ADOBAÏ
Un roman de Paul GERMON
Une
recension de Jacques BENILLOUCHE
La Tunisie a hébergé 110.000 Juifs dans la période la plus faste. Mais la décennie la plus riche, que certains considèrent comme l’âge d’or, a été celle des années 1950-1960 car elle a précédé l’exil en masse de la totalité des Juifs de Tunisie vers d’autres horizons. Le départ s’est effectué en trois phases, après la création de l’État d’Israël en 1948, lors du conflit de Bizerte avec la France en 1961 et enfin au lendemain de la Guerre des Six-Jours de 1967 qui a vu la population juive se réduire seulement à 1.500 âmes, en majorité à Djerba. Il faut cependant être honnête en précisant que les autorités tunisiennes n’ont pas expulsé les Juifs, comme en Egypte, mais elles n’ont rien fait pour les retenir. Un mot du président Bourguiba, qu’il n’a jamais lancé, aurait rassuré les Juifs et modifié la tendance du départ volontaire généralement effectué à contre-cœur.
Entrée rue des Glacières |
Il y a peu de grands auteurs qui ont décrit la
réalité juive en Tunisie à l’exception de la Statue de Sel d’Albert
Memmi. En revanche, plusieurs ouvrages, sous forme de souvenirs et d’autobiographies, ont
été édités pour décrire avec emphase la période la plus marquante. Et pourtant il y avait matière à couvrir de manière globale l’excellence de cette période.
Albert Naccache a raconté ses souvenirs dans les Roses de l’Ariana, mais
l’extinction progressive et naturelle des témoins de l’époque impose que
d’autres transcrivent rapidement leur histoire vécue et gravée
dans leur mémoire de manière indélébile, à des fins de témoignage vivant pour
les générations futures. Le rappel de certaines anecdotes presque incroyables tendrait
à considérer les Juifs tunisiens comme des extra-terrestres tant l’histoire
contée parait aux antipodes de la vie occidentale. Ces anecdotes de l’époque
ont pratiquement été vécues, à la virgule près, par tous les Juifs tunisiens ce
qui donne son aspect historique à cet ouvrage.
La lecture du livre, que vient de publier Paul
Germon, éveillera chez beaucoup de lecteurs les souvenirs d’une jeunesse
insouciante, mais modeste, gravée dans les brûlures de l’Histoire. Il explique
le titre de son roman par une expression connue en Tunisie : «Adobaï,
c’est un mot judéo-arabe que l’on pourrait traduire par parbleu, c’est une
déformation du mot hébreu Adonaï, un des noms bibliques de Dieu, le b
remplaçant le n pour ne pas prononcer Dieu». C’est l’histoire de sa
vie certes, mais en fait l’histoire de toute une génération qui a connu les
mêmes péripéties, les mêmes maux, les mêmes traditions, les mêmes souffrances
et les mêmes déceptions. À le lire, on comprend que tout n’était pas si rose et
que l’exil forcé avait enjolivé des souvenirs ternes, peu glorieux mais souvent
empreints de nostalgie. Tout le monde se reconnaîtra, que ce soit dans la
misère ou dans la gaité, à travers le miroir déformant et l'optimiste de l’exil.
Paul Germon a aussi parlé de politique et fait un
excellent diagnostic sur les Juifs tunisiens vis-à-vis d'Israël; ils parlaient un peu de sionisme
mais pas d’émigration : «il ne fut jamais question d’émigration en
Israël, apparemment ce pays ne devait concerner que les pauvres hères du ghetto
et quelques idéalistes imprégnés de sionisme». Il n’avait pas tort car la
communauté juive s’était toujours désintéressée du sionisme qu’on ne lui avait
jamais enseigné. Rien à voir avec les militants historiques venus des pays de
l’Est imprégnés depuis leur jeune âge du retour à la terre juive.
Il décrit cette Tunisie où l’on se contentait de peu
et cette France si différente et parfois si peu accueillante. Il essaie de
justifier à postériori les raisons du départ d’une communauté pourtant très
ancrée dans l’Histoire du pays alors que certains Juifs étaient arrivés avant les Arabes. «La Tunisie s’enfonça rapidement dans un
régime policier. Le totalitarisme s’installe». Il poursuivit :
«Nous aimions ce pays. Il ne nous aimait pas et nous le faisait sentir à sa
façon».
Après avoir quitté sa Tunisie, il décrit avec
beaucoup de détails piquants son installation dans un pays aux mœurs aux
antipodes de celles qu’il a connues. La vie à Paris de jeunes déracinés a été
vécue par tous les étudiants qui ont connu le Quartier Latin comme un lieu
d’intégration à une nouvelle vie. Pour ceux qui ont connu cette période
estudiantine propre à tout exilé, il s’agissait plus de rêves de drague que
d'expériences réelles. Ce fut l’époque bénie d’un quartier où tous les
étudiants et toutes les écoles se trouvaient concentrés autour de quelques
rues. Il décrit avec exactitude le besoin de contacts plutôt que de
plaisirs aidés en cela par quelques jeunes filles à la recherche, elles-aussi, d’aventures sans lendemain.
La difficulté de l’exil n’a pas touché que les
jeunes mais aussi les adultes qui, souvent en fin de carrière, ont été contraints
à vivre dans des chambres de bonne sans eau et à occuper des emplois primaires pour survivre alors qu’ils bénéficiaient de conditions bourgeoises
dans leur pays. Cela est un élément d’histoire peu conté et Paul Germon a su l'expliquer.
C’est un livre qui se lit rapidement, qui n’a pas
l’ambition d’être un ouvrage littéraire mais qui est écrit avec des mots justes, des tournures de qualité et un style léger mettant en valeur un esprit plus littéraire que
scientifique. Cette histoire des Juifs tunisiens peut servir d’exemple à tous
les exilés qui misent sur une France généreuse permettant à l’ascenseur social
de fonctionner parfaitement. Son ouvrage est optimiste car il démontre qu’avec de
faibles moyens, un jeune peut faire des études et gravir les marches vers la
réussite. Un roman très réussi, empreint de nostalgie, qui plaira aussi à ceux qui ont vécu cette période bénite même s'il ravivera des souvenirs douloureux.
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3 commentaires:
Magnifique livre. Émouvant et si réel! Même sans consultation d'un historien! Seuls les tunisiens peuvent le comprendre!
Souvenirs d'une Tunisie gouvernée par Bourguiba, intellectuel moderne et administrée par des fonctionnaires zélés à faire disparaître le souvenir de la France. Quitter la Tunisie avec 10 dinars, monnaie sans valeur hors du pays, soupçonné avec hostilité et qui ont montré leur nature avec le début de la guerre des 6 jours; les propagande arabes annonçant une victoire fulgurante. Auparavant la Tunisie était administrée par des fonctionnaires d'origine andalouse ( Kastali, Malki et autres) qui avaient en mémoire l'expulsion d'Espagne
J’étais si émue par sa sincérité et sa vérité .
A lire et à donner à lire à nos enfants qui ne réalisent que notre exode et surtout celui de nos parents fut courageux ,voir même héroïque.
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