LA
TURQUIE S’INSTALLE EN AFRIQUE DE L'OUEST
Par Jacques BENILLOUCHE
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Dans sa stratégie d’expansion à travers le monde, Erdogan, qui peaufine la reconstitution de l’Empire ottoman, vise actuellement l’Afrique de l’Ouest où de nombreuses places sont à prendre après la recomposition politique liée aux changements de dirigeants. Par ailleurs, l'islam compte entre 400 et 500 millions de fidèles sur le continent africain, ce qui en fait la première religion d'Afrique à égalité avec le christianisme. Il s’agit donc d’une terre de conquête pour un dirigeant qui veut prendre le leadership du monde sunnite. L’occasion est inespérée de s’introduire au Bénin, au Burkina-Faso, en Guinée-Bissau, en Côte d’Ivoire, en Gambie, au Ghana, en Guinée, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Sénégal, et au Togo.
Pendant que les regards sont tournés
vers les Émirats et le Bahreïn, Erdogan tisse sa toile en créant de nouvelles
alliances en Afrique avec la volonté de damer le pion à la France avec qui il
est en conflit récent. Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt
Çavuşoğlu a préparé le terrain pour son président avec une tournée en
septembre dans trois pays d'Afrique de
l'Ouest, à savoir le Mali, la Guinée-Bissau et le Sénégal.
Il s’est rendu pour la première fois au Mali pour rencontrer le groupe de colonels de l'armée qui dirige le pays depuis l'éviction du président Ibrahim Boubacar Keita afin d’aborder avec eux la transition politique dans le pays ainsi que les relations bilatérales. Le Mali, l'un des pays les plus pauvres du monde, souffre de la présence de plusieurs groupes terroristes, malgré les casques bleus français, maliens et onusiens qui y mènent des opérations de contre-terrorisme.
Après le Mali, Çavuşoğlu a effectué une visite en
Guinée-Bissau et au Sénégal les 10 et 11 septembre. Il s’agit d’envisager une
éventuelle nouvelle coopération avec ces pays. Le coup d’État au Mali n’entrait pas dans la
stratégie d’Erdogan mais l’excuse était bonne pour que la Turquie s’introduise
en Afrique de l’Ouest. Depuis le coup d’État de 2012 au Mali, la Turquie avait
tissé des liens avec les grands dirigeants civils en prévision de son introduction dans la région. Déjà engagée en Libye, la Turquie a utilisé
les grands moyens pour favoriser son influence
politique et sécuritaire à travers l'Afrique de l'Ouest.
Mais dans cette région la France veille et ne permettrait pas qu’on piétine
ses platebandes ce qui explique d’ailleurs la rivalité franco-turque croissante
en Méditerranée. L’Égypte, les Émirats arabes unis et la France tiennent au
respect de l'équilibre des pouvoirs en Libye. La Turquie n’est pas en odeur de
sainteté auprès des régimes arabes car elle soutient l’islam politique à
travers les Frères musulmans. Par ailleurs les gesticulations militaires
d'Ankara ont mis en évidence une divergence entre l'OTAN, la France et la
Turquie, surtout après menaces turques en Méditerranée. Emmanuel Macron a
critiqué les actions militaires d’Erdogan l'accusant de jouer «un jeu dangereux». Le président turc
n’a pas apprécié que la France soutienne la Grèce et Chypre dans le différend
sur le gaz naturel EastMed avec la Turquie. L'arrestation de quatre
ressortissants turcs qu'Ankara accuse d '«espionnage»
pour la France est un autre signe de relations tendues.
La France veut sécuriser une part de l'industrie pétrolière et gazière
libyenne, freiner le pouvoir des militants islamistes en Afrique du Nord et
mettre un terme à la route de la migration illégale à travers la Libye vers
l'Europe. Cette guerre par procuration en Libye a libéré la Turquie de sa
réserve vis-à-vis de la France. Erdogan a donc décidé d’investir l’Afrique pour
tenter de bouter la présence historique française.
L’action turque en Afrique s’affiche donc tout azimut. Déjà en juillet Mevlüt
Çavuşoğlu s’était rendu au Niger pour signer des accords de coopération
militaire. Il est question d’y créer une base militaire en plus de celles du
Qatar, de Libye et de Somalie. L'intérêt
de la Turquie pour le Niger s’explique par
l’existence de réseaux religieux soutenus par la Turquie.
Erdogan et le président algérien
Erdogan entretient ses relations avec ses alliés régionaux. En janvier, il
s’était rendu en Algérie, autre allié de la France, qu’il a définie ouvertement
comme «l'une des portes d'entrée les plus
importantes de la Turquie vers le Maghreb et l'Afrique». En retour, le ministre algérien des Affaires étrangères s’était
rendu le 1er septembre en Turquie pour discuter de la coopération
régionale et signer des accords économiques qui jetteraient les bases d'une
augmentation du volume du commerce de 5 à 10 milliards de dollars à long terme.
Ministre algérien en visite à Ankara
Ce n’est pas nouveau que la Turquie s’intéresse à l’Afrique mais elle le
fait actuellement de manière de plus en plus ostentatoire. Depuis 2003, elle a
ouvert des dizaines d'ambassades en Afrique, la dernière au Togo, qui sont
des instruments de propagande. Elle n’hésite plus à rivaliser avec la France,
et par là-même avec l’UE, pour devenir un acteur majeur afin de briser le
monopole français en Afrique. L’Union européenne ne s’est jamais distinguée par
un activisme exacerbé face aux rodomontades turques. Alors que la Grèce et
Chypre sont menacées, l’Otan s'est mise en retrait. Une manière d’autoriser la
Turquie à s’installer là où elle veut, en Afrique en particulier. Emmanuel Macron
se débat seul face au Grand Vizir, mais il ne fait pas le poids.
En revanche, les États-Unis y voient un intérêt majeur car la Turquie peut contrebalancer l’influence grandissante de la Chine en Afrique. Le sénateur américain Lindsey Graham est partisan d’un pacte de libre-échange pour renforcer les relations américano-turques : «Si vous me demandez quelle est la seule chose que les États-Unis et la Turquie pourraient faire pour améliorer la relation, ce serait un accord de libre-échange - non seulement aspirant à avoir plus de commerce pour atteindre 100 milliards de dollars, mais intégrant réellement les économies, grâce à un accord de libre-échange». Il a noté en particulier que la Turquie est bien placée pour compenser la dépendance des États-Unis à l'égard de la Chine, affirmant qu'elle peut fournir des produits de meilleure qualité à des prix compétitifs.
Mais une différence de taille avec la Chine toujours très discrète. La Turquie a des capacités de nuisance
et de déstabilisation en Afrique sous couvert de son influence islamiste.
1 commentaire:
L'Afrique de l'Ouest est pour le dictateur ottoman une terre de mission, pour ses assouvire ses ambitons européennes. Il compte exploiter, l'Afrique de l'Ouest, comme l'ont fait les sultans ottomans en Mesopotamie, en Egypte, et au Maghreb (àl'exception du Maroc) ces nations se sont retrouvées aculturées et misérables ! L'occident pour sa sécurité devrait remercier la Turquie actuelle de l'OTAN, ainsi elle retrouvera sa liberté d'action !
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