéran avait démantelé une partie de ce groupe armé après avoir exécuté trois de ses dirigeants et autorisé plusieurs de ses membres à s’exiler aux États-Unis.
Les autorités iraniennes ont fait état de la mort de 32 personnes et de plusieurs blessées dans les deux explosions. Parmi les victimes figure le général de brigade Hassan Moghaddam, chef du développement des missiles pour le Corps des Gardiens de la révolution et des unités de son programme nucléaire, qui jouait un rôle important dans le développement du système de défense national. Saeed Qasemi, porte-parole des Gardiens de la Révolution, a confirmé la mort du général : «Une grande partie de nos progrès dans le domaine des missiles et de l'artillerie a été possible grâce aux efforts déployés jour et nuit par le martyre Moghaddam».
Suspicions israéliennes
Il semble bien que le programme nucléaire iranien ait été visé par ces actions. Ces explosions accréditent les rumeurs qu’Israël a pu combiner cette action avec la collaboration du groupe d’exilés MEK qui avait dans le passé révélé le lieu des sites de plusieurs grandes installations nucléaires iraniennes. Le MEK, groupe d'opposition militant contre le régime iranien, travaille en collaboration avec la CIA et le Mossad pour se faufiler dans les installations iraniennes et pour kidnapper des scientifiques iraniens qui contribuent à enrichir l'uranium à des fins militaires. Il aide à assassiner d’éminents dirigeants du corps des Gardiens de la Révolution iranienne.
Combattants du MEK |
En effet, un ancien porte-parole du groupe des Moudjaheedin-e-khalq ou MEK, à Washington, Alireza Jafarzadeh citant ses sources fiables en Iran, a déclaré que l’explosion a frappé la garnison appartenant à l’unité des missiles du CGRI, et que «les explosions résultaient de l’explosion de missiles des Pasdarans provoquée par une tentative ratée pour adapter une ogive nucléaire sur le Shahab-3». Les témoins ont confirmé que, bien après les explosions, les incendies faisaient encore rage dans les rues voisines des bases militaires touchées tandis que la presse n’était pas autorisée à accéder aux lieux des sinistres.
Les autorités iraniennes, selon le général Ramazan Sharif porte-parole des Gardes, attribuent les explosions à un accident : «Mes collègues de la Garde transportaient des munitions à l'un des dépôts sur le site quand une explosion s'est produite à la suite d'un accident». Il dénie tout lien avec le programme nucléaire iranien : «Cette explosion est lié à aucun des essais nucléaires». Le refus des autorités à autoriser la visite par la presse des victimes des explosions semble signifier que de nombreux étrangers figurent parmi les blessés. Ils ont d’ailleurs été transférés dans des centres de soins militaires des Gardiens plutôt que dans des hôpitaux civils.
Le «Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime» a été réuni le 12 novembre en session exceptionnelle justifiant ainsi la plus haute importance de l’affaire et la nécessité d’édicter «des solutions pour les difficultés insurmontables du régime».
Assassinat ciblé à Dubaï
Simultanément avec ces deux explosions, Ahmed Rezaee, 31 ans, a été retrouvé mort dans l'Hôtel Gloria à Dubaï. Il était le fils de Mohsen Rezaee, politicien iranien, économiste et ancien commandant militaire, actuellement secrétaire du Conseil de Discernement de la République islamique d'Iran. Avant cela, il avait été commandant en chef de la Garde révolutionnaire iranienne pendant 16 ans.
Le corps de Rezaee ne présentait aucun signe de violence et les causes établies du décès sont dues à une injection de suxaméthonium suivi par un étouffement avec un oreiller. La victime, qui n’était pas connue pour ingérer des drogues ou des produits médicaux, a été retrouvée dans une chambre du 18ème étage. Le modus operandi, ressemblant étrangement à l’assassinat de Mahmoud Al-Mabhouh le 19 janvier 2010 à Dubaï, ouvre l’hypothèse que la victime a été la cible du Mossad.
Cette thèse ne semble pas crédible, pour l’instant, car les observateurs voient mal les Israéliens se brouiller définitivement avec l’émirat en rééditant l’exploit de 2010. Il faut en effet préciser que le père Mohsen Rezaee s'était présenté contre le président Mahmoud Ahmadinejad en 2009 et que le fils Ahmed était considéré comme un dissident. En 1998, Ahmad Rezaee, avait fait défection aux États-Unis, où il avait révélé que l'attaque contre l'ambassade israélienne à Buenos Aires avait été planifiée à Téhéran. Les Iraniens n’avaient pas apprécié à l’époque les nombreuses interviews aux médias occidentaux dans lesquelles il critiquait ouvertement les dirigeants iraniens et en particulier le Guide Suprême, l’ayatollah Ali Khamenei.
Il avait dénoncé l’Iran en 1998 en déclarant à l'hebdomadaire arabe Al-Watan Al-Arabi qu'un groupe de militants pro-iraniens avait mené l'attaque de 1996 à Dhahran, en Arabie saoudite, qui avait tué 19 aviateurs américains. Il avait accusé Ali Khamenei et l'ancien président iranien Rafsandjani d’être directement impliqués pour avoir tenu la main des organisations extrémistes dans les pays arabes du Golfe et ailleurs dans le monde. Il avait condamné le soutien financier important donné à des organisations terroristes par la République islamique d'Iran : «Nous avons nos propres problèmes et il appartient aux autres nations de combattre pour leurs propres batailles».
Mesure d’intimidation
Le père d’Ahmed avait subi des pressions pour qu’il rende son fils à la raison et pour le forcer à rentrer en Iran, ce qu’il fit en 2005. En raison de ses nombreux voyages à l’étranger, les services de renseignements iraniens l’aient utilisé pour transmettre de fausses informations aux occidentaux, en particulier quand il s’installa définitivement à Dubaï. Le seul lien avec les Israéliens semblent avoir été sa désignation comme intermédiaire pour éclaircir le sort de l’aviateur Ron Arad, disparu lors d’une mission aérienne et probablement transféré en Iran.
La piste du Mossad semble totalement écartée et la probabilité qu’il ait été assassiné sur les ordres de l'ayatollah Khamenei est grande parce qu’un avertissement devait être adressé à Mohsen Rezaee pour qu’il cesse de se lier avec l'ancien président Rafsandjani, considéré à présent comme une grande figure de l’opposition. Ce dernier s’était distingué en s’opposant ouvertement au gouvernement iranien lors des émeutes de 2009 déclenchées après l’élection contestée d’Ahmadinejad. L’assassinat s’adresse aussi à Rafsanjani lui-même pour qu’il rentre dans le rang.
L’assassinat d’opposants au Guide Suprême n’est pas une innovation mais d’ordinaire les victimes étaient éliminées en Iran même, dans le cadre de pseudo-accidents, mais ce serait la première fois que l’Iran procède à des assassinats ciblés à l’étranger.
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