LA TUNISIE EN PLEINE DÉROUTE POLITIQUE ET
ÉCONOMIQUE
Par Jacques BENILLOUCHE
Un électeur en Tunisie |
Le pays, qui le premier a lancé le Printemps
arabe en 2011, s’enfonce dans la crise avec peu d’espoir d’une solution
immédiate et pérenne. Les élections législatives tunisiennes du 17 décembre
2022 ont enregistré l'un des taux de participation les plus faibles de
l’histoire du pays, 11,22%. Le scrutin
était assimilé à un référendum sur la vision politique du président Kais
Saïed. Tous les partis d’opposition ont boycotté
les élections et l’on se pose la question sur qui le président peut compter.
Après ce qui a été considéré comme un coup d’État l’an dernier, la Tunisie a
perdu le chemin de la démocratie tandis que l’échec des élections pose le
problème de la légitimité du président.
Après avoir limogé le Premier ministre et suspendu le Parlement en juillet
2021, Saïed a organisé un référendum constitutionnel qui a consacré son règne de
dirigeant isolé. Mais les Tunisiens se sentent de plus en plus désillusionnés
par le règne d'un homme seul qui n’a jamais été en mesure de tenir ses
promesses. La situation de la Tunisie est pire que lorsqu’il avait perpétré son
coup d'État en juillet 2021. L'économie est dans une situation désespérée et le
gouvernement s'est tourné vers le Fonds monétaire international pour obtenir de
l'aide. Le FMI ne pourra accorder son prêt qu’avec l’imprimatur des États-Unis,
le seul pays qui soutient la Tunisie en sous-main. Le très faible taux de
participation aux élections porte gravement atteinte à la légitimité
démocratique d'un parlement déjà impuissant. Nul n’ignore ce que l'opposition
peut faire pour retrouver le pouvoir. Le porte-parole du département d'État
américain a déclaré que la faible participation électorale renforçait la
nécessité pour la nation nord-africaine d'élargir davantage la participation
politique dans les mois à venir : «le faible taux de participation
renforce la nécessité d'élargir davantage la participation politique au cours
des prochains mois».
L'ancien Premier ministre tunisien et secrétaire général du parti islamiste Ennahda, Ali Laarayedh, |
Mais le pouvoir panique et s’en prend à l’opposition sur des allégations de
terrorisme. Un tribunal tunisien a incarcéré le 19 décembre Ali Laarayedh,
ancien Premier ministre et haut responsable du parti Ennahda qui avait déclaré
que Saïed n'avait aucune légitimité et devrait se retirer en appelant à des
manifestations massives. En juillet 2021, le président avait limogé le Premier ministre et suspendu
le Parlement.
Et pourtant, la Tunisie est la seule
réussite des soulèvements du Printemps arabes. Depuis l'éviction du président Zinedine
Ben Ali en 2011, les gouvernements successifs ont eu du mal à répondre aux
revendications des manifestants du printemps arabe, qui étaient autant motivés
par la pauvreté et le chômage que par le désir de libertés civiles et
d'élections équitables.
Le chômage est resté répandu à
son état initial, en particulier chez les jeunes qui constituent la majorité de
la population. Mais la situation s’est aggravée avec les attaques de l’État
islamique, qui ont fait des dizaines de victimes, ont créé la panique et
éloigné les touristes.
Lors de son élection en 2019, Kais Saïed avait cherché à se présenter comme un anti-politicien, comme un indépendant au
caractère sévère en promettant de sévir contre la corruption au sein de la
classe politique. Mais le Covid a tué plus de 17.000 personnes pour une
population de 12 millions d'habitants, poussant les services de santé au point
de rupture et aggravant encore la crise économique.
Rassemblement contre le président tunisien Kais Saied à Tunis, le 10 décembre 2022 |
La Tunisie a alors fait appel au FMI qui
a exigé des mesures d'austérité, notamment l'augmentation des prix des produits
de base, la hausse des impôts et la réduction de l'emploi dans le secteur
public, ce qui a aggravé la situation avec la population. Avec une récession de
de 6,5 % en 2022, des milliers de personnes sont descendues dans la rue. C’est
alors qu’un document secret du bureau du chef de cabinet de Saïed, Nadia
Akacha, proposait l'établissement d'une «dictature constitutionnelle»
comme moyen de faire face aux problèmes croissants du pays. Le document prônait
que dans une telle situation, «c'est le rôle du président de la République
de combiner tous les pouvoirs entre ses mains afin qu'il devienne le centre
d'autorité qui lui permet de détenir exclusivement, toutes les autorités qui
lui donnent pouvoir». Cela prouve que les alliés de Saïed songeaient bien à
la possibilité d’une prise de pouvoir. Mais si la constitution ne permet pas la
dissolution du parlement, elle autorise cependant la suspension de ses travaux
selon l'article 80.
En
fait, l’armée protège le régime puisqu’elle s’était déployée au palais du
gouvernement à Tunis pour empêcher les émeutiers d’y entrer. La puissante Union
générale du travail (UGTT), avec plus d'un million de membres représentant
environ 5% de la population tunisienne, n'a pas non plus explicitement rejeté
les décisions de Saïed, mais a plutôt souligné «la nécessité d'adhérer à la
légitimité constitutionnelle dans toute action entreprise à ce stade».
Armée tunisienne |
La réaction internationale a été mitigée.
De nombreux pays à travers le monde ont dénoncé les actions de Saïed et ont
exprimé leurs inquiétudes quant à l'avenir de la démocratie dans le pays mais la
plupart se soient abstenus de qualifier ce qui s'est passé de «coup d'État».
Tous les ingrédients étaient réunis pour envisager
l'une des plus grandes mascarades de l'histoire de la Tunisie. Depuis son coup
d’État du 25 juillet 2022, Kaïs Saïed a montré qu'il était le nouveau patron et
qu'il comptait le rester à tout prix. Mais il a perdu progressivement ses
soutiens au sein de la classe politique et des composantes de la société
civile. Après ces élections, le président de la République a gardé le silence
pendant 48 heures.
Mais, la principale cause de cette
débâcle n'est autre que l'absence des partis politiques, exclus et marginalisés
par la loi électorale. La question de la légitimité de la nouvelle assemblée ne
cesse d'être évoquée depuis l'annonce des résultats mais le chef de l'État a la
capacité de dissoudre le parlement quand bon lui semble et sans donner de
compte à personne.
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