Une avancée discrète en Tunisie vers les Israéliens

UNE AVANCÉE DISCRÈTE EN TUNISIE VERS LES ISRAÉLIENS

Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps

Synagogue de la Ghriba

          Depuis le départ de Ben Ali et l’arrivée de Kaïs Saïed au pouvoir, les prises de position tunisiennes à l’égard d'Israël avaient été durcies. On se souvient que des passagers israéliens de bateaux de croisière avaient été interdits de fouler le sol de la Goulette ce qui avait poussé certains armateurs à renoncer à l’escale tunisienne par représailles, entrainant un manque à gagner important pour la Tunisie. Les prises de position anti-israéliennes à la tribune de l’Assemblée nationale n'ont jamais cessé alors qu'elles semblent anachroniques après les Accords d'Abraham.

Ghriba en 1920

            Cette position tunisienne irréductible ne pouvait pas s’expliquer à l’égard des anciens nationaux. Dans les années 1950 l’Agence juive, basée en Tunisie sous le Protectorat français, avait procédé à l’émigration de plus de 40.000 Juifs tunisiens vers Israël après leur avoir confisqué leurs passeports tunisiens pour empêcher tout retour éventuel dû à une vie très difficile dans un pays en construction qui manquait de tout. En effet, les immigrés tunisiens étaient envoyés dans le sud d’Israël à la limite du Néguev pour peupler des zones arides et pour créer des villes entières, Yerucham, Netivot, Dimona, et Beersheba. Avec le temps, la vie en Israël s’était améliorée malgré le souvenir du pays natal qui ne s’estompait pas mais les anciens citoyens tunisiens ne pouvaient pas fouler le sol de leurs ancêtres pour retrouver leurs souvenirs ou pour visiter les tombes de leurs aïeux disparus car ils ne disposaient que d'un titre de transport israélien. 

Djerba 2022

        Le pèlerinage de Lag Baomer dans la synagogue de Djerba, construite selon la légende avec des pierres du temple de Jérusalem détruit, était fermé aux titulaires du seul passeport bleu. Par représailles, beaucoup de Juifs européens et américains avaient boudé pendant plusieurs années la visite de Djerba. Les dirigeants n’avaient pas compris que la Ghriba était un symbole de cohabitation et que le tourisme des Européens souffrait de cette interdiction. Les hôtels ont ensuite perdu leur clientèle, presque abandonnés par leurs propriétaires, pire squattés par des SDF.

            Une avancée vient d’avoir lieu en 2022 où discrètement des Israéliens d’origine tunisienne ont été autorisés à entrer à Djerba sur l’alibi qu’un tunisien ne peut jamais perdre sa nationalité. Ils étaient donc reçus en tant que tunisiens, malgré leur passeport israélien. Bien sûr, le gouvernement tunisien n’a pas communiqué sur le sujet pour ne pas éveiller les sentiments anti-israéliens d’une certaine partie de la population. L'information a cependant fuité. Un journaliste israélien, Edy Cohen, a pris la décision de diffuser un tweet où il remerciait le président tunisien Kais Saïed d’avoir permis à des centaines d’Israéliens de prier dans leur synagogue de Djerba : «Ce qui nous intéresse, ce sont les actes et non les paroles, notamment celles prononcées avant la prise de pouvoir. Vous êtes excusé monsieur le président, nous sommes compréhensifs. On vous aime monsieur le président». Edy Cohen, âgé de 50 ans, Israélien d’origine libanaise, diplômé d’un doctorat en journalisme et spécialisé dans les affaires arabes, fait partie des grands influenceurs israéliens sur les réseaux sociaux.

Edy Cohen

            Le président tunisien, qui détient tous les pouvoirs, a donc réussi à convaincre les islamistes et les nationalistes tunisiens, que les citoyens israéliens d’origine tunisienne avaient le droit de fouler leur sol natal sans que cela soit interprété comme une forme de normalisation avec l’Etat hébreu. Cette normalisation interviendra certainement un jour car les principaux pays arabes ont reconnu Israël et commercent librement avec lui. En ces moments où de nombreuses startups américaines s’installent en Israël mais où le manque d’ingénieurs qualifiés est dramatique, l’arrivée de jeunes diplômés tunisiens, au salaire de 5.000 dollars minimum, serait appréciée plutôt que de les laisser survivre en vendant des légumes à la sauvette pour un revenu de 200 dollars par mois. D’ailleurs des Tunisiens ont été autorisés à entrer en France pour combler le vide de personnel dans les restaurants et les hôtels.

Islamistes tunisiens

            Certains officiels tunisiens justifient l’arrivée de ces Israéliens à Djerba par le fait historique que les Juifs y étaient déjà, bien avant l’arrivée des Arabes et de l’islam en Tunisie. Ils craignent cependant les menaces proférées par les islamistes qui ont pignon sur rue en Tunisie. D’ailleurs, lors de son élection, Kaïs Saïed s’était trouvé dans l’obligation de clamer haut et fort que la normalisation avec Israël était considérée comme une trahison. Certains députés étaient allés jusqu’à exiger de modifier la Constitution pour y inscrire une interdiction de nouer des liens avec Israël.  Nul ne comprend cet écart de stratégie entre la Tunisie et le Maroc qui bénéficie de la manne israélienne et américaine.

L'avion des pèlerins

            Cette inflexion du gouvernement tunisien en 2022 est une bonne nouvelle à la fois pour les Israéliens d’origine tunisienne mais aussi pour tous les Juifs du monde qui reprendraient ainsi le chemin de la Tunisie. Certains envisagent même d’y acquérir une résidence secondaire à trois heures de Tel Aviv. Le réalisme tunisien est en marche. Pourvu que le président tunisien résiste à ces opposants notoires inconditionnels de la mouvance islamiste.