ÉGYPTE : FORCE BRUTALE OU MÉTHODE
DOUCE
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
On
s’étonne bien sûr qu’une armée aussi puissante que l’armée égyptienne, qui a
failli battre Israël en 1973, n’arrive pas à venir à bout de quelques milliers
de terroristes. Les experts militaires estiment que l’armée égyptienne est
suffisamment équipée mais qu’elle exploite mal son armement et ses hommes. Ils invoquent plusieurs
méthodes pouvant être utilisées pour vaincre la lèpre djihadiste qui a provoqué
la mort de 304 personnes ce 24 novembre. L'attentat, survenu lors de la prière
du vendredi dans la mosquée al-Rawdah de Bir al Abed, à 40km à l'ouest
d'el-Arish, capitale de la province du Nord-Sinaï, est le plus sanglant après
ceux qui ont touché des Chrétiens dans leurs églises. L’armée semble tétanisée devant
des actions parfaitement concertées.
Le
président al-Sissi a promis de répondre avec «une force brutale à cet
attentat. Les forces armées et la police vengeront nos martyrs». Certes,
cette attaque contre une mosquée était imprévisible car on ne voyait pas Daesh
atteindre un tel degré de barbarie en s’attaquant à d’autres musulmans. Mais les
méthodes employées par l’armée soient inadéquates, dans une zone montagneuse
difficile d’accès, où les terroristes y règnent en maîtres. Les militaires,
selon les experts israéliens, ne semblent pas avoir une réflexion stratégique
conforme à une guerre asymétrique d’une armée contre des miliciens déterminés. Une
vingtaine d’hommes en armes ont criblé de balles une mosquée. Or, le déplacement
d’un tel convoi n’aurait pas dû passer inaperçu si les renseignements étaient
efficaces.
Ansar Beit al-Maqdis |
L’attentat
odieux n’a pas été revendiqué mais il porte la marque d’Ansar Beit al-Maqdis,
une cellule issue des tribus qui s’estimaient avoir été opprimées par le
gouvernement égyptien. À sa constitution, le groupe avait Israël comme objectif
et s’était distingué par des attaques répétées contre le pipeline égyptien
exportant du gaz vers la Jordanie et Israël. Il a viré de stratégie en concentrant
ses attaques contre les forces de sécurité égyptiennes après avoir, en 2014,
juré allégeance à l’État islamique, en devenant Wilayat Sinaï. Ce groupe est l'un
des plus grands groupes à avoir juré fidélité à Daesh en dehors de ses bastions
en Irak et en Syrie et depuis, une insurrection fait rage dans le nord du
Sinaï.
Mais
pour venir à bout de ces terroristes, les spécialistes militaires estiment
qu’il «faut se tourner vers l’histoire militaire, l’idéologie, la
géographie et, surtout, la logique». Rien n’a été anticipé de manière
efficace pour empêcher cette dernière attaque ni celle qui avait occasionné la
mort d’une centaine de Chrétiens, essentiellement des Coptes. En ne réagissant
pas à l’époque, le gouvernement les avait incités à quitter le pays pour des
horizons plus cléments. Les lacunes de l’armée sont dues aux purges qui ont
touché, à plusieurs périodes après la chute de Moubarak, les services de
renseignements égyptiens au point de les rendre inopérants.
Coptes en deuil |
Pour
pallier cette lacune, les liens militaires et sécuritaires avec Israël ont été développés,
fondés sur des perceptions et des intérêts partagés. Mais les Israéliens
peuvent certes aider mais ne peuvent pas se substituer aux Égyptiens. Les services militaires israéliens transmettent
les résultats d’écoute des conversations et mettent parfois les résultats des
investigations des drones à la disposition des Égyptiens pour limiter le nombre
d’attaques au Sinaï.
L’Égypte
ne peut pas se contenter de solutions superficielles d’autant plus que le
terrorisme frappe à présent au Caire et à Hurghada. Les 20.000 soldats
égyptiens n’arrivent pas à enrayer la guérilla dans le Sinaï ni les attaques
dans les centres urbains. L’armée doit donc adopter des méthodes plus conformes
au combat contre des groupes non conventionnels qui arrivent à se fondre dans
la population et même à bénéficier de son empathie.
