LES FEMMES, SEULES À POUVOIR SAUVER LA TUNISIE
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Le fondateur de la Tunisie indépendante, Habib
Bourguiba, avait fait le pari de la libération de la femme pour moderniser la
société tunisienne ; mais son héritage n’a jamais cessé d’être menacé. La
mainmise islamiste en Tunisie avait tout fait pour que la femme tunisienne
perde son statut de rempart contre l’islamisme. Elles avaient obtenu du
président Bourguiba la modernisation de l’État tunisien aussitôt après son
arrivée au pouvoir.
Il avait ainsi promulgué le code du statut personnel (CSP) le 13 août 1956, quelques mois après l’indépendance du pays, proclamée le 20 mars. Le Combattant Suprême s’était appuyé sur l'émancipation féminine pour revitaliser toute la société tunisienne. Sa démarche fut unique dans le monde arabe, frileux quand il s’agissait de s’attaquer aux dogmes de la religion. Il avait imposé ainsi sa propre révolution grâce à une réforme audacieuse qu’aucun autre dirigeant musulman n’avait osé mettre en œuvre. La nouvelle loi entra en vigueur dès le 1er janvier 1957 dans le cadre d’un vaste programme de modernisation de la société, à savoir l'interdiction du port du voile dans les écoles, la reconnaissance du droit de vote aux femmes, le démantèlement de l'université de la Zitouna, citadelle du conservatisme, la dispense de jeûne durant le mois de ramadan, la mise en place du planning familial, le droit à l'avortement libre et la gratuité de la pilule, l’interdiction de la polygamie et de la répudiation et enfin, l’obligation d’obtenir le divorce devant le tribunal. Il s’agissait de décisions osées dans un pays arabe mais il n’a pas beaucoup été suivi.
Les femmes se sont émancipées à l’occidentale et
n’ont pas hésité à porter des jeans et des mini-jupes. Elles choisirent, en
masse, le chemin des études pour s’insérer dans tous les pans de la société en
occupant des postes économiques et politiques de haut niveau. Concurrentes des
hommes, elles avaient prouvé qu’elles étaient devenues leurs égales ; un
véritable défi pour un pays musulman.
L’arrivée des islamistes au pouvoir avait mis fin à
cette évolution des femmes sans pour autant les décourager. Les femmes tunisiennes
n’avaient pas accepté que le parti Ennahda rabiote leurs droits acquis sous
Bourguiba. À sa prise de pouvoir en 1987, le président Ben Ali n’avait pas
envisagé un «retour en arrière car il ne peut y avoir de développement si la
moitié de la société, les femmes, en sont exclues». Il avait d’ailleurs mis
ses actes en conformité avec ses paroles en associant sept femmes au
gouvernement, en nommant une présidente au sein de la Cour des Comptes et une
femme gouverneur (préfet). Ainsi Faïza Kéfi, qui avait occupé les fonctions
d’Ambassadeur en France fut nommée, en 2004, première présidente de la Cour des
Comptes tunisienne (CDC). En mai 2004, Salwa Mohsni Labiadh avait été nommée,
pour la première fois de l’histoire de la Tunisie, au poste de Gouverneur de la
région de Zaghouan.
Faïza Kefi |
À la suite de la Révolution du Jasmin, les
Islamistes, qui étaient restés en retrait durant la révolution, ont cueilli le
pouvoir comme un fruit mûr tombé de l’arbre afin d’imposer leurs lois
anachroniques. Devant l’opposition des femmes, ils ont dû renoncer
momentanément à appliquer la charia dans le pays. Mais ils ont réussi à
persuader certaines femmes politiques de qualité à les rejoindre. Ce fut le cas
de la candidate du parti islamique Ennahda, Souad Abderrahim, qui a été élue le
3 juillet 2018 à la tête de la capitale tunisienne, un symbole fort pour les
premières élections municipales démocratiques depuis la révolution de 2011. Née
le 16 décembre 1964 à Sfax, gérante d'une entreprise pharmaceutique, elle était
devenue ainsi la première femme à remporter la fonction de «Cheikh El
Médina», titre masculin traditionnel donné au maire de Tunis : «J'offre
cette victoire à toutes les femmes de mon pays, à toute la jeunesse et à la
Tunisie». Paradoxalement cette femme moderne, controversée politiquement, avait
revendiqué des idées libérales bien qu'elle ait toujours appartenu à la
mouvance islamiste. En 2017, elle avait intégré le bureau politique d'Ennahda,
même si elle ne se considère pas comme islamiste mais comme indépendante. Elle
n’était pas nouvelle en politique puisque le 23 octobre 2011, elle avait été
élue à l'Assemblée nationale constituante. Elle fut présidente de la commission
parlementaire sur les Droits de l'homme et les libertés pendant son mandat.
Souad Abderrahim |
Après son bac obtenu en 1983 au lycée Khaznadar, Souad Abderrahim avait porté le voile, par provocation plutôt que par conviction, pendant ses années d'études à la faculté de médecine de Monastir. Elle devint par ailleurs membre du bureau exécutif de l'Union générale tunisienne des étudiants (UGTE). Son activisme au sein de l’union lui vaudra non seulement des déboires au niveau de son cursus universitaire mais aussi une arrestation et un emprisonnement en tant qu'opposante du régime en 1991. C’est à cette époque qu’elle abandonna le hijab et parvint à obtenir son diplôme de pharmacie en 1992 pour devenir ensuite dirigeante d'une entreprise de produits pharmaceutiques à Tunis.
Le paradoxe reste que cette militante moderne en
tous points, était active dans un courant islamiste alors que les Tunisiennes
se considèrent comme un rempart contre les courants extrémistes, fanatiques et
anachroniques. Elles sont les seules capables de s’opposer aux Islamistes car
elles ont payé chèrement leur liberté et elles considèrent toute atteinte à
leurs droits de femme comme un casus belli. La question restait de savoir si
son poste de Maire lui permettrait de refuser l’obscurantisme de ceux qui
voudraient cantonner les femmes à l’écart de la vie politique. Utilisée comme
alibi, il lui a été difficile d’être la représentante libérale du tout puissant
parti islamiste dirigé de main de fer par Rached Ghannouchi. Elle tenait
l’avenir de la Tunisie entre ses mains et était réservée face à un pouvoir qui
grignotait progressivement des parcelles de liberté.
Seules les femmes défendent bec et ongles les acquis
bourguibiens. Le salut de la Tunisie viendra uniquement d’elles et d’elles
seules car elles ne se résigneront pas à revenir un demi-siècle en arrière,
face aux puissantes convictions religieuses du pouvoir alors qu’elles veulent
être des modèles du modernisme.
La Tunisie, dans son passé moderne et glorieux du
temps du bourguibisme, a été imitée. Mais elle a beaucoup dévié depuis, en
montrant un visage sectaire et surtout anti israélien, à la limite de
l’antisémitisme. On attend de Najla Bouden qu’elle renoue avec l’ouverture de
la Tunisie au monde occidental dans un pays en pleine crise économique et
sociale. Les attentes des Tunisiens sont très fortes.
La crise tunisienne est caractérisée par une
croissance en berne depuis dix ans (+0,6% par an en moyenne) et une forte
inflation (6% par an). La pandémie du Covid a aggravé cette situation car le
pays a été privé des cruciales recettes touristiques (jusqu'à 14% du PIB et
environ 400.000 emplois en jeu). Le chômage est passé de 15% avant la pandémie
à près de 18 %, avec une forte proportion de femmes et de jeunes. Un cinquième
des 12 millions d'habitants du pays sont considérés vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Les
autorités ont dû creuser la dette, qui approche déjà les 80% du PIB, pour multiplier les fonctionnaires (14% de la population active), faisant enfler
encore le déficit budgétaire (plus de 10 %).
La Tunisie va devoir rapidement faire face à des
échéances : elle doit rembourser 4,5 milliards d'euros sur l'année en cours et
a besoin d'une rallonge de 5,7 milliards d'euros pour boucler le budget de
cette année. C’est dire si l’on attend beaucoup de cette femme tunisienne qui pourra être soit un perroquet de Saïed soit une réformatrice.
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