Egyptiens au Sinaï |
Selon
les experts militaires israéliens, elle doit transformer ses forces
stationnaires en forces mobiles. Actuellement les points
de contrôle sont fixes et facilement repérables ce qui les rend vulnérables aux
attaques élaborées. L’armée doit être en permanence en mouvement pour poser des
pièges et agir plutôt que d’attendre d’être attaquée. Les points de contrôle
d’el-Arish, de Sheikh Zuweid ville bédouine située entre les villes de El-Arish
et de Rafah, doivent être pris en charge par des forces spéciales entraînées,
qui par ailleurs se répartiraient sur plusieurs points entre 100 et 1.000
mètres pour s’auto-protéger. Leur armement doit être adapté à la fois pour
l’attaque et pour la défense.
L’Égypte
envoie sur le terrain des conscrits mal formés, qui sont des cibles faciles, au
lieu de troupes hautement qualifiées, chargées à la fois de se défendre et de
décimer les cellules terroristes par des actions coups de poing afin de ne pas
leur donner le temps de se réorganiser et de se réarmer. Actuellement, les
forces militaires et policières ne prennent même pas de mesures élémentaires
consistant à changer tous les jours d’itinéraire pour neutraliser les VBIED (Vehicle
Borne Improvised Explosive Devices), véhicules piégés placés en bordure de
route dans lesquels ont été dissimulées des charges explosives.
Mais par ailleurs la guerre
psychologique est fondamentale. L’armée doit collaborer avec la population
locale pour exploiter ses connaissances géographiques afin de couper les relais
à Daesh. Des agents des services de renseignements doivent s’infiltrer au sein
des populations civiles pour apprendre le modus operandi des djihadistes. La
bataille est plus une guerre de renseignements qu’une bataille au moyen d’armement
ou d’aviation. Il faut même, comme le fait Daesh, financer les habitants du
Sinaï pour les voir collaborer et s’éloigner des bandes djihadistes grâce à la
technique de la carotte et du bâton.
Bédouins du Sinaï |
Les terroristes
usent de séances de décapitations et de démolitions de maisons pour intimider
la population. La carotte du gouvernement doit permettre de subvenir
socialement aux besoins des habitants pauvres, souvent expulsés de chez eux par
la nécessité de détruire les tunnels environnements. En les dédommageant, ils
deviennent des informateurs efficaces. C’est exactement ce que faisait Daesh en
Irak et en Syrie avec la distribution d’argent. Or l’armée égyptienne, avec ses
méthodes coercitives, apparaît comme une institution qui détruit des vies,
démolit des maisons, ferme des écoles et tue les amis et la famille. Elle doit
se regénérer en axant son action sociale sur la reconstruction des écoles, sur le financement des petites entreprises et sur l'aide aux populations bédouines.
Point de contrôle |
Face à la
passivité gouvernementale, les victoires militaires de Daesh au Sinaï revigorent
les terroristes et leur permettent, d’une part de créer leurs propres points de
contrôle mais aussi de mettre en place leur propre police de la morale. Les Égyptiens
doivent exploiter la nouvelle situation consécutive à la défaite de Daesh en
Irak et en Syrie qui a réduit ses marges de financement au point d’être
contraint d’organiser lui-même des trafics de drogue. Daesh marche donc sur les
plates-bandes de la tribu Al-Tarabin, la plus grande tribu bédouine du Sinaï.
Les Bédouins ont donc lancé une offensive contre
le groupe et appelé d’autres tribus de la région à s’unir à elle dans cette
lutte. L’Égypte doit exploiter cette animosité à son profit, surtout que l’attentat
a touché de nombreux bédouins. La population horrifiée exige de prendre sa
revanche. Les tribus des Sawarka et des Tarabin vont donc s'allier contre
l'EI dans un combat qui va se révéler dur et difficile sauf si elles obtiennent
un soutien moral et logistique de la part de l’armée.
Mais
pour mettre en œuvre ces mesures, il faut une volonté politique et militaire
qui ne semble pas d’actualité aujourd’hui. Il ne s’agit pas uniquement de
décréter un état d’urgence mais d’agir pour éradiquer le mal qui s’est implanté
au Sinaï sinon les actions de Daesh vont déborder jusqu’au Caire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire